Parcours en images et en vidéos de l'exposition

LE PARIS DE LA MODERNITÉ, 1905-1925

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°589 du 13 mars 2024



Titre de l'exposition
 
Dans la lignée de «Paris romantique» et «Paris 1900, la ville spectacle», le Petit Palais consacre le dernier volet de sa trilogie au «Paris de la modernité», de 1905 à 1925. La «ville-monde» est alors au cœur de l'innovation et le foyer d'un rayonnement culturel sans pareil.
L'exposition invite à se plonger dans ce Paris effervescent, cosmopolite et foisonnant, où se croisent des artistes venus du monde entier et de tous horizons, de Pablo Picasso à Joséphine Baker. Son ambition est de mettre en lumière, avec près de quatre cents œuvres, l'extraordinaire créativité de ces vingt années étourdissantes.
Pour la première fois, la contemporanéité des innovations se donne à voir, dans tous les champs artistiques. En onze sections, associant la mode, le cinéma, la photographie, la peinture, la sculpture, le dessin, mais aussi la danse, la musique, la littérature, le design, les arts décoratifs, l'architecture et l'industrie, l'exposition célèbre la fabuleuse ébullition créatrice de ces années 1905-1925. Elle embrasse également la période douloureuse de la Grande Guerre - celle de 1914-1918 - et interroge le rôle clef joué par les artistes et les femmes au temps de cette tragédie.
Les avant-gardes se télescopent, les ruptures sont foudroyantes, les mutations sociales s’accélèrent, les scandales font rage. À Paris, tout va alors «plus vite, plus haut, plus fort». Outre les célèbres lieux de création, concentrés à Montmartre et à Montparnasse, l'exposition évoque le quartier des Champs-Élysées et insiste sur son importance, jusqu'à présent méconnue, comme nouveau «théâtre des avant-gardes».
Affiche de l'exposition.
 
Texte du panneau didactique.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Frank Gelett Burgess. Pablo Picasso dans l'atelier du Bateau-Lavoir, 1908. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris). Madeleine Coursaget © Succession Picasso 2023.
 
Carte avec les lieux évoqués dans l'exposition.
Chronologie : Le Paris de la Belle-Époque (1905 - 1913)

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«Le soleil de l'art ne brillait alors qu'à Paris, et il me semblait et il me semble jusqu'à présent qu'il n'y a pas de plus grande révolution de l'œil que celle que j'ai rencontrée à mon arrivée à Paris».
Marc Chagall



Section 1 (début) - MONTMARTRE ET MONTPARNASSE,
VIVIERS DE LA MODERNITÉ

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Au début du XXe siècle, les ateliers d’artistes se concentrent d’abord à Montmartre puis à Montparnasse. Situés à la marge, ces quartiers offrent à la bohème artistique un cadre animé, au sein duquel l’espace public revêt une grande importance, avec ses cafés et ses réseaux d’entraide.
Montmartre attire, dès la fin du XIXe siècle, les «rapins», ces artistes en devenir. Venus de Paris ou de Province, puis d’Espagne et d’Italie, ils s’installent dans des ateliers bon marché : ceux du Bateau-Lavoir accueillent, à partir de 1904, la «bande à Picasso». Laboratoire de la modernité, cet atelier collectif est le lieu de discussions esthétiques et artistiques passionnées. Tous se retrouvent au cabaret du Lapin-Agile, où les artistes se mêlent aux poètes et écrivains, ainsi qu’à la pire des «canailles crapuleuses». Les chantiers incessants, l’insécurité, l’arrivée du tourisme, l’augmentation des loyers poussent les artistes à quitter Montmartre pour Montparnasse, sur la rive gauche de la Seine.

 
Texte du panneau didactique.
 
André Gill (1840-1885). Enseigne du Lapin-Agile, 1880. Huile sur bois. Paris, collection Yves Mathieu, en dépôt au musée de Montmartre.

En 1880, le caricaturiste et chansonnier André Gill réalise cette enseigne pour un cabaret de Montmartre. Son titre, Le Lapin Agile, est dérivé d'un calembour tiré de son nom: «L.a peint Gill». Coiffé d'une casquette ouvrière, portant ceinture et nœud papillon rouge, le lapin emblématique saute d'une casserole. Il brandit une bouteille, spécialité de Montmartre, célèbre pour ses guinguettes et ses vignes, devant l'un des moulins qui ont fleuri sur la butte au XIXe siècle.
 
Mademoiselle de Sainte-Marie. Extérieur d’un cabaret, rue des Saules. Paris, 10 novembre 1904. Tirage au gélatino-bromure d'argent. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris.

Caractéristique du mélange des classes sociales propre à Montmartre, le cabaret du Lapin-Agile attire aussi bien les mauvais garçons, chansonniers libertaires, écrivains, que les artistes de tous bords. Chanteur de romances et de chansons réalistes, Frédéric Gérard, dit le père Frédé, reprend le cabaret en 1905. Haut en couleur, il porte une longue barbe et arbore une tenue qui tient «de Robinson Crusoé, du trappeur de l’Alaska et du bandit calabrais», selon les mots du critique André Warnod.
 
Le cabaret Au Lapin Agile aujourd'hui. Photo Spectacles sélection.
 
Pablo Picasso. Buste de femme ou de marin (étude pour Les Demoiselles d’Avignon), Printemps 1907. Huile sur carton, 53,5 x 36,2 cm. Musée national Picasso, Paris. © Succession Picasso 2023. Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau.

Au Bateau-Lavoir, Picasso peint Les Demoiselles d’Avignon, point de bascule dans son œuvre. La composition finale se resserre sur cinq nus féminins massifs alors que les études et esquisses préparatoires comportent aussi des personnages masculins. Les corps sont violemment abrégés, construits à grands traits géométrisés. Les visages sont simplifiés et marqués de hachures. L’œuvre rompt avec la tradition occidentale et prépare la révolution cubiste. Elle défraye la chronique par son érotisme évident et ses références à l’art africain.
 
Pablo Picasso (1881-1973). Le Repas frugal, septembre 1904. Estampe, épreuve. Eau-forte et grattoir sur zinc. Ier état, 45,7 x 37,7 cm (hors marge). Musée national Picasso-Paris. © Mathieu Rabeau / RMN Grand Palais. © Succession Picasso 2022.
 
Statuette féminine Baoulé, Blolo bla ou Asié usu. Côte d’Ivoire, XIXe siècle. Bois, fibres végétales, petites perles en pâte de verre blanche. Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac.
 
Pablo Picasso (1881-1973). Le Fou, 1905. Bronze. Paris, musée d'Art moderne de Paris.

En 1904, s’ouvre la «période rose» de Picasso. Elle est marquée par les figures de saltimbanques - écuyères, clowns tristes et acrobates - inspirés du cirque Medrano, que Picasso fréquente assidûment avec son cercle d'amis. Le Fou serait inspiré d’un portrait de Max Jacob, modelé en cire, auquel le peintre a ensuite ajouté un bonnet à pointe triangulaire ceint d’une couronne. Ce personnage incarne l’ambivalence de la bohème artistique, entre sagesse et folie.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Marie Laurencin (1883-1959). Autoportrait, 1905. Huile sur toile. Grenoble, Musée de Grenoble.
 
Kees Van Dongen (1877-1968). Portrait de Fernande Olivier (au recto), Les Trois Lesbiennes (au verso), 1907. Pastel. Genève, musée du Petit Palais.

Beauté vedette de Montmartre, Fernande est modèle - un métier grâce auquel elle a acquis l'indépendance financière lui permettant de s’arracher aux griffes d'un mari abusif. En ménage avec Picasso à partir de 1904, elle pose dès lors exclusivement pour lui et ses proches, comme ici le peintre hollandais Kees van Dongen. Installé au Bateau-Lavoir depuis 1903, ce dernier la représente à de nombreuses reprises, avec ses yeux en amande et ses cheveux remontés en chignon.
 
Masque Gouro. Côte d’Ivoire, début du XXe siècle (avant 1968), population Gouro. Bois, pigments, 26 x 16,5 x 12 cm. Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, Paris. Photo © RMN-Grand Palais (Musée du Quai Branly – Jacques Chirac) / Claude Germain.

Les objets d’Afrique, d’Asie, des Amériques ou d’Océanie fournissent aux artistes des solutions plastiques en accord avec leur quête d’abstraction. Picasso, Vlaminck ou Van Dongen posent sur ces œuvres un nouveau regard, non dénué d’une part d’imaginaire concernant leur origine ancienne. Les arts d’Afrique ou d’Océanie n’ont pourtant rien de « primitif » ou d’archaïque, mais sont bien souvent contemporains. Certains artistes, comme Vlaminck, les collectionnent, et, pour certains, entreprennent même d’en faire commerce.
 
Marie Laurencin (1883-1959). Portrait de Max Jacob, 1908. Huile sur bois. Orléans, musée des Beaux-Arts.

Max Jacob fréquente Le Bateau-Lavoir et soutient son ami Picasso. Excentrique personnage en redingote bretonne, le peintre, poète et écrivain y anime les soirées par ses bons mots, son talent d'imitateur et ses supposés dons de divination. Réalisé par Marie Laurencin, ce portrait reprend ses traits glabres sous la forme d’un masque. L'artiste s’est sans doute inspirée des collections d'œuvres extra-européennes de son compagnon, le critique d'art et poète Guillaume Apollinaire, où par Les Demoiselles d'Avignon, qu’elle a pu voir dans l’atelier du Bateau-Lavoir de Picasso.


Section 1 (suite) - MONTPARNASSE, CITÉ EFFERVESCENTE

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Bénéficiant de l'ouverture de la ligne de métro Nord-Sud en 1910, Montparnasse devient le nouveau pôle d'attraction pour les jeunes artistes. La solidarité s'organise et les cités d'artistes telles que La Ruche ou la cité Falguière accueillent les nouveaux arrivants, nombreux à venir de l'étranger.
Les cafés les plus courus sont situés aux abords de la place Vavin. Les expatriés allemands et austro-hongrois choisissent comme point de ralliement Le Dôme, tandis que les Russes préfèrent La Rotonde. En face du bal Bullier, La Closerie des Lilas est fréquentée par des poètes symbolistes autour de Paul Fort. Artistes, modèles, mécènes, les femmes sont partout présentes dans cette société bouillonnante

 
Texte du panneau didactique.
 
Michel Kikoïne (1892-1968). La Ruche sous la neige, 1913. Huile sur toile. Genève, musée du Petit Palais.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Tête de femme, 1911-1912. Pierre. Londres, Tate Modern. Transféré du Victoria & Albert Museum, Londres, 1983. Photo Gautier Deblonde.

Mûrissant un projet de temple dédié à la beauté idéale, Modigliani réalise, de 1910 à 1914, des têtes et des cariatides. Sa Tête de femme en pierre évoque les korês antiques et rappelle aussi certaines œuvres extra-occidentales, en particulier les masques gouro de Côte d’Ivoire. À l’origine, l'artiste y avait peint des yeux. Il lui arrivait de fixer une bougie au sommet de cette Tête pour éclairer ses dîners aux chandelles.
 
Sonia Delaunay. La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, en collaboration avec Blaise Cendrars, 1913 (détail). Texte imprimé sur papier Japon et gouache (exemplaire no 34 avec prospectus). Paris, Chancellerie des Universités de Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Jozsef Csaky (1888-1971). Tête, 1914. Pierre blanche. Signé et daté à l'arrière. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou. Achat, 1977.

En 1914, le Hongrois Jozsef Csaky est le premier sculpteur à allier le procédé de la taille de pierre traditionnel à une approche cubiste. Cette Tête, fortement stylisée, suit une construction géométrique. Ses volumes aux arêtes saillantes, travaillés en facettes, sont traités de façon presque architecturale. L'aspect asymétrique de ce visage et l'exagération du front, comme du nez, s’inspirent sans doute indirectement de masques de carnaval de la région natale de l'artiste.
 
Natalia Gontcharova (1881-1962). Nature morte aux lilas, 1911. Huile sur toile. Paris, musée d’Art moderne de Paris.
 
Jules Pascin (1885-1930). Le Modèle, 1912. Huile sur toile. Grenoble, musée de Grenoble.

Ouvertes à tous, des académies attirent à Montparnasse des élèves du monde entier. Lieux d'enseignement, mais aussi de partage et de fête, elles comptent de nombreuses femmes. Outre La Ruche, plusieurs cités et ateliers collectifs d'artistes s’y créent, dont la cité Falguière ou les ateliers de la rue Campagne-Première. Un marché aux modèles se tient à Montparnasse chaque semaine. Le peintre Jules Pascin les fait poser dans des attitudes assez érotiques, les recrutant parfois dans des maisons closes.
 
Jacques Lipchitz (1891-1973). Marin à la guitare, 1914-1915. Bronze patiné. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Rouen | Achat de l’État, 1947; attribution au musée des Beaux-Arts de Rouen, 1947.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Marc Chagall. Ma fiancée aux gants noirs, 1909. Huile sur toile, 87,4 x 64,4cm. Kunstmuseum Basel, Bâle. © ADAGP Paris 2023 ©Kunstmuseum Basel, acquis avec la contribution du Dr. h.c. Richard Doetsch-Benziger. Photo © Martin P. Bühler.
 
Ossip Zadkine ([888-1967). Tête de jeune fille, 1914. Marbre. Grenoble, musée de Grenoble.

Le sculpteur russe Ossip Zadkine arrive en France en 1909. Il y délaisse sa pratique originelle de travail du bois, pour tailler la pierre. Datant de 1914, cette Tête de jeune fille, sobre et stylisée, est l’une de ses premières réalisations en marbre. À Paris, Zadkine est très actif au sein de la Société des artistes russes, que Natalia Gontcharova et son mari Michel Larionov rejoignent à leur arrivée en France, la même année.
 
Marc Chagall (1887-1985). L'Atelier, 1911.  Huile sur toile rentoilée sur toile fine. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée national Marc-Chagall, Nice | Dation, 1988.

Peu après son arrivée à Paris, Marc Chagall installe son atelier dans un petit appartement, impasse du Maine. Au mur, on reconnaît le portrait de sa promise, Bella Rosenfeld, restée en Russie. Ce portrait la montre vêtue d’une robe ajustée à large collerette, les mains sur les hanches, dans une posture évoquant l’art du théâtre que Bella étudie.
 
Marie Vassilieff. Scipion l’Africain, 1916. Huile sur toile, 100 x 120 cm. Collection particulière, Paris. Courtesy Galerie Françoise Livinec.

Un temps surnommée « Jack of all trades » [« Valet de tous les métiers, maître d’aucun »], Marie Vassilieff est une figure incontournable des « Montparnos ». Son Scipion l’Africain renverse les codes du portrait et s’inspire des déconstructions formelles de Picasso. Le recours au modèle noir et sa valorisation pionnière sont des constantes de l’œuvre du peintre. Cette odalisque à l’obélisque, qui rend hommage à son employé de maison africain, est aussi une audacieuse variation sur le genre masculin-féminin.


Section 1 (fin) - « DONATELLO CHEZ LES FAUVES »

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Le scandale créé au Salon d'automne de 1905 est tel que le président de la République Émile Loubet refuse de l’inaugurer. En cause, les œuvres de Henri Matisse, Maurice de Vlaminck, Albert Marquet, Henri Manguin, André Derain et Charles Camoin, réunies dans la salle VII, dont les teintes vives, appliquées en larges traits de pinceau, évoquent des «bariolages informes». Le critique d’art Louis Vauxcelles remarque, au centre de la pièce, un portrait d'enfant et un petit buste du sculpteur Albert Marque dont la candeur «surprend au milieu de l'orgie des tons purs: Donatello chez les fauves». L'expression restera, faisant du fauvisme la première avant-garde du XXe siècle.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Matisse (1869-1954). Marguerite lisant, 1906. Huile sur toile. Grenoble, musée de Grenoble.

Henri Matisse fait ici le portrait de sa fille. Il travaille de manière synthétique, sans volumes ni profondeur. Dessiné en lignes sombres, le visage de la fillette, alors âgée de 12 ans, ressort tel un masque posé au-dessus d’une grande collerette claire. Les accords de couleurs, rompus par le rouge de la robe, confèrent une dimension décorative à ce tableau empreint de sérénité et d'émotion.
 
Charles Camoin (1879-1965). Village au bord de la mer, 1905. Huile sur toile. Genève, musée du Petit Palais.
 
Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau. La Charmeuse de serpents, 1907. Huile sur toile, 167 x 189,5 cm. Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie,  Paris. Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Au Salon d’automne de 1905, le Douanier Rousseau expose Le lion ayant faim se jette sur l’antilope (Bâle, Fondation Beyeler), dont le félidé a pu indirectement inspirer le terme de «Fauve». Deux ans plus tard, il y expose sa célèbre Charmeuse de serpents : une Ève noire joue de la musique, dans une nature primitive aussi fantastique qu’inquiétante, qui ouvre d’autres voies à la modernité.
 
Joachim-Raphaël Boronali, dit Lolo l’Âne, âne Aliboron. Coucher de soleil sur l’Adriatique, 1910. Huile sur toile, 54 x 81 cm. Espace culturel communal Paul Bédu, Milly-la-Forêt.

Exposé au Salon des indépendants de 1910, ce coucher de soleil est peint par Joachim-Raphaël Boronali, un artiste italien se réclamant de l’«excessivisme». Les réactions de la critique sont plutôt positives, mais la supercherie est révélée : un pinceau trempé de peinture avait été attaché à la queue d’un âne, qui a barbouillé une toile présentée par des plaisantins. Orchestré par l’écrivain Roland Dorgelès, ce canular perpétue l’esprit frondeur et humoristique de la butte Montmartre.
 
Jean Puy (1876-1960). Flânerie sous les pins, 1905. Huile sur toile. Villefranche-sur-Saône, musée municipal Paul-Dini. Donation Muguette et Paul Dini, 1999.
 
Kees Van Dongen (1877-1968). Nini, danseuse aux Folies-Bergère ou La Saltimbanque au sein nu, 1907-1908. Huile sur toile. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Don Jean Aron, 1948.

Dans ce portrait de Nini, Kees Van Dongen joue sur la stridence des teintes. Dans son atelier, il utilise des lampes électriques pour accentuer les effets de contraste, créant ici une sorte de «surexposition» du buste. Avec son sein sensuellement dévoilé et son regard intensément charbonneux, cette danseuse s’inscrit dans une modernité noire qui n'est pas sans évoquer l'influence des expressionnistes allemands, avec qui Van Dongen expose à Dresde en 1908.
 
Albert Marque (1872-1939). Buste de fillette, 1906.  Terre cuite rouge. Lyon, musée des beaux-Arts de Lyon.


Section 2 (début) - LES SALONS PARISIENS
AU CŒUR DE L'ÉCHIQIER ARTISTIQUE

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Les salons parisiens, célèbres expositions artistiques héritières d’une tradition académique, demeurent les rendez-vous incontournables du début du XXe siècle. Organisés par des sociétés d’artistes, ces salons ont toujours été ouverts aux femmes. Lieux de vente et de présentation au public et aux amateurs, ils revêtent une grande importance pour les artistes.
Fondé en 1884, le Salon des artistes indépendants s’oppose au Salon des artistes français qui héberge les tendances officielles.
Créé en 1903, le Salon d’automne se tient au Petit Palais, avant de s’établir en face de celui-ci, au Grand Palais, dès l’année suivante. Son objectif est d’offrir des débouchés aux jeunes artistes, et de faire découvrir les nouveaux courants à un grand public. Marqué dès 1905 par le scandale des œuvres fauves, et exposant notamment les néo-impressionnistes ainsi que les cubistes, il accompagne la naissance de l’art moderne.

 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Le Fauconnier (1881-1946). L'Abondance, 1910. Huile sur toile. La Haye, Kunstmuseum Den Haag. Don d’une collection particulière.

L'Abondance de Henri Le Fauconnier représente une femme et un enfant nus portant des pommes. L'œuvre témoigne de l'aspiration de ces artistes «cubisteurs» à s’inscrire à la fois dans la modernité et dans la tradition française.
 
Georges Braque (1882-1963). Tête de femme, 1909. Huile sur toile. Paris, musée d’Art moderne de Paris.

De 1907 à 1914, Georges Braque et Pablo Picasso travaillent conjointement, «en cordée», comme ils se plaisent à le dire, pour élaborer un nouveau langage pictural. Influencés par Paul Cézanne, «le père de l’art moderne», ils recomposent le volume en facettes, réduisent la palette des couleurs à des teintes sourdes, multipliant et combinant les points de vue. Ensemble, ils élaborent et donnent naissance au cubisme.
 
Pablo Picasso (1881-1973). La Femme au pot de moutarde, 1910. Huile sur toile. La Haye, Kunstmuseum Den Haag.
 
Fernand Léger (1881-1955). Le Passage à niveau, 1912. Huile sur toile (voir ci-contre). Riehen/Bâle, Fondation Beyeler. Achat grâce à un don de Kurt Schwank, Riehen.
 
En 1912, un projet d'hôtel, dit «maison cubiste», est présenté au Salon d'automne. Fabriquée en plâtre armé à taille réelle, elle possède une façade à pans coupés conçue par Raymond-Duchamp Villon. À l'intérieur, un vestibule, une petite chambre et un «salon bourgeois» éclectique accueillent le visiteur. Le Passage à niveau de Fernand Léger est présenté dans le cadre de ce salon. Dans cette œuvre, l'artiste joue du contraste entre les courbes et les lignes droites, faisant une large place à la couleur.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Au Salon des indépendants de 1911, la mouvance cubiste fait son apparition, par le biais de peintres comme Henri Le Fauconnier et Roger de la Fresnaye. Ces artistes s’inscrivent dans la lignée des recherches de Paul Cézanne, Georges Braque et Pablo Picasso - les premiers peintres à avoir déconstruit le point de vue figuratif en proposant une fragmentation des formes en facettes. Rejoints par Albert Gleizes et Jean Metzinger, ils se retrouvent ensuite aux salons d'automne et des indépendants. Soutenus par des critiques reconnus tels que André Salmon, André Warnod ou Guillaume Apollinaire, ils imposent l'image d'un renouveau de l'esthétique moderne, après l’impressionnisme et le fauvisme. Pablo Picasso et Georges Braque, qui ne participent pas à ces salons, ne se reconnaissent cependant aucun lien de parenté avec ceux que Braque nomme les «cubisteurs».

 
Légende.
 
Roger de la Fresnaye (1885-1925). Cuirassier, 1910-1911. Huile sur toile. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Lyon. Achat, 1938.

Dans le Cuirassier, Roger de la Fresnaye cherche à renouveler la tradition picturale militaire, en s'inscrivant dans la lignée des expérimentations de Braque et Picasso et en s’inspirant du Cuirassier blessé quittant le feu de Théodore Géricault (1814, musée du Louvre).
 
Jean Metzinger (1883-1956). L'Oiseau bleu, 1912-1913. Huile sur toile. Paris, musée d’Art moderne de Paris.
 
Piet Mondrian (1872-1944). Paysages avec arbres, 1912. Huile sur toile. La Haye, Kunstmuseum Den Haag | Legs Salomon B. Slijper.

Formé à la peinture traditionnelle hollandaise, Piet Mondrian arrive à Paris en mai 1911, pour y prendre connaissance des avancées artistiques internationales. Il s'éloigne de la figuration et intègre les enseignements de Cézanne et des cubistes. Paysage aux arbres fait sans doute partie des trois tableaux que Piet Mondrian présente en mars 1912 au Salon des indépendants. Si des éléments figuratifs y sont encore reconnaissables, la profondeur et la la perspective disparaissent.
Albert Gleizes (1881-1953). Les Baigneuses, 1912. Huile sur toile. Paris, musée d’Art moderne de Paris.
 
Georges Monca (1867-1939).
Rigadin peintre cubiste
, 1912.
Film noir et blanc, 7 min. Paris, Pathé.

Sous le pseudonyme de Charles Prince, ou Prince Rigadin, le comédien Charles Petit est filmé, de 1910 à 1920, dans une suite de saynètes à caractère satirique. Produits et diffusés par Pathé frères, ces films font connaître Rigadin dans le monde entier.
Dans Rigadin peintre cubiste, il raille les nouvelles formes qui envahissent les salons d’automne et des indépendants de 1912. S’efforçant de former son œil à cette «cubisation», il y endosse d’extravagants costumes qui entravent les mouvements et produisent un effet comique.
Video : Rigadin peintre cubiste.
 

 

 



Section 2 (fin) - LES FUTURISTES À PARIS

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.


Le 20 février 1909, le Manifeste du futurisme paraît à la une du Figaro. «Nous voulons glorifier la guerre - seule hygiène du monde -, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme», clame-t-il avec provocation. En onze stances et formules chocs - dénoncées, entre autres, par les féministes -, la beauté de la vitesse et la nécessité de la violence en art sont promues. L'écrivain italien Filippo Tommaso Marinetti, théoricien et porte-parole du mouvement, orchestre sa diffusion internationale. Ses compatriotes Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo et Gino Severini exposent pour la première fois à Paris en février 1912, à la galerie Bernheim-Jeune, dont Félix Fénéon assure la direction artistique.

 
Texte du panneau didactique.
 
Carlo Carrà (1881-1966). Stazione di Milano, 1911. Huile sur toile. Stuttgart, Staatsgalerie Stuttgart. Acquisition, 1962.

Les futuristes italiens ancrent leurs œuvres dans la vie moderne et s’efforcent de rendre compte de la vitesse et de l'énergie de ce monde mouvant. Le thème de la gare traité ici par Carlo Carrà apparaît emblématique de leurs recherches. Il lui permet de mettre en scène la machine et d’en exprimer l’accélération par le biais de rayons obliques et d'effets vibratoires de couleurs.
 
Gino Severini. La Danse du Pan-Pan au Monico, 1909-1960 (réplique de l’original de 1910-1911). Huile sur toile, 280 x 400 cm. Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. © ADAGP, Paris 2023 Photo © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM-CCI) / Hélène Mauri.

La Danse du Pan-Pan au Monico de Severini est saluée par Apollinaire comme «l’œuvre la plus importante qu’ait peinte un pinceau futuriste» (L’Intransigeant, 7 février 1912). Au centre de la toile, s’agitent deux danseuses vêtues de rouge. Autour d’elles, se presse une foule compacte et déchaînée, composée de formes colorées et diffractées. La scène semble vue au travers d’un kaléidoscope. Le peintre parvient ainsi à rendre le mouvement d’une liesse populaire et de la fièvre qui pouvait s’emparer des cafés parisiens à la mode.
 
Gino Severini (1883-1966). Les Voix de ma chambre, 1909. Huile sur toile. Stuttgart, Staatsgalerie Stuttgart. Acquisition avec Lotto-Mitteln, 1969.
 
Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944). «Manifeste du futurisme», publié par Le Figaro, 20 février 1909. Quotidien imprimé. Paris, musée d'Art moderne de Paris.
 
Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo, Giacomo Balla, Gino Severini. Manifeste des peintres futuristes, 11 avril 1910. Papier imprimé. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou - Bibliothèque Kandinsky.


Section 3 - LE « BOUM » DES SALONS DU CYCLE,
DE L'AUTOMOBILE ET DE L'AVIATION

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Les nouveaux modes de transport qui émergent – le vélocipède, l’automobile et l’aviation – ont bientôt leurs propres salons à Paris. Le Grand Palais accueille, en 1901, le Salon international de l’automobile, du cycle et des sports qui se tiendra ensuite chaque année, excepté en 1909 et 1911. Les visiteurs s’y pressent par centaines de milliers pour découvrir les automobiles Serpollet, la première voiture Renault et bien d’autres véhicules.
En 1908, une petite partie du salon est réservée aux aéroplanes et aux ballons. Les visiteurs peuvent y admirer l’avion de Clément Ader, l’Antoinette de Levavasseur ou la Demoiselle de Santos-Dumont. Le succès est tel qu’un nouveau salon spécialement dédié à l’aviation s’impose. La première Exposition internationale de la locomotion aérienne est inaugurée en 1909 par le président de la République Armand Fallières.

 
Texte du panneau didactique.
 
Peugeot. Automobile Peugeot type BP1 dite «Bébé Peugeot», torpédo, 1913, automobile particulière de sport, Code 1409, torpédo. Classée Monument Historique, 1913. Automobile, Métal, cuir, 150 x 150 x 262 cm, 450 kg. Musée de l’automobile, Mulhouse. Collection Schlumpf, Mulhouse. Photo © Philippe Lortscher.

Fabriquée de 1913 à 1916, à 3 095 exemplaires, et vendue pour un prix relativement abordable, la Bébé (ou «BB») Peugeot connaît un succès populaire. Issue d’un modèle de «voiturette légère deux places» pouvant atteindre les 60 km/h conçu par Ettore Bugatti, elle offre un modèle de petite taille économique, d’où son surnom de Bébé Peugeot. Elle s’inscrit dans un processus de démocratisation naissante de la voiture et contribue à la genèse du mythe tel qu’édicté par Bugatti : «Rien n’est trop beau, rien n’est trop cher!».
 
Géo Dorival. Imprimerie Cornille & Serre. Affiche de la 3e Exposition de la locomotion aérienne, 1910. Papier. Le Bourget, musée de l'Air et de l'Espace Le Bourget.
 
Géo Dorival. Imprimerie Cornille & Serre. Affiche de la 4e Exposition de la locomotion aérienne, 1912. Papier. Le Bourget, musée de l'Air et de l'Espace Le Bourget.
Louis Béchereau, Armand Deperdussin. Aéroplane Deperdussin type B, 1911. Bois, toile enduite, peinture, métal, matériaux synthétiques, 240 x 750 x 850 cm. Masse en charge 370 kg, Poids à vide 220kg. Surface alaire 14m². Musée de l'Air et de l'Espace, Le Bourguet. © Musée de l’Air et de l’Espace-Le Bourget / Photo Cyril Semenoff-Tian-Chansky.

La première Exposition internationale de la locomotion aérienne se tient au Grand Palais en 1909. Avec son « monoplan », le constructeur et homme d’affaires Armand Deperdussin fait sensation. S’allouant les services du jeune ingénieur Louis Béchereau, l’aéroplane type B dépasse pour la première fois les 200 km/h et remporte le trophée Gordon-Bennett des éditions 1912 et 1913. Le talent de Béchereau survit à la faillite de Deperdussin et s’exerce sur les appareils destinés à la guerre aérienne.
 
Moteur REP Type D, 1910. Métal, alliage cuivreux. Le Bourget, collection du musée de l'Air et de l'Espace. Le Bourget.

L’ingénieur et constructeur Robert Esnault-Pelterie veille à ce que chaque stand de la Ire Exposition de la locomotion aérienne de 1909 glorifie l'industrie aéronautique naissante. Le sien met à l’honneur ses aéroplanes monoplans à structure métallique, des systèmes de commande de vol et des moteurs en étoile, comme celui présenté ici.
 
Peugeot. Bicyclette pliante système Gérard transformée en 1912. Édition vers 1920. N° de série 44744. Acier, pneus caoutchouc, selle cuir, bretelles cuir. Paris, collection Christophe Lagrange.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Raymond Duchamp-Villon (1876-1918). Le Cheval majeur, 1914. Épreuve de 1984. Acier inoxydable brossé. Nancy, musée des Beaux-Arts de Nancy.

Affecté aux services médicaux de l'armée française, Raymond Duchamp-Villon succombe en 1918 d'une fièvre typhoïde, laissant inachevé son grand projet de Cheval majeur. Ses frères Jacques et Marcel poursuivront son œuvre en agrandissant la maquette sur laquelle il avait longuement travaillé. Elle ne sera fondue en acier que bien plus tard, en 1984, selon sa volonté originale. Parfaite incarnation de l'âge industriel, Le Cheval majeur allie la précision anatomique d’un corps animal au galop à la puissance implacable et mécanique de la machine.
 
Marcel Duchamp. Roue de bicyclette, 1913/1914. 126,5 x 31,5 x 6,5 / 53 cm (hauteur tabouret) / 73 cm (hauteur montage de la roue) / 63,5 cm (diamètre de la roue). Objet, Métal, bois peint. Musée National d’Art moderne, Centre Georges Pompidou © ADAGP, Paris 2023 © Association Marcel Duchamp Photo © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM-CCI) / Christian Bahier / Philippe Migeat.

En 1912, Marcel Duchamp visite le IVe Salon de la locomotion aérienne avec Fernand Léger et Constantin Brancusi. Captivé par une grande hélice exposée au milieu des moteurs et aéroplanes, il lance : «C’est fini, la peinture. Qui ferait mieux que cette hélice ?» et s’empare d’un tabouret pour y fixer une roue, qu’il fait tourner. L’année suivante, il achète au Bazar de l’Hôtel-de-Ville un porte-bouteilles et le signe. Érigeant ces objets «tout fait, déjà là» en œuvres d’art, il invente le concept de ready-made.
 
Robert Delaunay. Hommage à Blériot, 1914. Huile sur toile, 46,7 x 46,5 cm. Musée de Grenoble. Photo © Ville de Grenoble /Musée de Grenoble / J.L. Lacroix.

Après avoir visité l’aéroparc de Buc, près de Paris, Robert Delaunay rend hommage à la carrière de Blériot, grand constructeur de biplans, de monoplans et d’avions militaires, fondateur de ce terrain d’aviation. Poursuivant une recherche sur les contrastes simultanés, il construit le tableau autour du motif de l’hélice en mouvement. Sa rotation impulse une dynamique qui irradie toute la composition et traduit l’effervescence des meetings aériens.
 
Henri Rousseau (1844-1910) (dit aussi La Douanier Rousseau). Les Pêcheurs à la ligne, entre 1908 et 1909. Huile sur toile. Paris, EPMO, musée de l’Orangerie | Collection Walter-Guillaume.

Dans les années 1910, la conquête de l’air fascine les foules. Elle devient aussi un sujet de représentation privilégié des peintres. Henri Rousseau, dit le Douanier, introduit des dirigeables et aéroplanes dans plusieurs de ses œuvres. Dans Les Pêcheurs à la ligne, il représente le biplan Flyer A des frères Wright, pionniers américains de l’aviation, dont les démonstrations réalisées au Mans, en 1908, ont été largement diffusées par la presse. Marqueur de la modernité, cet avion traverse un paysage urbain d'où émerge la cheminée d’une usine.
Scénographie, vue depuis une ouverture au niveau de la section 9. Photo Gautier Deblonde.


Section 4 - « POIRET LE MAGNIQUE »

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Fils de drapier, Paul Poiret fonde très jeune sa maison de couture, en 1903. L’histoire retient qu’il a «libéré» la femme du corset en 1906. Il a surtout insufflé de la souplesse à ses modèles, tout en s’inspirant des artistes fauves et de l’esthétique orientale. Génie du «marketing», il invente le concept de produit dérivé, lançant dès 1911 le premier parfum de couturier. Il fonde, la même année, la Maison Martine, qui produit des arts décoratifs inspirés de la libre création de jeunes apprenties, sur le modèle des Ateliers viennois, les Wiener Werkstätte. Renforçant sa réputation grâce aux «stars» de l’époque, telles que les actrices Réjane et Mistinguett, il comprend très vite l’intérêt d’utiliser les nouveaux médiums que sont le film, la presse et la photographie pour diffuser ses modèles. Il est aussi parmi les premiers couturiers à s’installer sur les Champs-Élysées. Dans son hôtel particulier, il orchestre des fêtes mémorables, dont les déguisements participent aux mises en scène spectaculaires.

 
Texte du panneau didactique.
 
Marie Laurencin. La Songeuse, 1910-1911. Huile sur toile, 91,7 x 73,2 x 2,5 cm. Musée national Picasso, Paris. © ADAGP, Paris 2023, Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean © Fondation Foujita.
Scénographie (agrandissements ci-dessous). Photo Gautier Deblonde.
Alberto Santos-Dumont cesse de voler dès 1910, mais les cartes postales, caricatures et affiches publicitaires continuent de populariser l'élégante silhouette de l'aviateur, toujours tirée à quatre épingles. Confirmant son statut de dandy emblématique, la maison Cartier, fondée en 1847, lui dédie en 1904 la première montre-bracelet moderne. Celle-ci libère l'homme du gousset, en lui permettant de lire l'heure sur une montre portée au poignet, y compris dans l’action (voir plus bas, à la fin de cette section).
 
Weal. Nos aviateurs, 1909. Carte postale (à droite). Documentation Cartier Paris.

Durant toute la Belle Époque, les pionniers de l'automobile et de l'aviation multiplient les exploits au péril de leur vie, repoussant les limites de la vitesse et de la pesanteur. Pilote de ballon, de dirigeable et d'aéroplane, le brésilien Alberto Santos-Dumont met sa fortune au service de sa passion pour la mécanique. Il conçoit et teste toutes ses machines, épatant le Tout-Paris en survolant les toits de la capitale à basse altitude avec ses engins «plus légers que l'air».
 
Sem (Georges Goursat, dit) (1863-1934). Santos-Dumont et la Bénédictine. Planche 9, extraite du portfolio «Célébrités contemporaines et la Bénédictine», 1910. Lithographie en couleurs. Documentation Cartier Paris.

S'il fallait monter dans les nues pour boire de la Bénédictine, il y a longtemps que le problème de la locomotion aérienne serait résolu. A. Santos-Dumont.
Scénographie. Photo Spectacles Sélection.
 
- Paul Poiret - Atelier Martine (1879-1944). Corsage Les fleurs et faluche, vers 1915. Garde-robe de Denise Poiret. Filet en coton rose brodé de fil de soie polychrome à motifs floraux. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris.
- Paul Poiret (1879-1944). Robe estivale, vers 1911. Crêpe de coton ivoire, velours bouclé vert, broderies de fils de soie rouge, vert et blanc, ruban en satin vert foncé, pongé de soie ivoire. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris.

Reprenant l’idée d'ateliers d’arts appliqués, Poiret crée, en 1911, l’Atelier Martine, ainsi baptisé du nom de sa plus jeune fille. À la différence des ateliers viennois dont il s'inspire, ces lieux se donnent pour principe d’accueillir des adolescentes, issues de milieux modestes, en les laissant «libres et heureuses de créer». Les motifs qu'elles peignent à la gouache sont déclinés en étoffes, céramiques et papiers peints vendus dans une boutique Martine, au 83, rue du Faubourg-Saint-Honoré.
 
Paul Poiret. Robe Delphinium dite «Robe Bonheur» avec fond de robe à modestie pour Denise Poiret, 1912. Palais Galliera, Paris © Paris Musées / Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Paul Poiret. Tenue "Minaret" comprenant : une coiffure/turban à aigrette, une robe, une combinaison de robe (mannequinage moderne), un face à main miroir, une paire de chaussures (Marquise de Luppé née Albertine de Broglie 1872-1946), 1911. Collection particulière © CNCS.
 
Paul Poiret - Atelier Martine (1879-1944). Paravent à trois feuilles, vers 1912-1913. Bois, broderie en application sur fond de soie. Paris, EPMO, musée d'Orsay.

Le Paravent à trois feuilles est un bel exemple du renouvellement des arts décoratifs par l'Atelier Martine. Le fond noir évoque à la fois le bois d'ébène utilisé par les ateliers viennois et le laqué des meubles chinois, en vogue dans les années 1910. La découpe de la feuille centrale, arrondie en son sommet, et le lacis de tiges peintes rappellent encore les lignes de l'art nouveau. Les roses, aux lignes géométriques, s'apparentent toutefois à la rose stylisée de Paul Iribe qui deviendra un emblème de l'art déco.
 
Robert Delaunay (1885-1941). Portrait d'Henri Carlier, 1906. Huile sur toile. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée Fabre, Montpellier | Achat, 1945.

Une nouvelle génération d'artistes trouve en Paul Poiret un partenaire de choix et un soutien financier. En 1910, le couturier accorde au galeriste Henri Barbazanges le bail d’un local compris dans l'enceinte de son hôtel particulier, avenue d'Antin. L'exposition «Les peintres Robert Delaunay et Marie Laurecin» ouvre en février 1912. Elle offre à Delaunay sa première rétrospective d'envergure, avec 46 toiles, incluant celles de ses débuts post-impressionnistes, dont témoigne ce portrait d'Henri Carlier.
 
Georges Lepape (1887-1971). Femme au turban persan, 1911. Gravure rehaussée au pochoir. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de Paris.

La fête déguisée de la Mille et Deuxième Nuit de 1911 est l'occasion pour Poiret de laisser libre cours à son goût pour le style oriental. En 1913 il imagine dans le même esprit les costumes pour la pièce Minaret de Jean Richepin, jouée au Théâtre de la Renaissance. Le succès est tel que le couturier poursuit la commercialisation d'une robe Minaret, pour le soir. Elle est composée d'une robe en satin et mousseline portée sur un sarouel, accompagnée de souliers, d'un éventail et d'un turban oriental à aigrette.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
Scénographie. Paul Iribe (1883-1935). Planches extraites de l’album Les Robes de Paul Poiret racontées par Paul Iribe, 1908. Gravure rehaussée au pochoir. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de Paris de la Ville de Paris.

Né d’un travail à quatre mains, l’album Les Robes de Paul Poiret racontées par Paul Iribe révolutionne l'illustration de mode en 1908. Empruntant aux compositions raffinées de la fin du XVIIIe siècle, il impose une rupture forte au regard des ouvrages existants. Les lignes et les plans sont simplifiés, l’utilisation partielle de la couleur sur les silhouettes contraste avec l’arrière-plan, laissé en réserve, en référence aux estampes japonaises. Une édition de luxe est envoyée en exclusivité aux grandes clientes du couturier. Photo Spectacles Sélection.
 
Edward Steichen (1879-1973). «L'art de la robe» (photographies d'Edward Steichen, texte de Paul Cornu), Art et décoration, avril 1911, P. 101-118. Hebdomadaire illustré. Lens, Librairie Diktats.

En 1911, Paul Poiret est sollicité par l’éditeur Lucien Vogel qui souhaite publier des photographies des modèles de sa collection. Onze photographies en noir et blanc, mises en scène par Edward Steichen, paraissent dans la revue Art et décoration. L'artiste, représentant du courant pictorialiste, construit chaque «tableau» autour d’une narration fictionnelle. L'ensemble est considéré comme la première série éditoriale de photographie de mode. Deux planches en couleurs, tirées à partir d’autochrome, sont réalisées par la maison Photo-Couleur.
 
Henri Manuel (1874-1947). «Une leçon d'élégance dans un parc» (photographies d'Henri Manuel, texte de Gustave Babin), L'Illustration, 9 juillet 1910. Hebdomadaire illustré. Lens, Librairie Diktats.

L'article «Une leçon d'élégance dans un parc» paraît le 9 juillet 1910 dans le journal L'Illustration. Le journaliste Gustave Babin y rend compte d’un défilé organisé à l’hôtel d’Antin par Paul Poiret. L'auteur y suggère que le défilé a été orchestré par le couturier dans le but de charmer la presse et d'attirer le regard du photographe, Henri Manuel. Poiret fait ici preuve d’une grande clairvoyance sur le pouvoir de la photographie pour assurer sa publicité.
Scénographie. Georges Lepape (1887-1971). Planches extraites de l'album Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape, 1911. Gravure rehaussée au pochoir. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de Paris de la Ville de Paris. Photo Spectacles Sélection.
 
Georges Lepape (1887-1971). Planche extraite de l'album Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape, 1911. Gravure rehaussée au pochoir. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de Paris de la Ville de Paris.

En 1911, un nouvel album paraît: Les Choses de Paul Poiret vues par Georges Lepape. Fruit de la collaboration entre le couturier et l’illustrateur art déco, il transcrit toute la vitalité du style «Ballets russes». La technique du pochoir permet de rendre l'impact chromatique fort de cette période, en rupture avec les pastels des années 1900. Les saphir, framboise, lilas, lavande, citron, orange et vert s'opposent dans un jeu de lumière audacieux.
 
Les parfums de Rosine. Éventail publicitaire, 1911-1915. Papier, impression en couleurs, bois teinté, métal. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de Paris.
 
Les Parfums de Rosine. Hahna l'étrange fleur, ensemble flacon et boîte, 1910. Flacon: métal, bouchon et étiquette rouges, fleur en relief au verso; coffret: carton, papier, métal. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de Paris.

En 1911, Paul Poiret lance le premier parfum de couturier. Via sa société Les Parfums de Rosine, il établit une chaîne de production dont il contrôle tous les aspects: de l’usine, qu'il ouvre à Courbevoie pour concocter ses parfums de synthèse, au graphisme et à l'impression pour la diffusion publicitaire, en passant par la verrerie, pour les flacons, et la cartonnerie, pour les emballages. Chacun de ses parfums, associé à un modèle de la collection, est présenté dans un coffret conçu par un illustrateur de renom, et complété par une gamme de cosmétiques.
 
Les Parfums de Rosine. Flacon de parfum Aladin dans son coffret, vers 1911. Flacon: métal argenté, chaînette; boîte: carton imprimé, intérieur garni d’un tissu polychrome rayé. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de Paris.
 
Jacques-Émile Blanche (1861-1942). Tamara Karsavina dansant L'Oiseau de feu, 1910. Huile sur toile. Paris, BnF, bibliothèque-musée de l'Opéra.

Dès 1909, Serge Diaghilev commande des œuvres nouvelles pour enrichir le répertoire des Ballets russes qu'il vient de fonder. Pour composer la musique de l'Oiseau de feu, il fait appel à un jeune compositeur: Igor Stravinsky. Achevée en quelques mois, la partition surprend par sa nouveauté. Déroutée par cet avant-gardisme, la danseuse Anna Pavlova refuse de danser le rôle-titre. Sa remplaçante, Tamara Karsavina, ne parvient à assimiler la musique qu'avec l'aide du compositeur. L'œuvre est finalement accueillie triomphalement, le 25 juin 1910.
 
Cartier Paris. Montre-bracelet Santos Dumont, 1912. Or jaune, or rose, un cabochon de saphir, bracelet cuir. Cette pièce particulièrement rare est l’une des toutes premières Santos, modèle produit par Cartier dès 1911. 3,42 x 2,48 cm. Collection Cartier / Photo © Cartier / Marian Gérard.

Alberto Santos-Dumont cesse de voler dès 1910, mais les cartes postales, caricatures et affiches publicitaires continuent de populariser l’élégante silhouette de l’aviateur, toujours tirée à quatre épingles. Confirmant son statut de dandy emblématique, la Maison Cartier fondée en 1847 lui dédie en 1904 une montre-bracelet masculine. Celle-ci libère l’homme moderne du gousset, en lui permettant de lire l’heure sur une montre portée au poignet, y compris dans l’action.


Section 5 - LE THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES EST OUVERT !

Scénographie (premiers mois de l'exposition). Photo Gautier Deblonde..

À son ouverture en 1913, le Théâtre des Champs-Élysées est à la pointe de la modernité. Construit par Auguste et Gustave Perret, le bâtiment en béton armé allie des matériaux et des technologies innovantes à une esthétique épurée, qui annonce l’art déco. Le sculpteur Antoine Bourdelle conçoit la décoration de la façade et supervise la décoration intérieure. Différents artistes y participent, dont Maurice Denis, Édouard Vuillard ou encore Jacqueline Marval. La programmation novatrice est inaugurée par les Ballets russes, fondés par Serge Diaghilev, et dont le danseur vedette est Vaslav Nijinski. Le 29 mai 1913, sur la musique d’Igor Stravinsky, la troupe choque le public et la critique avec Le Sacre du printemps, faisant entrer l’œuvre et le Théâtre des Champs-Élysées dans la légende. Ces ballets hauts en couleur, dont les costumes sont souvent inspirés du folklore traditionnel russe, suscitent un véritable engouement et influencent aussi bien la mode que la joaillerie de l’époque.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jacques-Émile Blanche (1861-1942). Igor Stravinsky, 1915. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay. En dépôt au Musée de la musique - Philharmonie de Paris.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Vue intérieure du théâtre des Champs-Élysées.
 
Scénographie (détail ci-dessous).
 
Cartier Paris. Pendentif Égyptien, 1913. Platine, diamants, onyx, soie noire. Collection Cartier.
 
Cartier Paris. Montre-bracelet à motif taches de panthère, 1914. Platine, or rose, diamants, onyx, bracelet moire.  Collection Cartier.

Cette montre-bracelet Cartier joue encore sur l'opposition chromatique. L'onyx sur un fond de diamants produit un pavage, surnommé plus tard «peau de panthère». Si cet effet de pelage apparaît dès 1914, c’est à partir des années 1950 que le félin devient l'emblème de la maison Cartier, qui en fait le symbole d’une féminité affranchie des conventions.
Cartier Paris. Diadème, 1914. Platine, diamants, perles fines, onyx, émail noir, hauteur au centre 4,3 cm. Collection Cartier © Cartier / Vincent Wulveryck.

Ce diadème en onyx, émail, perles fines et diamants sur monture platine de la Maison Cartier est annonciateur de ce qui sera qualifié d’«art déco», à partir de 1925. Reprenant le motif traditionnel d’un arbre de vie oriental, sous une forme stylisée en noir et blanc, il témoigne d’un art de la synthèse tout en élégance.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Scénographie. En haut : Cartier Paris. Diadème Russe, 1908. Platine, diamants, perles fines. Collection Cartier.

Attestée dès le début du XXe siècle, l’influence russe est tangible dans ce bijou aux perles fines, serti de diamants. Il reprend le style des kokochniks du XIXe siècle - de kokosch, «crête de coq», en russe -, que caractérise leur forme de croissant pointant vers l'avant.
 
Cartier Paris. Lampe à parfum, 1907. Aventurine (urne et bouchon), vermeil, émail translucide bleu sur fond guilloché, émail blanc, saphirs. Collection Cartier.

La fascination suscitée par les Ballets russes inspire à la maison Cartier la fameuse combinaison bleu-vert, aussi baptisée «décor de paon». Cette innovation est alors considérée comme risquée par les tenants du bon goût. Elle est impulsée par la fertile collaboration entre Louis Cartier, à la tête de Cartier Paris, et Charles Jacqueau. Ce dessinateur de talent est recruté en 1909.
 
Cartier Paris. Pendulette à chevalet, 1913. Platine, or, argent, métal doré, émail translucide pervenche sur fond guilloché, émail blanc, diamants. Collection Cartier.
 
Cartier Paris. Paire de jumelles de théâtre, 1912. Platine, jais, vernis noir, diamants. Collection Cartier.
Scénographie (premiers mois de l'exposition). Photo Gautier Deblonde..
 
Nicolas Roerich (d'après) (1874-1947). Costume pour une jeune femme rouge dans Le Sacre du printemps, ballet de Vaslav Nijinski, reprise à l'opéra de Paris, 1991. Tissu, coton, cuir. Paris, Opéra national de Paris.

Dans la chorégraphie, Nijinski impose des postures contraires à celles habituelles en danse classique : le buste fait face au public, tandis que la tête et les jambes sont de profil; les jambes sont liées et les pieds sont en dedans au lieu d’être en dehors. Les costumes de Nicolas Roerich sont jugés hideux et informes par le public: danseurs et danseuses sont vêtus de manière identique, avec de longues tuniques de toile portées sur des bas maintenus par des bandes molletières, qui uniformisent les corps.
 
Nicolas Roerich (d'après) (1874-1947). Costume pour jeunes gens dans Le Sacre du printemps, ballet de Vaslav Nijinski, reprise à l'opéra de Paris, 1991. Tissu, cuir, fausse fourrure. Paris, Opéra national de Paris.

 
Jacqueline Marval (1866-1932). La Danse bleue, 1913. Huile sur toile marouflée sur panneau. Paris, Société immobilière du Théâtre des Champs-Élysées (SITCE).

L'intérieur du Théâtre des Champs-Élysées est décoré par de nombreux artistes, supervisés par Antoine Bourdelle. Maurice Denis décore la coupole, où il propose une «synthèse de l’histoire de la musique». Édouard Vuillard, Ker Xavier Roussel, Henri Lebasque participent à la réalisation des décors intérieurs.  Jacqueline Marval conçoit un ensemble de dix tableaux pour le Foyer de la danse, situé dans les coulisses, autour du thème de Daphnis et Chloé. Les luminaires sont conçus par René Lalique.
 
Sem (Georges Goursat, dit) (1863-1934). Le Massacre du printemps [Gabriel Astruc, Vaslav Nijinski, Frédéric Madrazzo], planche XXXVI, extraite du portfolio 19. Tangoville-sur-Mer, 1913. Lithographie en couleurs. Paris, Association Sem.

Provoquant un immense scandale, Le Sacre du printemps, rebaptisé le «massacre du printemps», fait l’objet de caricatures. Le célèbre Sem représente ainsi Gabriel Astruc, le directeur du Théâtre des Champs-Élysées, dansant avec Nijinski, dans son costume du Spectre de la rose. Non loin, le cheval de course El Tango entame un pas de deux avec son jockey, tandis que le peintre et librettiste Federico de Madrazo y Ochoa, dit Coco, s’élance au bras d'un singe déguisé en femme, emprunté à un spectacle alors en vogue.
- Adolf de Meyer (1868-1946) édité par Paul Iribe (1883-1935). Nijinsky, visage levé, couché sur le ventre. PI. XXIX extraite du Prélude à l'après-midi d'un faune, Éditions Paul Iribe, 1914. Épreuve photomécanique (collotype). Paris, EPMO, musée d'Orsay.

En 1912, Nijinsky produit sa première création en qualité de chorégraphe avec L'Après-midi d'un faune. Sur la musique de Claude Debussy, ce ballet en un acte est conçu en étroite relation avec le décorateur et costumier Léon Bakst. Les mouvements des danseurs étudiés pour être vus de profil s'inspirent des figures qui ornent les vases grecs. Les photographies du baron de Meyer, éditées par Iribe, sont le seul témoignage de la scène finale où le faune se couche sur l'écharpe de la nymphe désirée, choquant le public.

- Adolf de Meyer (1868-1946) édité par Paul Iribe (1883-1935). Nijinsky à mi-corps, tenant une grappe de raisin. PI. XXI extraite du Prélude à l'après-midi d'un faune, Éditions Paul Iribe, 1914. Épreuve photomécanique (collotype). Paris, EPMO, musée d'Orsay.

Formé à l’école du ballet de Saint-Pétersbourg, Vaslav Nijinski fait encore partie de la troupe de danseurs des Théâtres impériaux lorsqu'il fait la connaissance de Serge Diaghilev. Dès la première saison des Ballets russes, il devient la vedette emblématique et charismatique de la compagnie. Le public se presse pour admirer à la fois sa technique spectaculaire et sa sensualité androgyne. Il marque d’une empreinte indélébile les rôles qu’il interprète et les ballets qu'il crée, entre 1909 et 1912.

- Adolf de Meyer (1868-1946). Nijinsky, visage de profil, un fifre dans la bouche, couché jambe droite pliée. PI. XXVIII extraite du Prélude à l'après-midi d'un faune, Éditions Paul Iribe, 1914. Épreuve photomécanique (collotype). Paris, EPMO, musée d'Orsay.
 
Antoine Bourdelle (1861-1929). Onzième étude de la deuxième façade. Crayon au graphite, plume et encre brune, aquarelle sur papier vélin. Paris, musée Bourdelle.
 
Auguste Perret (1874-1954). Théâtre des Champs-Élysées, avenue Montaigne, Paris 8e, axonométrie éclatée de l’ossature en béton armé. Tirage rehaussé d'encre et de crayon. Paris, Cité de l'architecture et du patrimoine, Centre d'archives d'architecture contemporaine.
 
Antoine Bourdelle (1861-1929). La Danse (représentation de la danseuse Isadora). Plume et pinceau, encre noire et lavis d'encre noire sur papier. Paris, musée Bourdelle.

Commandé par Gabriel Astruc, directeur de la Société musicale, le Théâtre des Champs-Élysées relève d'une entreprise collective. Auguste et Gustave Perret en conçoivent l'architecture entre 1911 et 1913, et Antoine Bourdelle le décor sculpté. Le thème d'Apollon et les muses et les allégories des arts sont déclinés en frise et bas-reliefs sur toute la façade. Pour La Danse, Bourdelle s'inspire des vedettes emblématiques que sont alors Isadora Duncan et Vaslav Nijinski. Le sculpteur parvient à retranscrire leur célèbre déhanchement dans le cadre contraint qui lui est imparti.
 
Antoine Bourdelle (1861-1929). La Musique. Plume et pinceau, encre noire et lavis d'encre noire sur papier. Paris, musée Bourdelle.


Section 6 - LA FRANCE EN GUERRE

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La vie de tout un peuple bascule : 72 millions d’hommes sont mobilisés, et beaucoup connaissent l’enfer des tranchées. Cette guerre sera l’une des plus meurtrières de l’histoire, avec près de 10 millions de morts et plus de 21 millions de blessés. À Paris, les taxis entrent dans la légende, en acheminant des soldats jusqu’au front de la première bataille de la Marne. Le Grand Palais sert de caserne, puis d’hôpital militaire, dépendant du Val-de-Grâce. Il accueille les soldats estropiés et soigne les «gueules cassées», victimes de cette guerre scientifique et moderne aux armes nouvelles. Pour la première fois, cette guerre est filmée et photographiée : les images du front, diffusées à Paris, contredisent les images de propagande. Visés par les zeppelins (dirigeables de fabrication allemande), les avions et les canons ennemis, les civils parisiens ne sont pas épargnés. Les femmes s’engagent comme infirmières, remplacent les hommes aux postes laissés vacants, et gagnent leur vie, entre autres, dans des usines d’armement, où elles sont payées moitié moins que les hommes. Les enfants – parfois eux aussi amenés à travailler – sont nombreux à devenir orphelins, « pupilles de la nation ».

 
Texte du panneau didactique.
 
Georges Bertin Scott. Effet d’un obus dans la nuit, 1915. Dessin à l’encre et au pastel avec rehauts de gouache sur papier 67 x 101 cm. Musée de l’armée, Paris. © RMN-Grand Palais (Paris – Musée de l’Armée) / Hubert Josse.

Ayant déjà couvert les guerres balkaniques en 1912, Georges Scott produit de nombreux dessins pendant la Grande Guerre, pour L’Illustration. Dans Effet d’un obus dans la nuit, il rend compte de manière saisissante de la déflagration d’un obus, qui souffle tous les soldats sur son passage. Une exposition lui est consacrée à la galerie Georges Petit en février 1915, «Visions de guerre».
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Exposition d'œuvres d'art mutilées ou provenant des régions dévastées par l’ennemi, Petit Palais. Canons donnés à la ville de Verdun après 1870, 1916. Tirage au gélatino-bromure d'argent. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris.

Pendant la guerre, les salons des beaux-arts cèdent la place, à Paris, à des expositions patriotiques. Au Petit Palais, est organisée une exposition des œuvres d'art mutilées, durant l’hiver 1916-1917. Les œuvres et sculptures rapportées des églises des régions dévastées rendent tangible le caractère barbare de l'ennemi, et suscitent émotion et indignation.
 
Exposition d'œuvres d'art mutilées ou provenant des régions dévastées par l’ennemi, Petit Palais. La cloche de Carency (Pas-de-Calais), 1916. Tirage au gélatino-bromure d'argent. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris.
Chronologie : Le Temps de la Grande Guerre (1914-1919)

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Jacqueline Marval (1866-1932). Jeune fille assise, vers 1918. Huile sur toile. Collection particulière | courtesy Comité Jacqueline Marval.
 
Jacqueline Marval (1866-1932). Poupées patriotiques, 1915. Huile sur toile, 80 x 70 cm. Comité Jacqueline Marval. Photo © Courtesy Comité Jacqueline Marval, Paris / Nicolas Roux Dit Buisson.
Scénographie. Photo Spectacles Sélection.
 
Godefroy Ménanteau. Église Saint-Gervais. Point de chute d'obus, 29 mars 1918. Tirage au gélatino-bromure d'argent. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris.

Le 29 mars 1918, l’église Saint-Gervais-Saint-Protais, située derrière l’hôtel de ville de Paris, est touchée par un obus, alors qu’une foule y célèbre Pâques en nombre. L'explosion fait s'effondrer le toit. Le bilan est de 80 morts et autant de blessés, majoritairement des femmes et des enfants. L'église sinistrée est immédiatement photographiée. Le bombardement de Saint-Gervais est vécu comme un double crime de guerre: au sacrilège du lieu saint profané s’ajoute l’injustice commise contre des civils.
 
Fernand Cuville (1887-1927). L'Arc de triomphe protégé contre les bombardements, vu des Champs-Elysées, 1918. Tirage d'après un autochrome. Boulogne-Billancourt, musée départemental Albert-Kahn. Archives de la Planète.
 
Maurice Busset (1879-1936). Paris bombardé, page de garde avec titre, 1918. Gravure sur bois en couleurs. Le Bourget, musée de l'Air et de l'Espace.
 
Bombe sphérique explosive de 60 kg du zeppelin LZ 77, bombardement du 29 janvier 1916, 161, rue de Ménilmontant, Paris. Acier, fonte. Paris, musée de l'Armée.

Très tôt, les Allemands utilisent l'aviation, non seulement à des fins de propagande, mais aussi militaires. À partir de 1915, des zeppelins larguent de nuit de lourdes torpilles qui causent des dégâts massifs et instaurent la peur. Le 29 janvier 1916, ce sont des bombes sphériques en acier qui touchent le quartier de Belleville, détruisant sept maisons, tuant 25 personnes et en blessant 18 autres. La bombe ici exposée est l’une des trois à ne pas avoir explosé en percutant le sol.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Alfred Roll (1846-1919). Soldat et infirmière, étude pour l'affiche Les Blessés de la tuberculose, 1916. Pastel sur papier contrecollé sur toile. Paris, Petit Palais - musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
 
Jean Cocteau (1889-1963). Guillaume Apollinaire blessé, 1917. Tirage gélatino-argentique. Paris, collection particulière.

Le Polonais Wilhelm-Apollinaris de Kostrowitzky demande sa naturalisation pour pouvoir se battre. Devenant français sous le nom de Guillaume Apollinaire en mars 1916, il devient sous-lieutenant au 96e régiment d'infanterie. S’illustrant par son courage sur le front, en Champagne et dans l’Aisne, où il écrit Calligrammes, poème de la guerre et de la paix, il est blessé d’un éclat d’obus à la tempe en 1916. Survivant à la trépanation, il périra de la grippe espagnole le 9 novembre 1918 à Paris - deux jours avant que la victoire n'arrive enfin.
 
Georges Scott (1873-1944). L'Illustration, n° 3735, 12-19 septembre 1914. Couverture: «Et maintenant... en avant!». Hebdomadaire illustré. Neuilly-sur-Seine, collection Rémi Chapotin.

Les hostilités stimulent le développement de revues illustrées comme Le Miroir, L'Illustration ou J'ai vu. Les images de guerre toujours plus sensationnelles alimentent leur «une» et leurs colonnes. Malgré les interdictions formelles, les journaux font régulièrement appel aux photographes amateurs, en particulier aux soldats, en excellente position pour prendre des clichés du front. Les images diffusées par ces revues, parfois terrifiantes, contrastent fortement avec l’imagerie officielle véhiculée par la section photographique de l’armée (SPA).
 
«Un lieutenant allemand tué dans l'arbre d'où il tirait...» dans Le Miroir, n° 54, 6 décembre 1914. Hebdomadaire illustré. Péronne, Historial de la Grande Guerre.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Félix Vallotton (1865-1925). Soldats sénégalais au camp de Mailly, 1917. Huile sur toile. Beauvais, MUDO - musée de l’Oise.

Ces Soldats sénégalais au camp de Mailly témoigne d’une troublante distanciation avec son sujet. Se détachant sur le paysage de neige dominé par les aplats blancs, des baraquements sont figurés par Félix Vallotton de manière presque naïve. Dispersés seuls ou en groupe, les soldats sénégalais, figurés en rouge et jaune, sont assis à même le sol, dans une immobilité silencieuse et une quiétude qui tranche avec l’enfer des combats.
 
Félix Vallotton (1865-1925). Église des Hurlus en ruines, 1917. Huile sur toile. Paris, EPMO, musée d'Orsay.

Félix Vallotton fait partie des peintres aux armées qui se voient investis d’une mission officielle pour traduire en peinture «l’atmosphère du front». Il réalise ainsi en 1917 une tournée de trois semaines sur le front de Champagne. Les deux œuvres présentées dans cette salle datent de cette période. L'Église des Hurlus en ruines montre un paysage dévasté, traversé par un chemin boueux menant vers un horizon hérissé de ruines. Plutôt que de montrer la crudité de l’horreur, Vallotton exprime une trouble mélancolie.
 
François Flameng (1858-1923). Entre l’Yser et Bixschoote, 31 juillet 1917. 5 h du matin, 1917. Aquarelle, rehauts de gouache, crayon graphite sur papier vélin. Paris, musée de l’Armée.

Président d'honneur de la Société des peintres militaires français, François Flameng fait plusieurs incursions sur le front. Ses croquis et esquisses rendent compte de la vie des soldats, mais aussi d'attaques de nuit, de scènes en mouvement ou encore de vues aériennes, que la photographie peine à capturer.
 
François Flameng (1858-1923). Les Masques, août 1917. Aquarelle, gouache et crayon graphite sur papier vergé. Paris, musée de l’Armée.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Mela Muter (1876-1967) (Marie-Melania Klingsland, dite). Les Soudanais, vers 1919. Huile sur toile. Paris, musée d’Art moderne de Paris.

Ce tableau témoigne de l’implication dans le conflit mondial des «tirailleurs sénégalais», corps composé de soldats recrutés dans toute l'Afrique de l'Ouest, du Centre et de l’Est. Parfois aussi qualifiés de «Soudanais», du nom de la colonie française dont certains sont issus, ils sont environ 134 000 en France, à l'issue du conflit.
 
Marevna. La mort et la femme, 1917. Huile sur bois, 107 x 134 cm. Association des Amis du Petit Palais, Genève. Photo © Studio Monique Bernaz, Genève.

La guerre fait violemment irruption dans cette œuvre de Marie Vorobieff, dite Marevna, arrivée de Russie en 1912. Une jeune femme, en robe légère, et bas résilles, disparaît sous un masque à gaz. Assise face à elle, la Mort a les traits d’un soldat médaillé en uniforme bleu horizon. Son corps mutilé est doté de prothèses à la jambe et aux mains. Le carrelage en noir et blanc évoque un échiquier. La scène s’apparente à une sinistre partie d’échecs, dont l’issue s’annonce funeste.
 
Paul Poiret (1879-1944). Capote de troupe en drap bleu horizon, fermée par six boutons métalliques gris, 1915. Péronne, Historial de la Grande Guerre.

Mobilisé le 14 août 1914, Paul Poiret intègre l’infanterie territoriale. Jaugeant sa tenue militaire d’un œil expert, il suggère à l’armée certaines améliorations, en particulier concernant la capote. Son modèle simplifié nécessite moins de tissu et de main-d'œuvre; il est adopté en septembre 1914. À l’usage, il se révèle peu satisfaisant: les poches font défaut pour les munitions, les jambes sont insuffisamment couvertes, et le haut du corps n'est pas assez protégé contre le froid et l'humidité. Un autre modèle lui est préféré dès 1915.
 
André Derain (1880-1954). Portrait de Paul Poiret, 1815. Huile sur toile. Grenoble, musée de Grenoble.

Revenu à Lisieux, où il est affecté à la 15e compagnie, Paul Poiret jouit du privilège de dormir à l'hôtel Le Maure. Affecté dans la même compagnie, le peintre André Derain y fait ce portrait aux couleurs patriotiques. Posant en civil, le couturier y fume sa pipe dans un fauteuil bleu, portant cravate et gilet rouge sous une veste blanche. Par patriotisme, il a fait tendre sa chambre d’hôtel aux couleurs tricolores.
Scénographie avec, sur le mur : La Guerre scientifique et moderne - Les éclaireurs de l'air, 1915. Annonce du film officiel du ministère de la Guerre, imprimerie Marcel Picard. Lithographie et typographie couleur. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris. Photo Spectacles Sélection.
 
Casque américain de la première armée pour brancardier. Coque sablée aux couleurs de camouflage, métal, drap. Péronne, Historial de la Grande Guerre.
 
Char en tôle évoquant la silhouette du Renault FT17. Tôle, peinture camouflée, mécanisme de remontoir, caoutchouc. Indication dessous: «Jouet français». Péronne, Historial de la Grande Guerre.

Le peintre et décorateur nancéen Louis Guingot imagine, en août 1914, une tenue «caméléon», pour que les soldats passent le plus inaperçus possible dans les zones de combat. Ce principe consiste à juxtaposer des taches aux couleurs de terre, d'herbe et de feuillages. Il est bientôt étendu et utilisé plus largement sur de grandes bâches destinées à dissimuler des véhicules, des armes ou des positions. Cette technique de camouflage permet aux soldats d’observer sans être vus ou d'échapper à la vigilance des avions de repérage qui les survolent.
 
Carte d’ambulancière de Marie Vassilieff, 1914. Papier. Paris, collection Claude Bernès.
 
- Jean Cocteau (1889-1963). Paul Iribe (1883-1935). Le Mot, n° 16, 1re année, 3 avril 1915. Hebdomadaire illustré. Péronne, Historial de la Grande Guerre.
- Guillaume Apollinaire (1880-1918). Calligrammes. Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916), Mercure de France, 1918. Livre relié, avec une illustration de Pablo Picasso. Exemplaire de l'édition originale, sur papier vélin.
Péronne, Historial de la Grande Guerre.
- Blaise Cendrars (1887-1961). La Main coupée. Société des éditions Denoël, 1946. Livre relié.
Péronne, Historial de la Grande Guerre.


Section 7 - LOIN DU FRONT, LA VIE REPREND

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

La vie culturelle parisienne s’interrompt brutalement lorsque la capitale est déclarée en état de siège, en août 1914. Elle reprend progressivement à la fin de l’année 1915. L’association Lyre et Palette propose des lectures, des concerts, mais aussi la première exposition française d’art africain et océanien, en novembre 1916, dans l’atelier du peintre Émile Lejeune. Chez Paul Poiret, la galerie Barbazanges présente «L’art moderne en France», en juillet 1916, exposition organisée par André Salmon. Picasso y expose pour la première fois ses Demoiselles d’Avignon. L’année suivante, une exposition consacrée à Amedeo Modigliani à la galerie Berthe Weill doit en partie être démontée pour «atteinte à la pudeur», ses Nus affichant des poils sur certaines parties du corps !
Les théâtres, les salles de spectacle rouvrent peu à peu, et le public fréquente les cinémas pour se divertir. Avec la tenue du ballet Parade, en 1917, au Théâtre du Châtelet, cette période connaît, paradoxalement, une effervescence culturelle et des innovations artistiques majeures.

 
Texte du panneau didactique.
 
Tullio Garbari (1892-1931).  Les Intellectuels au café, 1916. Huile sur toile. Genève, musée du Petit Palais.

Alors que les soldats se battent, la vie reprend. Partout, les terrasses s’animent à nouveau. Cette scène, peinte en 1916 par Tullio Garbari, depuis Milan, en témoigne. Des «intellectuels» en nœud papillon y devisent sur les confortables banquettes rouges d’un café. Les soldats en permission sont choqués de découvrir, à l’arrière, cette vie qui se poursuit parmi ces «planqués», loin de l’enfer du front.
 
Jean Cocteau (1889-1963). Autoportrait à Rome, 1917. Encre sur papier. Paris, collection particulière.
 
Jean Cocteau (1889-1963). La Petite Fille américaine dans «Parade», 1917. Tirage original. Paris, collection particulière..
 
PARADE

Jean Cocteau (1889-1963), livret; Pablo Picasso (1881-1973), décors, costumes et rideau de scène; Erik Satie (1866-1925), musique; Léonide Massine (1886-1979), chorégraphie.

Ballet Parade, 1917; chorégraphie remontée par Susanna Della Pietra, supervisée par Lorca Massine, programme «Picasso et la danse», Europa Danse, 2007.
Enregistré lors de sa projection au Théâtre du Châtelet, Paris, 14 mai 2016.

Pour le ballet Parade, Jean Cocteau réunit autour de lui des artistes d’avant-garde: Erik Satie pour la musique, Picasso pour les décors et les costumes, Léonide Massine pour la chorégraphie. L'argument est simple: devant l'entrée d’une baraque foraine, des artistes de cirque font la parade pour inciter le public à entrer, encouragés par leurs managers.
Le 18 mai 1917, la première représentation au Théâtre du Châtelet provoque le scandale. La légèreté du propos, le son d’une sirène ou d’une machine à écrire intégré dans la musique, le style cubiste des costumes : tout choque, en cette période troublée.
 
Pablo Picasso (1881-1972). Ateliers de l’Opéra national de Paris.
- Costume du ballet Parade: le Cheval, 1979. Refait d'après l'original de 1917. Bois, toile de coton et corde peints. Paris, Opéra national de Paris. Le costume du cheval du ballet Parade a été conçu pour deux danseurs et permet une plus grande liberté de mouvement que celui des managers. L'animal formé par le couple d’acrobates pouvait trottiner, se ruer et se cabrer. La tête évoque un masque africain, source d'inspiration majeure pour Picasso.
- Costume du ballet Parade: le Manager new-yorkais, 1979. Refait d'après l'original de 1917. Structure: bois, toile de coton peinte; porte-voix: bois, papier mâché; panneau «Parade»: contreplaqué peint. Paris, Opéra national de Paris. Pour les personnages des managers, Picasso imagine un costume imposant, de près de trois mètres de haut. Construit en bois, toile peinte et papier mâché, il entrave les danseurs et leur confère des allures d’automate. Le manager américain est équipé d'un mégaphone et porte sur le dos des gratte-ciel new-yorkais, sur lesquels flottent des fanions de paquebot. Picasso applique à ces costumes les codes esthétiques du cubisme et semble donner vie aux personnages de ses tableaux.
 
Kees Van Dongen. La vasque fleurie ; le modèle est la Casati, 1917. Huile sur toile, 100 x 81 cm. Musée d’Art Moderne, Paris. © ADAGP, Paris 2023 Photo © RMN-Grand Palais (Paris Musées, musée d’Art moderne) / image Ville de Paris.

Kees Van Dongen fait ici le portrait sensuel de sa maîtresse, l’excentrique et fortunée comtesse Luisa Casati. Elle apparaît perchée sur de hauts talons, contemplant sa nudité à peine voilée dans un miroir. Le crâne, luisant (à droite) dans la pénombre, contraste avec cette scène, évocatrice de la vie mondaine que le peintre mène alors avec sa maîtresse, loin du front. Comme dans les anciennes vanités, il rappelle que la mort rôde en cette période de guerre.
 
Léonard Foujita (Tsuguharu Foujita, dit) (1886-1968). Fillette, 1917. Huile sur toile, 35 x 27,5 cm. Musée d’Art Moderne, Paris. © Fondation Foujita / ADAGP, Paris 2023 Photo © RMN-Grand Palais (Paris Musées, musée d’Art moderne) / image Ville de Paris.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Amedeo Modigliani (1884-1920). Portrait de Dédie [Odette Hayden], 1918. Huile sur toile. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou. Don M. et Mme André Lefèvre, 1952.
 
Jeanne Hébuterne (1898-1920). Autoportrait, 1916. Huile sur carton. Genève, musée du Petit Palais.

Jeanne Hébuterne, à la fois peintre et modèle, étudie à l'académie Colarossi lorsqu'elle réalise cet autoportrait. Les teintes bleues font ressortir la pâleur de son teint, qui lui vaut le surnom de «noix de coco». À tout juste 18 ans, elle pose, à l’occasion, pour Foujita. Peu de temps après, la sculptrice Chana Orloff lui présentera Amedeo Modigliani, avec qui elle formera le couple sans doute le plus célèbre des Montparnos.
Scénographie. Photo Spectacles Sélection.
 
Statue de gardien reliquaire eyima byeri (Ancienne collection Paul Guillaume), XIXe siècle. Bois, huile de palme, métal. 43 x 14,6 x 13 cm. Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, Paris. © RMN-Grand Palais (Musée du Quai Branly – Jacques Chirac) / Patrick Gries / Bruno Descoings.
 
Masque anthropomorphe ngon ntang. Gabon, XIXe siècle. Bois, kaolin. Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac. Ancienne collection Paul Guillaume. Don Domenica Walter-Guillaume.
 
Masque d'épaule D’mba, (Nimba). Guinée, début du XIXe siècle. Bois. Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac. Mission Henri Labouret.
 
Figure anthropomorphe, Ivi poo. Îles Marquises, Océanie, XIXe siècle. Os humain sculpté et gravé. Paris, musée du quai Branly - Jacques-Chirac. Don prince Roland Bonaparte.

En novembre 1916, le peintre Émile Lejeune ouvre son atelier de la rue Huyghens à de nouvelles rencontres artistiques, organisées par l'association Lyre et Palette. Une exposition y réunit les artistes de Montparnasse, dont Modigliani et Picasso, aux côtés de sculptures provenant d'Afrique, de Nouvelle-Calédonie et des îles Marquises, appartenant à Paul Guillaume. Dans le catalogue, on pouvait lire : «C’est la première fois que l'on expose à Paris, non pour leur caractère ethnique ou archéologique, mais pour leur caractère artistique, des sculptures nègres, fétiches d'Afrique ou d’Océanie.»
Scénographie. Picasso rencontre Olga Khokhlova alors qu’elle est ballerine pour les Ballets russes. Son mariage avec cette fille de colonel le fait accéder à un nouveau statut social. Ils emménagent en 1918 rue La Boétie, dans les beaux quartiers de la capitale, à deux pas de la galerie de son nouveau marchand, Paul Rosenberg. Situé au quatrième étage d’un immeuble cossu, l’appartement-atelier offre à l'artiste un grand confort de vie et témoigne de son embourgeoisement. Picasso y reçoit l’intelligentsia internationale. Il y présente aussi ses peintures en les confrontant volontiers aux œuvres et aux objets de sa collection personnelle, tous styles et périodes confondus. Photo Gautier Deblonde.
 
Pablo Picasso (1881-1973). L'Homme à la casquette, début 1895 à La Corogne. Huile sur toile. Paris, Musée national Picasso-Paris.
 
Pablo Picasso (1881-1972). Portrait d’Olga dans un fauteuil. Montrouge, printemps 1918.

Dans ce portrait naturaliste à la manière d’Ingres, Picasso représente la ballerine russe Olga Khokhlova peu avant leur mariage en juillet 1918. Le tableau trônera au-dessus du lit de leur appartement de la rue La Boétie. Une photographie le montre, accroché sur un mur tendu d’un papier peint à rayures, flanqué de deux masques africains, entouré d’autres œuvres de Picasso, dont L'Homme à la casquette.
 
André Derain (1880-1954). Portrait de jeune fille, 1914. Huile sur toile. Paris, musée national Picasso-Paris. Collection personnelle Pablo Picasso.

Picasso achète, à l’occasion, des peintures auprès de ses contemporains, dont des œuvres du Douanier Rousseau et d'André Derain. Sa collection rend compte de ses affinités et amitiés artistiques. Le Portrait de jeune fille de Derain témoigne du «retour à l'ordre» qui commence à s’amorcer en peinture: la figuration revient dans les tableaux d'inspiration classique. Picasso a peut-être acheté cette œuvre lors d'une exposition de soutien consacrée à ce peintre, qui passe quasiment toute la guerre sur le front.
 
Marie Vassilieff (1884-1957). Le Banquet de Braque, 1917. Gouache sur carton. Paris, collection Claude Bernès.

Pendant la guerre, Marie Vassilieff crée une «cantine» pour artistes. Dans cette œuvre, elle immortalise le banquet qu’elle y a donné le 14 janvier 1917 en l'honneur de Georges Braque, revenu du front (ici, couronné de lauriers). Marie Vassilieff coupe une dinde, Henri Matisse fait le service, Blaise Cendrars (amputé du bras droit) est attablé face à Picasso. Au fond, Modigliani fait irruption, ivre: il n'avait pas été invité, afin d'éviter la confrontation avec son ancienne maîtresse, Béatrice Hastings (en haut à droite). Le nouvel amant, furieux, se lève et pointe sur lui un pistolet.


Section 8 (début) - MONTPARNASSE, CARREFOUR DU MONDE

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

La paix retrouvée voit arriver les dites « Années folles », caractérisées par une intense activité artistique, sociale et culturelle. Venus du monde entier, des myriades d’artistes se ruent sur Montparnasse. Ils constituent ce que le critique André Warnod nomme, en 1925, l’École de Paris. Les salons, les galeries, les marchands, les académies libres se réorganisent. Les cafés deviennent des lieux de rencontre et d’expositions. Les artistes Chaïm Soutine et Tsouguharu Foujita connaissent de véritables succès.
Kiki de Montparnasse est l’égérie de ce Paris des années 1920 qui vit aussi la nuit, avec ses premiers dancings. Le jazz est largement importé par les Américains, nombreux à venir en Europe pour échapper à la prohibition qui sévit chez eux. Certains, parmi eux, fuient aussi les lois ségrégationnistes américaines. Les bals se multiplient et concrétisent « l’union des arts ». Le Bal colonial (plus tard appelé « Bal nègre ») attire également le Tout-Paris, avec ses biguines martiniquaises.

 
Texte du panneau didactique.
 
Félix Vallotton. Portrait d’Aïcha Goblet, 1922. Huile sur toile, 100 x 81,5 cm. Hamburger Kunsthalle, Hambourg. Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK.

De père martiniquais et de mère métropolitaine, Madeleine Julie Goblet se distingue en portant un turban et en adoptant le pseudonyme oriental d’Aïcha. Comédienne, artiste de cirque et de music-hall, elle devient un modèle «vedette» du Paris des années 1920. Peinte par Jules Pascin, Moïse Kisling, Henri Matisse et Kees Van Dongen, elle est aussi représentée par Félix Vallotton dans un style à la fois classique, et d’une grande modernité.
Chronologie : Le Paris des Années folles (1920-1925)

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Scénographie. Photo Spectacles Sélection.
 
Scénographie. Photo Spectacles Sélection.
 
Pablo Gargallo (1881-1934). Kiki de Montparnasse, 1928. Laiton. Paris, musée d'Art moderne de Paris.
 
Chana Orloff (1888-1968). David Ossipovitch Widhopff, dit aussi D.O. Widhopff, [1923]. Bronze. Fondeur Alexis Rudier. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Achat de l'État, 1946; attribution, 1947.

«Chana Orloff est un sculpteur solide et sensible qui construit son œuvre, volontaire, s’évadant du réalisme, allant au-delà de la représentation directe sans pour cela s'éloigner de la nature et de la vie», écrit le critique d'art André Warnod. Le portrait de l'artiste ukrainien David Widhopff en est une parfaite illustration. Connu pour ses bals costumés, Widhopff est figuré assis, fumant la pipe dans un geste familier. Orloff rend bien compte de sa silhouette massive, tout en laissant transparaître, par des lignes souples, toute la bonhomie de son caractère.
 
Man Ray (Emmanuel Radnitsky). Le Violon d’Ingres, 1924-1977 (tirage). Photographie noir et blanc, 27 x 20 cm (commentaire ci-dessous). FRAC Bourgogne, Dijon. © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2023.
 
Man Ray (Emmanuel Radnitsky). Noire et blanche, 1926-1980 (tirage). Photographie noir et blanc, 18 x 23,5 cm. FRAC Bourgogne, Dijon. Photo © Telimages © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2023.

Avec sa coupe à la garçonne, son nez en «quart de brie» et son corps glabre, Kiki (Alice Prin, de son vrai nom) est devenue une légende de Montparnasse. Elle est immortalisée aussi bien par Foujita que Pablo Gargallo. Devenue en 1921 la compagne et l’égérie de l’Américain Man Ray, elle lui inspire des œuvres qui marquent l’histoire de la photographie, telles que Noire et Blanche, pour laquelle elle pose avec un masque baoulé. Dans Le Violon d’Ingres, elle pose nue, de dos, le corps transformé en instrument de musique par la grâce de deux ouïes dessinées au creux de ses reins.
 
Léonard Foujita (Tsuguharu Foujita, dit) (1886-1968). Nu, 1925. Huile sur toile. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Reims | Donation de Charles-A. et Gabrielle Kayser, 1967.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Jean Leprince (actif au début du XXe siècle). Le Boulevard et la Porte de Saint-Denis, 11 novembre 1918. Huile sur toile. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris.

L'armistice est enfin signé le 11 novembre 1918. En liesse, la foule envahit les rues avant même que les cloches des églises et les sirènes ne retentissent. Les Parisiens pavoisent leurs immeubles de drapeaux, s’agglutinent sur les places et les avenues, improvisent des farandoles où se mêlent soldats et civils, hommes, femmes et enfants. Ce tableau de Jean Leprince témoigne de ce jour de libération et de joie, sous un ciel dont les sombres nuages s'éloignent.
 
Charles Lansiaux (1855-1939). Exposition de canons. L’armistice (novembre 1918), 1918. Tirage au gélatino-bromure d'argent. Paris, musée Carnavalet - Histoire de Paris.
 
Maquette du monument au poilu de François Sicard, reproduite en couverture de L'Illustration, n° 3947, 26 octobre 1918. Hebdomadaire illustré. Neuilly-sur-Seine, collection Rémi Chapotin.

Avant même l’armistice, une fête de la Libération est organisée à Paris, le 20 octobre 1918. À cette occasion, le sculpteur François Sicard présente la maquette d’un monument au poilu, installé près du Grand Palais. Le projet est l’un des premiers d’une grande série de monuments publics à rendre hommage au sacrifice des soldats. Académisme, grandiloquence et sentimentalisme se retrouveront souvent dans ces sculptures qui, à partir des années 1920, se développeront sur tout le territoire.
 
Léonard Foujita (Tsuguharu Foujita, dit) (1886-1968). Mon intérieur (nature morte au réveille-matin). Paris, 1921. Huile sur toile collée sur panneau de bois parqueté. Signé, titré et daté en bas à gauche. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Don de l'artiste en 1951.

Le Japonais Tsuguharu Foujita s’installe à Paris en 1913. Mon intérieur représente son appartement du 5, rue Delambre. Les objets artisanaux typiquement français (assiettes en faïence, nappe à carreaux) entourent un réveille-matin qui évoque un temps circulaire, propre à la philosophie japonaise. Dans cette vanité, les quatre éléments sont convoqués: l'eau, à travers le verre et le parapluie, la terre, à travers les sabots, l’air et le feu, à travers la pipe et la lampe à huile. Les lunettes apparaissent au milieu de la toile comme une signature de l'artiste.
 
Chaïm Soutine. La Fiancée, 1923. Huile sur toile, 91 x 55 cm. Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie, Paris. Photo © RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski.
 
Amedeo Modigliani. Maternité, 1919. Huile sur toile, 130 x 81 cm. Musée National d’Art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris en dépôt au LaM, Villeneuve-d’Ascq. Photo © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM-CCI) / Bertrand Prévost.

Amedeo Modigliani peint cette maternité au moment où sa compagne, Jeanne Hébuterne, est elle-même enceinte de leur deuxième enfant. Il y renouvelle sous une forme profane le motif classique de la Vierge à l’enfant, inscrite dans une composition pyramidale. Il peint là l’un de ses plus grands formats, grâce au matériel fourni par le marchand polonais Léopold Zborovski. Décédant à 36 ans, quelques mois après avoir achevé ce tableau, Modigliani laisse derrière lui quelque 300 portraits et 25 figures sculptées.
 
Chaïm Soutine (1893-1943). Portrait d'homme (Émile Lejeune) [Vers 1922-1923]. Huile sur toile. Paris, EPMO, musée de l’Orangerie | Collection Walter-Guillaume.

Décrit par Kiki de Montparnasse comme un «être bizarre d’allure autant que de caractère», Chaïm Soutine est bouleversé par la perte de son grand ami, Modigliani, en 1920. Les déformations envahissent alors encore plus son œuvre. Le visage d’Émile Lejeune est ici asymétrique et brossé à grands traits. La distorsion est plus remarquable encore marquée dans Ma fiancée, dont les épaules saillantes et les mains grossièrement peintes tranchent avec la délicatesse attendue pour le traitement d’un tel sujet.
 
Tarsila do Amaral. A Cuca, vers 1924. Huile sur toile, 60,5 x 72,5 cm. FNAC 9459. Centre national des arts plastiques, en dépôt au Musée de Grenoble. © Ville de Grenoble/Musée de Grenoble – cliché Jean-Luc Lacroix © Tarsila do Amaral Licenciamento e Empreendimentos Ltda / Cnap.


Section 8 (fin) - DADA ET LE SURRÉALISME À PARIS

Scénographie. Photo Spectacles Sélection.

Tristan Tzara, fondateur du mouvement dada à Zurich, arrive à Paris en 1920. Il est rallié par Francis Picabia, Philippe Soupault, Marcel Duchamp, puis Man Ray et Max Ernst. Leurs actions prennent la forme de poèmes jugés absurdes et de pièces de théâtre où se mêlent violence, irrévérence et spontanéité.
L'implosion du mouvement aboutit à la création du surréalisme, sous l'égide d'André Breton, en 1924. Les surréalistes s’en remettent au hasard, à l'écriture automatique ou encore aux «sommeils» artificiels. L'irrationnel règne sur leurs créations. André Breton rassemble, avec son épouse Simone Kahn, une collection qu'ils enrichiront chacun de leur côté, après leur divorce. Cet ensemble constitue une œuvre d’art totale, jouant de rapprochements d'objets étonnants et intuitifs.

 
Texte du panneau didactique.
 
Max Ernst (1891-1976). André Breton, 1923. Encre sur carton. Collection Simone Collinet.
 
Man Ray (1890-1976). Tonsure. Antonin Artaud, 1921/1970. Épreuve noir et blanc tirée sur papier Guilleminot, à partir du négatif original, par Pierre Gassmann. Montpellier, Frac Occitanie Montpellier.

De nouvelles voies de la création naissent avec Dada. L'objet, le son, la poésie, l’art corporel et «l’action performative», propres à «choquer le bourgeois», prennent ainsi souvent le pas sur la matérialité de l’œuvre. Relevant de l'art corporel, la Tonsure montre l’arrière-crâne de Marcel Duchamp, les cheveux rasés laissant apparaître la forme d’une comète.
 
Max Ernst. Aquis Submersus, 1919. Huile sur toile, 54 x 43,8 cm. Städel Museum, Allemagne. © ADAGP, Paris 2023 Photo © RMN – Grand Palais (BPK, Berlin) / Image Städel Museum.

Aquis submersus signifie en latin «submergé par les eaux». Entourée de bâtiments aveugles, une piscine est ponctuée en son centre par le reflet rond d’un cadrant-lune. Les deux personnages semblent étrangers l’un à l’autre : sur le devant, un être moustachu à la forme équivoque ; dans la piscine, un baigneur, faisant le poirier, dont on ne voit que les jambes. Énigmatique et comme figée dans le temps, cette composition de Max Ernst rappelle les tableaux métaphysiques de son contemporain, l’Italien Giorgio De Chirico.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Man Ray (Emmanuel Radnitzky, dit) (1890-1976). Cadeau, 1921/1970. Métal. Tirage 2/11.  Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou. Achat de l’État, 1975; attribution, 1976.

L'Américain Man Ray est accueilli à Paris en 1921 par son complice Marcel Duchamp et le groupe dada. Il crée son premier objet dadaïste en France avec Cadeau, une œuvre devenue très célèbre. Se rendant avec Erik Satie dans un magasin, il achète un fer à repasser en fonte d'un modèle alors très répandu. En lui collant une série de clous, il le rend inutilisable et le transforme en «ready-made».
 
Masque baoulé. Bois sculpté. Collection Simone Collinet.

Étudiante à la Sorbonne, Simone Kahn a 23 ans lorsqu'elle rencontre André Breton au jardin du Luxembourg, en juin 1920. Mariés, ils s'installent en janvier 1922 au 42, rue Fontaine. Leurs connivences esthétiques et intellectuelles donnent naissance à une impressionnante collection, à laquelle leur atelier sert d'écrin. Ce cabinet de curiosité des temps modernes, dont faisait partie ce masque baoulé, stimule l'inconscient et constitue une œuvre d’art totale.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Anonyme. Sans titre. Probablement d'origine précolombienne. Pierre. Collection Simone Collinet.
 
Francis Picabia (1879-1953). Lever de soleil, 1922. Encre sur papier. Les Masques, 1922-1924. Crayon graphite et encre sur papier. Collection Simone Collinet.

En 1921, Francis Picabia rompt avec Dada. Il poursuit sa création dans une veine provocatrice et reste proche d'André Breton et Simone Kahn, qui lui achètent des œuvres. Ses dessins reflètent bien son état d'esprit subversif: «Les artistes se moquent de la bourgeoisie, soi-disant; moi je me moque de la bourgeoisie et des artistes.» En 1924, il déclarera la guerre au surréalisme et à André Breton.
 
Francis Picabia (1879-1953). Le Cavalier, 1922. Encre sur papier. Collection Simone Collinet.
 
Francis Picabia (1879-1953). Les Masques, 1922-1924. Crayon graphite et encre sur papier. Collection Simone Collinet.
 

Marcel Duchamp. Anémic Cinéma, 1925-1926.

Film noir et blanc 35 mm, silencieux, 8 min. 23 sec. (à 16 images / seconde), réalisé avec Man Ray et Marc Allégret.
19 séquences composées de 10 disques optiques et de 9 disques de jeux de mots.
Mention en fin de film : « Copyrighted by Rrose Sélavy », signé, empreinte digitale et daté 1926. Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris. Achat, 1976.



Vidéo. Marcel Duchamp. Anémic Cinéma, 1925-1926..
 

 

 



Section 9 (début) - PARIS « PLUS VITE, PLUS HAUT, PLUS FORT »

Scénographie avec ouverture sur la section 3. Photo Gautier Deblonde.

De 1920 à 1929, les Années folles célèbrent la paix retrouvée, dans une grande soif de vivre. La génération qui a vécu les combats de la Grande Guerre cherche l’oubli d’elle-même dans l’alcool et la débauche. Elle n’en concourt pas moins à faire de Paris une sorte d’Éden, comme le résume Ernest Hemingway dans son roman Paris est une fête (1964). Les tenues reflètent ce nouvel art de vivre: robes de cocktail, paillettes et plumes se prêtent aux nouvelles danses échevelées. Celles-ci s’accélèrent, à une époque où la vitesse est portée par toutes les nouveautés: le jazz et le charleston venus d’outre-Atlantique, le cinéma, l’automobile, le train, les paquebots…
La figure ambivalente de la garçonne apparaît dans ce contexte. Cette «femme nouvelle», aux multiples facettes, fascine et dérange. Érigée en héroïne par Victor Margueritte, elle se diffuse à travers la littérature et gagne la presse féminine, la publicité et l’industrie cosmétique.


 
Texte du panneau didactique.
 
Fernand Léger. L’Homme à la pipe, 1920. Huile sur toile, 91 x 65 cm. Musée d’Art Moderne, Paris. © ADAGP, Paris 2023. Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Madeleine Vionnet (1876-1975). Robe, 1925. Franges de soie et crêpe de soie (premier plan). Paris, Fondation Azzedine Alaïa.
 
Madeleine Vionnet (1876-1975). Robe Triangle, modèle n° 4101, février 1925. Crêpe de Chine blanc, décors de perles d’or, d’argent et de jais. Paris, Fondation Azzedine Alaïa.

Madeleine Vionnet fonde sa maison de haute couture en 1912. Elle se singularise par ses coupes en biais, qui sculptent le corps et en épousent les mouvements. Ornée de motifs triangulaires en perles d’or, d'argent et de jais brodées sur un fond de crêpe de Chine souple, à la ligne simple, la robe Triangle est un véritable manifeste de cette modernité. Elle est mise en scène dans une emblématique série éditoriale signée par Edward Steichen, parue dans le Vogue américain du 1er juin 1925. Le modèle y apparaît en aplat, au centre d'un décor à pans géométriques, prémices du style moderniste que le photographe expérimente alors.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Cartier Paris. Ornement de tête, 1923. Platine, diamants, perles fines. Collection Cartier. Photo Gautier Deblonde.

 

 

 

Cartier Paris. Bracelet, 1924. Platine, diamants, onyx. Collection Cartier.

L’allure de la «garçonne» implique une nouvelle codification de la féminité. La silhouette devient filiforme, les jupes raccourcissent, et les accessoires de mode accompagnent cette mutation pour mieux souligner les mouvements du corps. De longs sautoirs appuient la verticalité de la silhouette. Des bracelets en diamants scintillants s'amoncellent sur les bras dénudés pour mieux s'entrechoquer au rythme du fox-trot.
Cartier Paris
- Ornement de tête, 1923. Platine, diamants, perles fines (voir ci-contre).
Collection Cartier.
- Cartier Paris pour Cartier New York. Paire de pendants d'oreilles, 1919. Platine, or, diamants, saphirs jaunes, perles fines, onyx, émail noir.
Collection Cartier.
- Bracelet, 1923. Platine, diamants.
Collection Cartier.
- Bracelet, 1924. Platine, diamants, onyx (voir ci-contre).
Collection Cartier.
- Pochette du soir, 1924. Argent, platine, diamants, perles fines, émail noir, onyx, satin.
Collection Cartier.

 
Le bijou des années 1920 orne le cou et les épaules de la «garçonne», mis en valeur par sa coupe de cheveux, portés courts. La simplification généralisée de la forme répond à cette nouvelle mode. Les bandeaux et ornements de tête font ressortir des pendants d'oreilles qui valorisent le cou dégagé, à l'instar des créations joaillières raffinées proposées par la maison Cartier.
 
- Jean Patou (1887-1936). Paletot, 1922. Toile de laine rouge et noire, doublure en sergé de soie blanc imprimé noir, jupe de mannequinage. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris.

Dans la course à la modernité, le grand rival de Chanel, Jean Patou, est à la pointe. Après avoir fondé sa maison en 1914, il crée un rayon dédié aux tenues de jour sportswear en 1925. Le paletot à rayures rouges et noires incarne bien cet esprit de la femme moderne, à l’allure svelte et juvénile.

- Lucienne Rabaté pour la Maison Caroline Reboux (1838-1927). Chapeau cloche, vers 1925. Feutre de laine noir, avec décor d’incrustations en chevron.
Paris, Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. Don Mme Paule Gaspart.

- Alan McAfee. Paire de souliers de jour type duc-de-Guise à talon bobine, vers 1920-1922. Veau velours marron, cuir d'agneau noir verni, doublure et semelle de propreté en cuir glacé noir, semelle d'usure cloutée en cuir naturel, boucle en cuivre noirci.
Paris, Palais Galliera, musée de la Mode de La Ville de Paris. Don des héritiers de la princesse Murat.
  Tamara de Lempicka. Saint-Moritz, 1929. Huile sur bois, 35 x 27 x 0,5 cm. Musée des Beaux-Arts d’Orléans. © ADAGP, Paris 2023 ©Tamara Art Heritage / photo François Lauginie.

La skieuse représentée dans cette œuvre apparaît presque comme un archétype du style art déco. Cheveux courts et lèvres carmin, chandail emprunté au vestiaire masculin, cette femme moderne au sommet de sa séduction et de sa réussite sociale semble jaillir du cadre. Ses traits mêlent subtilement post-cubisme et néoclassicisme. Exécutée en 1929 pour la couverture d’un magazine, l’image incarne l’ascension de la «garçonne» gravissant les cimes enneigées - le ski étant un sport de villégiature récemment associé aux valeurs de la modernité.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Anonyme. Album de photographies de dépôt de modèles Madeleine Vionnet, robe Triangle, modèle n° 4101, février 1925. Tirages gélatino-argentiques contrecollés sur une page de l’album. Paris, musée des Arts décoratifs.
 
Tamara de Lempicka (1898-1980). Perspective ou Les Deux Amies, 1923. Huile sur toile. Genève, musée du Petit Palais.

Tamara de Lempicka fait partie des artistes qui vivent ouvertement leurs multiples aventures amoureuses, et aborde ce thème dans son œuvre de manière récurrente. Dans ce tableau sulfureux, deux amies nues partagent un moment à forte tension érotique. Cette peinture a été présentée au Salon d’automne de 1923 sous le titre Perspective, censé éviter de choquer le public. Elle était signée Lempitzky, signature à consonance masculine. La véritable identité de l’artiste ne fut révélée que deux ans plus tard, lors d’une exposition personnelle à Milan. Ce fut pour elle le début de la gloire.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Kees Van Dongen (1877-1968). Autoportrait en Neptune, 1922. Huile sur toile. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou. Don de l'artiste ou achat à l’artiste, 1924-1927.

Kees Van Dongen organise à Montparnasse de grands bals où l’on se trémousse aux rythmes des musiques venues d’outre-Atlantique. Dans cet Autoportrait en Neptune, il se représente dans le costume qu’il arborait lors du «Bal de la Mer», orchestré dans son atelier de le rue Juliette Lamber. Torse nu, un triton sur la tête et s’appuyant sur un trident, le peintre, dieu de la mer ou roi de la fête, affiche un goût de la provocation et de la publicité.
 
- Anonyme. Robe de cocktail, 1925. Perles roses sur tulle de soie noir. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris.

Maurice Sachs l'écrit dans Au temps du Bœuf sur le Toit (1939): la haute société s’encanaille, la nuit tombée, pour se lancer dans des danses débridées. Les bals, cocktails et folles soirées influencent la mode des années 1920. Les éventails à plumes d'autruche, pochettes et souliers en lamé argent ou peau exotique s'accordent aux robes courtes, illuminées de perles et de broderies. «L'agrément de notre époque est que l'on peut tout mélanger, tout mêler», se réjouit le peintre Kees Van Dongen, qui rebaptise cette période «les années cocktail».

- Anonyme. Éventail pliant, vers 1925. Plumes d'autruche teintées en dégradé, du fuchsia au rose, monture en Bakelite, bouts en os, rivure en métal argenté. Paris. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. Don Mme Kappler.

- Prévost. Paire de salomés, vers 1925. Cuir velours noir, peau de reptile marron, cuir verni noir, cuir marron pleine fleur, embauchoirs en bois à poignée métallique.
Paris. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. Don Mme Madeleine Blot.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Léonard Foujita (Tsuguharu Foujita, dit) (1886-1968). Les Deux Amies, 1926. Huile sur toile. Genève, musée du Petit Palais.
 
Madeleine Panizon. Cagoule, 1925. Jersey de coton gratté brique; à l'arrière, fermeture à glissière, bordée de deux rangées d’œillets rouges surmontés de petits boutons plats en métal argenté. Paris, Palais Galliera - musée de la Mode de la Ville de Paris Don Mme Buisset.

En 1925, à l’heure où l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes ouvre ses portes, la «garçonne» se voit érigée en modèle culturel, digne d'être exporté au-delà de l'Hexagone. Le capuchon d'automobile de la modiste Madeleine Panizon incarne cette modernité à son paroxysme. «En duvetine rubis, éclairé de gribiches d’argent, voilant le cou et les oreilles», selon la description de L’Art et la Mode du 4 juillet 1925, il remporte le prix d'honneur.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Chana Orloff (1888-1968). Portrait de Romaine Brooks, 1923. Bronze. Paris, Petit Palais - musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, en dépôt au musée d'Art moderne de Paris.

Dans ce portrait, Chana Orloff, sculptrice d'origine ukrainienne, façonne l'image de son amie Romaine Brooks en synthétisant ses traits et en en simplifiant les formes. Elle la représente dans une robe de chambre d'intérieur dont la forme ample, unisexe, évoque la manière dont cette femme affranchie et moderne s'habillait. Riche peintre anglo-américaine, Romaine Brooks recevait, dans son salon de la rue Jacob, le Tout-Paris intellectuel et lesbien.
 
Jean Cocteau. Autoportrait masqué, «Ecrivez lisiblement», 1919. Lithographie, 75 x 60 cm. Musée Jean Cocteau, Menton © ADAGP Paris, 2023. © Musée Jean Cocteau, collection Séverin Wunderman, Menton / Photo Serge Caussé.
Scénographie. Victor Margueritte (1866-1942). La Garçonne, 1922. Ernest Flammarion. Livre. Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

Le roman La Garçonne, publié par Victor Margueritte en 1922, résume le vent de liberté qui s'empare de la femme émancipée. Voulant une vie à l’égal de celle de l’homme, Monique se coupe les cheveux, devient financièrement indépendante, mais s'enfonce dans la drogue et la débauche saphique, avant de retrouver le chemin de l’amour avec Georges Blanchet. L'histoire est portée à l'écran en 1923 par Armand du Plessy, qui en fait un film muet censuré par la commission nationale, puis en 1936, dans une version plus acceptable de Jean de Limur, qui élude toute étreinte féminine. Photo Spectacles sélection.


Section 9 (fin) - LE BŒUF SUR LE TOIT

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Le Bœuf sur le Toit est l’un des cabarets les plus emblématiques des Années folles et du 8e arrondissement de Paris. Il doit son nom au titre d’une chanson brésilienne dont s'inspire Darius Milhaud pour composer un ballet en 1920, sur un texte de Jean Cocteau. D'abord ouvert près de la Madeleine, le cabaret déménage en 1921 au 28, rue Boissy-d’Anglas. Le Tout-Paris vient y boire, rire et danser: Gabrielle Chanel, le grand-duc de Russie Dimitri, Yvonne Printemps, Louis Aragon, André Breton, Pablo Picasso... Le «roi» du lieu est sans conteste Jean Cocteau, féru de jazz, qui retrousse parfois ses manches pour accompagner l'orchestre à la caisse claire et à la batterie.


 
Texte du panneau didactique.
 
Jacques-Émile Blanche (1861-1942). Le Groupe des Six, 1922. Huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts.

Les compositeurs désignés comme le «groupe des Six» sont un cercle d’amis formés entre 1917 et 1918. Le groupe comprend Arthur Honegger, Darius Milhaud, Louis Durey, Georges Auric, Germaine Tailleferre et Francis Poulenc. Erik Satie les désigne comme les «Nouveaux Jeunes». Ce portrait collectif de Jacques-Émile Blanche est peint en 1922, peu après la création de leur unique œuvre collective, Les Mariés de la tour Eiffel. Seul manque à l’appel Louis Durey. Le compositeur Jean Wiener et Jean Cocteau entourent la pianiste Marcelle Meyer, au centre de la composition.
 
Jean Cocteau (1889-1963). Étude de mains sur papier à en-tête du Bœuf-sur-le-Toit, vers 1923. Encre sur papier. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Dation, 1988.

Louis Moysès et le compositeur Jean Wiéner, qui fréquentent les soirées de Cocteau et du groupe des Six, ouvrent Le Gaya, un petit bar du quartier de la Madeleine. Le succès est tel qu’il déménage près des Champs-Élysées au 28, rue Boissy-d’Anglas, le 15 décembre 1921, sous le nom de «Bœuf-sur-le-Toit». Appelé à devenir mythique, le «Vieux-Bœuf», comme l’appellent les habitués, est l’assemblage de deux boutiques, réunies par une petite cour. Le Tout-Paris vient boire, rire et danser, au rythme frénétique du piano et d’un orchestre de jazz.
 
Raoul Dufy (1877-1953). Le Bœuf sur le Toit, 1920. Xylographie sur papier. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou. Legs Mme Raoul Dufy, 1963.

En 1920, Raoul Dufy est chargé des décors du Bœuf sur le Toit, ballet-pantomime inventé par Jean Cocteau. Dans cette lithographie, il réunit tous les protagonistes de l’action: un barman, une dame décolletée, une dame rousse, un joueur de billard noir, un monsieur en habit, un jockey, un boxeur noir, un policeman. Les têtes disproportionnées des personnages rappellent les costumes imaginés par Guy-Pierre Fauconnet, caractérisés par une énorme tête en carton-pâte.


Section 10 (début) - LES SUÉDOIS ET LA REVUE NÈGRE
AU THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES

Scénographie. Photo Spectacles Sélection.

En 1920, le Théâtre des Champs-Élysées renouvelle son répertoire avec les Ballets suédois, sous la responsabilité financière du collectionneur Rolf de Maré. Celui-ci conçoit ces spectacles comme une œuvre d’art totale mettant en scène sa propre collection. La chorégraphie est assurée par le danseur suédois Jean Börlin jusqu’en 1925. Explorant les relations entre scène et tableau, Börlin repousse les limites de la danse dans ses interactions avec les arts plastiques. Les compositeurs du groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre), réunis autour de Jean Cocteau, participent à certaines saisons – de même que Marie Vassilieff et l’artiste Fernand Léger. Après le départ des Ballets suédois, le Théâtre des Champs-Élysées accueille La Revue nègre en octobre 1925. Arrivée des États-Unis, la jeune Joséphine Baker fait sensation avec ses danses trépidantes. Accueillie à Paris dans une société non régie par des lois de ségrégation, elle adopte la France comme sa patrie de cœur.


 
Texte du panneau didactique.
 
Per Lasson Krohg (1889-1965). Jean Börlin. Affiche de la première saison des ballets suédois, 1920. Lithographie couleur. Paris, BnF, bibliothèque-musée de l’Opéra.
 
Charlie Chaplin (1889-1977).
The Rink [Charlot patine]
, 1916 (extrait).
Film noir et blanc, muet, 24 min.
Production Henry P. Caulfield, distribution Mutual Film.

 

Vidéo. Charlot patine, 1916 (extrait).
 
Scénographie. Photo Spectacles Sélection.
 
Fernand Léger (d'après) (1881-1955).  Maquette du décor du ballet La Création du monde, 1922. Reproduction 1955. Assemblage en bois peint. Maquette réalisée par Espace et Cie (Lyon) pour l'exposition «Fernand Léger et le spectacle», d’après un document photographique d’époque. Biot, musée Fernand-Léger. Photo Gautier Deblonde.

Pour illustrer l’histoire des origines de l’humanité vue par Blaise Cendrars, Fernand Léger s'inspire des planches de Negerplastik, de Carl Einstein, et de African Negro Art: Its Influence on Modern Art de Marius de Zayas. La toile de fond évoque le chaos originel et trois déités monumentales fichées au sol. Les costumes, conçus comme des sculptures, participent à la scénographie et donnent l'impression d'un tableau en mouvement. Masqués par le dispositif scénique inventé par le peintre, les danseurs créent l'illusion d’une peinture mouvante.
 
Irène Lagut (1893-1994). Les Mariés de la tour Eiffel, 1921. Huile sur toile. Menton, musée Jean-Cocteau - Collection Séverin Wunderman.

Cette peinture rappelle le rôle qu'Irène Lagut joua dans la création du ballet Les Mariés de la tour Eiffel, dont elle conçut les décors. La musique de ce ballet, fruit de la collaboration de Georges Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre, est la seule œuvre collective du groupe des Six. Jean Cocteau en compose le livret et cherche à montrer la «vacuité d’un dimanche»: de jeunes mariés prennent leur petit déjeuner sur la tour Eiffel. Un bureau de télégraphie apparaît sur la plateforme; un lion dévore un invité puis un «enfant du futur» surgit et tue tout le monde. Dans ce tableau, comme dans le décor qu'elle imagine, Irène Lagut s'inspire de la «poésie miraculeuse de la vie quotidienne» chère à Cocteau.
 
Fernand Léger (1881-1955). Étude de costume pour La Création du monde de Darius Milhaud, vers 1923. Crayon sur papier. Biot, musée Fernand-Léger.
 
Fernand Léger (1881-1955). Sans titre, projet de costume pour le ballet Skating Rink, vers 1921. Graphite, encre de Chine et gouache sur papier. Biot, musée Fernand-Léger.

Pour son ballet Skating Rink, Rolf de Maré demande à Léger de mettre en images la rencontre entre un «fou» et une «femme» sur la patinoire d’une «métropole». L'artiste propose de créer des groupes contrastés «dans un esprit cassant et brusque». Il oppose ainsi les «ouvriers» en «costumes populaires» aux «mondains» en habit de «soirée fantaisie», les hommes aux vêtements rayés et anguleux aux femmes aux tenues arrondies. Ses costumes géométriques font corps avec le décor cubiste très coloré et donnent une impression de mouvement.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Fernand Léger (1881-1955). Charlot cubiste, 1924. Éléments en bois peint cloués sur contreplaqué. Paris, MNAM/CCI, Centre Pompidou | Dation, 1985.

Fernand Léger collabore, pour les costumes et la scénographie, au ballet suédois Skating rink à Tabarin (1922), dans lequel les danseurs évoluent sur une patinoire. Le spectacle fait référence au film Charlot patine (The Rink, 1916), dans lequel le pantomime incarne un serveur qui fait du patin à roulettes pendant ses pauses. Passionné de cinéma Fernand léger s'inspire de cet «homme-image» de cinéma pour créer un pantin articulé: Charlot cubiste, qu’il décline en plusieurs exemplaires. L'un d’eux apparaît comme un emblème au début de son propre film, Ballet mécanique.
 
Marie Vassilieff (1884-1957). Poupée des Ballets suédois, 1924. Tissu, carton et Rhodoïd. Paris, collection Claude Bernès.

De passage en Russie en 1915, Marie Vassilieff crée fortuitement sa première poupée pour amuser l'enfant dont elle est la gouvernante. Elle commence réellement à Paris, en 1917, sa création de poupées à l'effigie de Guillaume Apollinaire, Picasso, Matisse, Léger, Marie Laurencin ou Paul Poiret. Cette poupée aux couleurs de la Suède témoigne du long compagnonnage de Marie Vassilieff avec Rolf de Maré, le créateur des Ballets suédois. Elle fut utilisée par Jean Börlin dans des spectacles solos présentés au Théâtre des Champs-Élysées.


Section 10 (fin) - JOSÉPHINE BAKER LA RÉVÉLATION

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Après la dissolution des Ballets suédois, le Théâtre des Champs-Élysées est transformé en «opéra music-hall», au printemps 1924. La Revue nègre, programmée en octobre, sera son plus grand succès. Les numéros de danse illustrent sept tableaux, avec en toile de fond le Mississippi, New York et ses gratte-ciel. Le talent et la plastique de Joséphine Baker éclatent aux yeux du public. Dansés sur du jazz et au rythme du charleston, ses mouvements déhanchés déchaînent les polémiques. La dernière scène de la «danse sauvage» avec son partenaire est particulièrement sulfureuse. Jouant sur les contrastes, Joséphine s'affiche le soir dans des robes sophistiquées, extrêmement élégantes.

 
Texte du panneau didactique.
 
Anonyme. Poupée dédicacée par Joséphine Baker. Folies-Bergère, vers 1927. Textiles, paille, plume, carton. Collection Nathalie Elmaleh et Laurent Teboul.

Invitée vedette aux Folies-Bergère en 1926, Joséphine Baker porte dans la revue La Folie du Jour une tenue en plumes, déclinée sur une poupée à son effigie. Cette poupée est visible sur une photographie la montrant avec Pepito Abatino, l'impresario et compagnon d'alors de Joséphine. Quelque temps plus tard, elle arbore la fameuse ceinture de bananes, suggérée par Paul Colin ou par son amie anglaise Miss Crompton; la répétition formelle de ces virgules jaunes joue sur les clichés exotiques.
 
Jean Dunand (1877-1942). Joséphine Baker voilée, 1927. Panneau de laque blonde, noire et argent. Famille Dunand.

Actrice et chanteuse, Joséphine s’érige en véritable star. Le laqueur art déco Jean Dunand la représente en idole atemporelle, ornée de bijoux. Ayant connu les terribles émeutes raciales d’East Saint-Louis, en 1917, et la ségrégation aux États-Unis, elle porte un immense amour à Paris et à sa patrie d'adoption, devenant française en 1937. Elle s'engage dans la Résistance en 1940 et recueillera douze enfants, sa «tribu arc-en-ciel», pour lutter contre les préjugés. Elle sera la seule femme à prendre la parole lors de la marche sur Washington, en 1963, aux côtés de Martin Luther King.
 
Anonyme. Joséphine Baker danse le Charleston, 1925. Film muet noir et blanc. Production Gaumont.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Kees van Dongen. Joséphine Baker, 1925. Encre de Chine et aquarelle sur papier 71,1 x 48,3 cm. Dépôt au musée Singer Laren, Meerhout. © ADAGP, Paris 2023.Photo © AKG images.
 
Paul Colin. Affiche de la Revue nègre au Music-Hall des Champs-Élysées, vers 1925. Lithographie, 155 x 116 cm. Musée et domaine nationaux des châteaux de Compiègne et Blérancourt, en dépôt au Musée national de la Coopération franco-américaine. © ADAGP, Paris 2023 Photo © RMN-Grand Palais (Château de Blérancourt) / Gérard Blot.

Née à Saint-Louis, dans le Missouri, Freda Josephine McDonald (1906-1975) travaille enfant comme domestique. Elle s’impose au music-hall grâce à son jeu de jambes «en caoutchouc» et son sens du burlesque. Métisse, elle est grimée en «blanche» ou en «noire» suivant les spectacles. Repérée au Plantation Club de New York, elle intègre La Revue nègre à Paris. La jeune danseuse de l’affiche de Paul Colin est inspirée d’un dessin de Miguel Covarrubias paru dans Vanity Fair. Mais Joséphine Baker se confond très vite avec ce personnage de Jazz Baby.


Section 11 (début) - L'EXPOSITION INTERNATIONALE
DES « ARTS DÉCO » DE 1925

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Reportée à trois reprises, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes ouvre ses portes le 28 avril 1925. À sa clôture, le 25 octobre, elle aura accueilli plus de 15 millions de visiteurs et rencontré un immense succès populaire. Cette manifestation d’envergure s’étend de la place de la Concorde au pont de l’Alma et du rond-point des Champs-Élysées à l’esplanade des Invalides, en passant par le pont Alexandre-III. Elle réunit 21 nations – dont sont absentes l’Allemagne et les États-Unis –, représentées par 150 galeries et pavillons éphémères, auquel s’ajoute le Grand Palais. Son enjeu est à la fois économique et culturel. Il s’agit de faire valoir l’excellence des traditions françaises, face à l’Allemagne vaincue et à la concurrence internationale. Il importe également de relancer la production industrielle et le commerce de luxe, dans une France fragilisée par l’inflation. Dédiée à l’art, à la décoration et à la vie moderne, cette grande fête, parfois considérée comme le chant du cygne d’une esthétique du luxe, marque l’apparition de l’expression « art déco ». Ce style connaîtra un rayonnement mondial, qui s’étendra de l’Asie à l’Océanie et jusqu’aux Amériques, avec le Christ rédempteur de Rio de Janeiro, plus grande sculpture art déco du monde.


 
Texte du panneau didactique.
 
Emplacement de l'exposition internationale des « Arts déco » de 1925.
 
Joseph Bernard (1866-1931). Jeune fille à la cruche, 1921. Plâtre. Grenoble, Musée de Grenoble.
 
Max Blondat (1872-1925). L'Équilibre. Bébé à la boule, 1925. Marbre. Boulogne-Billancourt, musée des Années Trente.

Ce bébé an équilibre sur une boule ornait la fontaine du jardin du pavillon de l'hôtel du Collectionneur. Membre fondateur de la société des artistes décorateurs en 1906, Max Blondat s'est illustré dans différents arts et a réalisé de nombreux monuments aux morts. Son œuvre la plus célèbre, la fontaine Jeunesse (1904), représente trois enfants regardant des grenouilles; des versions en existent à Dijon, mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Ukraine, aux États-Unis et jusqu'au Mexique.  Le Bébé à la boule est sans doute sa dernière réalisation, l'artiste décédant d'une septicémie foudroyante en novembre 1925.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Auguste Léon (1857-1942). L'Exposition des arts décoratifs, Paris, entrée place de la Concorde, 10 juin 1925.  Autochrome. Département des Hauts-de-Seine, musée départemental Albert-Kahn, collection des Archives de la Planète.

Dix-sept portes monumentales permettent aux visiteurs et visiteuses d’accéder à l'exposition. Élevée cours de la Reine, la porte de la Concorde a été conçue par l’architecte Pierre Patout. Constituée de dix immenses piliers surmontés de calottes, elle suscite de vives polémiques. La revue Art et décoration de janvier-juin 1925 la décrit comme «une ronde de pylônes, une série de menhirs carrés disposés en cromlech». Entourant un bosquet, elle abrite L'Accueil, une jeune femme aux bras ouverts sculptée par Louis Dejean, juchée sur un socle des frères Martel.
 
Roger Dumas. Exposition des arts décoratifs, Invalides, Le Pavillon de Ruhlmann, dit du Collectionneur. Paris, 22 juin 1925. Autochrome 9 x 12cm. © Département des Hauts-de-Seine, collection Archives de la Planète, musée départemental Albert-Kahn.

Jacques-Émile Ruhlmann est un «ensemblier» qui conçoit ses créations comme un tout où les meubles s’intègrent dans un environnement harmonieux et raffiné, soigneusement composé. Le Pavillon du Collectionneur, qu’il conçoit pour l’esplanade des Invalides, remporte un immense succès. Construit par l’architecte Pierre Patout, il arbore des lignes classiques, ode au raffinement et au luxe. Le mur de la façade est orné d’une frise de Joseph Bernard figurant la danse, agrandissement en plâtre d’une œuvre de 1913 réalisée en taille directe dans le marbre.
 
René Lalique (1860-1945). Fragment de la porte d'Honneur réalisée pour l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, 1925. Verre. Paris, musée du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).
 
Auguste Léon (1857-1942). L'Exposition des arts décoratifs, Invalides, Paris, pavillon Ruhlmann, dit «du Collectionneur», boudoir, 15 septembre 1925. Autochrome. Département des Hauts-de-Seine, musée départemental Albert-Kahn, collection des Archives de la Planète.

L'intérieur du pavillon se déploie sur cinq pièces, deux galeries et une salle de bains. Les dessins de Ruhlmann témoignent du raffinement des atmosphères et des objets choisis pour composer le décor d’un hôtel particulier moderne. Ruhlmann fait appel au ferronnier Edgar Brandt, au peintre Jean Dupas, au céramiste Décorchemont et à des artisans d'excellence pour la tapisserie et l’argenterie. Ses créations sont accompagnées de sculptures d'Antoine Bourdelle, Alfred Janniot, François Pompon ou Joseph Bernard, dont la Jeune fille à la cruche avait été révélée au Salon d’automne de 1912.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Jacques-Émile Ruhlmann (1879-1933). Argentier [meuble au char], 1921. Ébène de Macassar, Marqueterie d'ivoire et d’acajou de Cuba. Paris, musée d'Art moderne de Paris.

Jacques-Émile Ruhlmann dessine des meubles dont le raffinement le fait surnommer le «Riesener de l’art déco», du nom d’un célèbre ébéniste du XVIIIe siècle. Le succès de l’exposition de 1925 lui apporte un grand nombre de  commandes, en France et à l'étranger. Contrairement au «bureau de dame», le «meuble au char» n’était pas présent dans le pavillon du Collectionneur. Créé en plusieurs exemplaires à partir de 1919, il marque la première apparition des emblématiques pieds fuseaux. Réalisé dans des matériaux précieux, il arbore le motif d’une femme conduisant un char.
 
Auguste Léon (1857-1942). L'Exposition des arts décoratifs, rue des Boutiques sur le pont Alexandre-III, 18 juin 1925. Autochrome. Département des Hauts-de-Seine, musée départemental Albert-Kahn, collection des Archives de la Planète.

Réparties en deux rangées sur le pont Alexandre-Ill, les quelque 40 boutiques possèdent chacune leur propre décoration. Elles sont investies par l’industrie du luxe: éditeurs d'art, couturiers et fourreurs comme Jacques Heim, orfèvres et joailliers, ou encore fabricants de mannequins comme Siégel et Imans. Les devantures de la boutique Simultané de Sonia Delaunay présentent des sacs à main, étoffes, accessoires et manteaux de fourrure à la manière de compositions picturales strictement planes.
Joseph Bernard (1866-1931). La Danse, 1925. Moulage d’après la frise en marbre de 1913, agrandie pour l’Exposition de 1925. Plâtre.
Paris, musée d’Art moderne de Paris.
Scénographie. Photo Spectacles sélection.
 
Edgar Brandt (1880-1960). Les Bouquets, porte intérieure du pavillon du Collectionneur, 1925. Fer forgé et argenté. Paris, musée des Arts décoratifs.
 
Paul Poiret (1879-1944). Robe d'intérieur imprimée de rayures tabac, vers 1920. Toile de lin. Collection Denise Poiret, puis collection Colin Poiret. Paris, Fondation Azzedine Alaïa.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
- Pierre Petit (1831-1909). Maison Siegel (depuis 1917, devenue Siégel et Stockman en 1923). Porte de la boutique Siégel. Exposition de 1925. Fer forgé et verre. Boulogne-Billancourt, musée des Années Trente.

Les établissements Siégel et Stockman sont spécialisés dans l’agencement de boutiques et la fabrication de mannequins. Leur boutique, sur le pont Alexandre-III, s’ouvrait par une porte en fer forgé ornée d’un bouquet de fleurs stylisé pris dans un octogone, très «art déco». Cette porte était flanquée d’une tête également stylisée et d’un buste dont les bras étaient peut-être prévus pour présenter des gants. Un mannequin Siégel grandeur nature occupait la vitrine principale. D’apparence toute moderne, et décliné en plusieurs postures, il était peint dans différentes couleurs dans le pavillon de l’Élégance, pour présenter les tenues des grands couturiers.

- Maison Siégel (depuis 1917, devenue Siégel et Stockman en 1923). Têtes de mannequin, femme brune et femme blonde, vers 1930. Plâtre polychrome. Boulogne-Billancourt, musée des Années Trente.
 
Paul Poiret - Atelier Martine (1879-1944). Fauteuil cambodgien, vers 1925. Hêtre laqué rouge et noir, assise en cuir. Londres, Marine Crosta, Crosta Smith Gallery.
- Auguste Léon (1857-1942). L'Exposition des arts décoratifs, péniche Amours, intérieur: le salon central, pour la présentation de l’Atelier Martine, 12 octobre 1925. Autochrome. Département des Hauts-de-Seine, musée départemental Albert-Kahn, collection des Archives de la Planète.

Le couturier Paul Poiret se distingue en amarrant trois péniches au pied du pont Alexandre-III. Baptisées Amours, Délices et Orgues (des noms qui sont masculins au singulier et féminins au pluriel), elles déclinent les couleurs du drapeau français. Couverte d’œillets bleus, Amours est une maison-bateau organisée en appartement. Les fauteuils cubiques de la salle à manger, de même que les décorations fleuries du salon, sont caractéristiques de la maison Martine.

- Auguste Léon (1857-1942). L'Exposition des arts décoratifs, péniche Délices, 12 mai 1925. Autochrome. Département des Hauts-de-Seine, musée départemental Albert-Kahn, collection des Archives de la Planète.

Parée d’anémones rouges, la péniche Délices présente Les Parfums Rosine de la maison Poiret. Elle abrite également un restaurant décoré par le peintre Eugène Ronsin, sur le thème des spécialités culinaires régionales. Fin gourmet, le couturier y accueille la société gastronomique des Pur Cent, dont il est fondateur. La clientèle de luxe n'est cependant pas au rendez-vous; les péniches affrétées par Poiret s’avéreront être un gouffre financier.

- Auguste Léon (1857-1942). L'Exposition des arts décoratifs, péniche Amours, intérieur: la chambre à coucher, 5 octobre 1925. Autochrome. Département des Hauts-de-Seine, musée départemental Albert-Kahn, collection des Archives de la Planète.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
 
Mannequins portant des robes en tissus simultanés de Sonia Delaunay devant l'arbre cubiste des frères Martel. Paris, Exposition internationale de 1925. Reproduction. Sonia Delaunay © Pracusa.
 
Robert Delaunay. Paris – Die Frau und der Turm (Ville de Paris – La femme et la tour), 1925. Huile sur toile, 52,5 x 207,5 cm. Staatsgalerie Stuttgart. Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK.

Pour décorer le pavillon de la Société des artistes décorateurs, Robert Delaunay peint une immense Tour Eiffel de 4,5 mètres de haut, dont La Femme et la Tour constitue une version plus réduite. Entourée d’usines, de l’obélisque de la Concorde et du rond-point des Champs-Élysées, elle est travaillée dans des couleurs vives. Figurée en contre-plongée, sous un angle très dynamique, elle est à la fois l’emblème de Paris et de la modernité. Au total, l’artiste a consacré plus de 50 tableaux à la tour Eiffel depuis 1911. Pour lui, «la Tour parle à toute l’humanité».
 
Jan et Joel Martel (Les frères Martel, dits) (1896-1966) d’après les dessins de Robert Mallet-Stevens. Maquette de l'arbre cubiste, 1925. Bois peint. Paris, collection particulière.

Dessinés par Robert Mallet-Stevens, les arbres-sculptures dits «arbres cubistes» en ciment étaient présentés dans le jardin Mallet-Stevens, tout près du pavillon de Roubaix-Tourcoing. Hauts de près de 5 mètres, ils étaient construits par les sculpteurs Jan et Joël Martel, frères jumeaux qui travaillaient ensemble. Chaque arbre avait un tronc cruciforme, supportant des plans quadrangulaires fixés horizontalement et verticalement, suggérant un feuillage. Il existe plusieurs exemplaires de maquettes, dont l’une est conservée au Met Museum de New York. Présentée pour la toute première fois, celle-ci est un exemplaire d'artiste qui n’a jamais été vendu.
 
Robert Mallet-Stevens (d'après) (1886-1945). Reconstitution par Philippe Velu de la maquette du pavillon du renseignement et du Tourisme de Robert Mallet-Strevens, 2013. Structure en contreplaque de bouleau finlandais recouvert d'un enduit. Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine - musée des Monuments français, collections documentaires.


Section 11 (fin) - LE SALON DE LA MAISON JEANNE LANVIN

Scénographie. Photo Gautier Deblonde.

Personnalité discrète et volontaire, aussi habile en affaires que créative, Jeanne Lanvin a su développer une véritable entreprise. Ses nombreuses succursales en incarnent le succès à Biarritz, Deauville, Barcelone et même Buenos Aires. Fondée en 1889, sa maison emploie en 1925 plus de 800 personnes. Vice-présidente de l’organisation de l'Exposition internationale de 1925 et présidente de la «classe 20», consacrée au vêtement, elle expose au Grand Palais dans l’allée de la Parure («Vêtement, Accessoires, Mode, Fleurs et Plumes, Parfumerie et Bijouterie-Joaillerie»). Elle y est aussi la seule à figurer dans la catégorie «Arts du spectacle», avec sa Loge d'actrice.

 
Texte du panneau didactique.
 
François Pompon. Ours blanc, 1922-1925. Plâtre patiné; socle en bois recouvert de plâtre, 173 x 91 x 258 cm (avec socle). Dimension du socle 40 x 250 x 91 cm. Paris, Muséum national d’histoire naturelle, en dépôt au musée de l’Homme/ Photo J.C. Domenech.

Dans le vestibule de la cour des Métiers, aménagé par Louis-Hippolyte Boileau et Léon Carrière, trône l’Ours blanc de François Pompon. Cette sculpture aux lignes épurées lui avait déjà apporté un succès tardif au Salon d’automne de 1922. Réalisé d’après un spécimen observé au Jardin des plantes, l’ours au corps lisse est dénué de tout «falbala», selon l’expression de l’artiste. Pompon renouvelle ainsi, par son économie de moyens, la tradition de la sculpture animalière.
Scénographie. Photo Spectacles Sélection.
 
Paul Landowski (1875-1961). Étude pour le mur des Religions, 1920-1922. Dessin. Paris, Petit Palais - musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.

Le Temple de l'Homme s'ouvre sur le parvis avec les trois fils de Caïn, qui symbolisent l'humanité en marche: Jabel le berger, Tubalcaïn le forgeron et Jubal le poète musicien. La porte de la Science permet ensuite de pénétrer dans une salle carrée surmontée d’une coupole vitrée. L'épopée humaine y est évoquée par quatre bas-reliefs, chacun accompagné de la sculpture d’un héros emblématique. Le mur des Religions, portant en son centre le Christ en croix, symbole d'amour et de résignation, fait face au mur de Prométhée, symbole d'effort et de lutte contre la fatalité.
 
Baguès Frères (Victor et Robert Baguès; aujourd’hui Baguès Paris, depuis 1840). Panthère marchant, réalisée pour le pavillon de l’Elégance, 1925. Fer forgé, socle en marbre. Paris, Patrimoine Cartier.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.
- Jeanne Lanvin (1867-1946). Robe La Duse, 1925 (au centre). Satin de soie vert absinthe, tulle de soie vert absinthe, broderies de perles, de strass et de tubes argentés.
Paris, Patrimoine Lanvin.
- Armand-Albert Rateau, pour Lanvin Décoration (1882-1938). Chaise à dossier renversé et crosse en merisier, vers 1924. Bois, coton (toile d'atelier). Paris, Patrimoine Lanvin.

Au pavillon de l'Élégance, Jeanne Lanvin expose la haute couture dans un salon meublé par Rateau. Ses modèles, dominés par le vert absinthe, sont présentés sur des mannequins Siégel qu'elle a personnalisés par une couleur gris cendré. La robe La Duse s'adapte ainsi à un mannequin semi-allongé. La Cavallini est quant à elle une «robe de style», inspirée des robes à paniers du XVIIIe siècle. Ces modèles originaux sont ici portés par des copies de mannequins Siégel réalisés dans les années 1980 par le musée des Arts décoratifs.
 
Jeanne Lanvin (1867-1946). « Robe Lesbos » vert absinthe, vers 1925. Satin de soie vert absinthe, broderies de perles de verre et de tubes argentés. Patrimoine Lanvin, Paris. © Patrimoine Lanvin, France.
 
Jeanne Lanvin (1867-1946). Robe La Cavallini, 1925. Taffetas de soie noir, tulle noir, broderies de fils métalliques, de perles et de strass. Paris, Patrimoine Lanvin.
 
Armand-Albert Rateau, pour Lanvin Décoration (1882-1938). Guéridon en merisier à plateaux laqués noirs, vers 1924. Merisier. Paris, Patrimoine Lanvin.
 
Manufacture de Sèvres. Vase Patout ou pot à tabac, d'après Pierre Patout (1879-1965), 1926. Décor gravé par Jean-Baptiste Gauvenet (1885-1967). Réplique du vase monumental réalisé pour l'Exposition de 1925. Faïence. Sèvres - Manufacture et Musée nationaux.
 
Armand-Albert Rateau (1882-1938). Flacon du parfum Arpège de Jeanne Lanvin, 1927. Flacon boule noire en verre opaque noir moulé, siglé et titré à l'or, coiffé d’un bouchon godron. Paris, Patrimoine Lanvin.

La Maison Lanvin naît du succès remporté par les tenues conçues par Jeanne Lanvin pour sa fille Marguerite. Très unies, la mère et la fille forment un couple fusionnel. Armand Albert Rateau les représente, en 1924, dans un dessin stylisé. Bientôt érigé au rang d’emblème de la Maison Lanvin, ce croquis sert notamment sur son papier à en-tête. À l'ouverture de Lanvin Parfums, en 1924, le motif est apposé sur les flacons, également dessinés par Rateau. Les boules de parfum et leur bouchon en forme de framboise sont déclinés en plusieurs couleurs et formats.
 
Cartier Paris. Broche, 1925. Platine, onyx et diamants, motif monté sur un peigne en écaille. Collection Cartier © Cartier / Marian Gérard.

Cette broche faisait partie d’un ornement de tête qui figurait parmi les objets présentés par Cartier à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris, en 1925. L’ornement de tête créé en 1925, est démonté à partir de 1926 et transformé en neuf broches et une paire de pendants d’oreilles.
Scénographie. Paul Landowski (1875-1961): Christ rédempteur, maquette, 1926 (à droite). Plâtre patiné.
Fondation Landowski, en dépôt au musée des Années Trente, Boulogne-Billancourt. Photo Spectacles Sélection.
 
Henri Sauvage (1873-1932). Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. Pavillon Primavera: étude en élévation pour la façade principale, 1925. Mine de plomb, aquarelle et gouache sur calque. Paris, fonds Henri-Sauvage, Cité de l’architecture et du patrimoine, Centre d'archives d'architecture contemporaine.

Le pavillon Primavera présente la production des ateliers d’art du grand magasin Le Printemps. Henri Sauvage respecte le plan octogonal exigé par le règlement et envisage plusieurs habillages, visibles sur ses dessins. Il opte finalement pour une forme conique, presque brute, en ciment armé de Perret frères, parsemée de lentilles en verre coloré de René Lalique, évoquant des galets. Les autres ateliers s’intitulaient La Maîtrise, pour Les Galeries Lafayette; Pomone, pour Le Bon Marché; et Studium, pour les Magasins du Louvre.
 
Cartier Paris. Bracelet, 1922. Platine, diamants, émeraudes, corail, onyx. Un bracelet identique fut présenté lors de l'exposition de 1925. Collection Cartier.
Scénographie. Photo Gautier Deblonde.