LE THÉÂTRE DES ÉMOTIONS

Article publié dans la Lettre n°550 du 22 juin 2022



 
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LE THÉÂTRE DES ÉMOTIONS. C’est un sujet singulier que celui de voir comment les peintres ont traduit la représentation des émotions au cours des siècles, du Moyen Âge à nos jours. Il a fallu la collaboration entre un agrégé de philosophie, Georges Vigarello, et un historien de l’art, Dominique Lobstein, pour retracer cette histoire.
En guise d’introduction nous avons deux tableaux. Le premier, Sainte Madeleine en pleurs, peint vers 1525, nous montre une femme dont seul le mouchoir révèle la désespérance. Le second, La Suppliante de Picasso (1937), dépeint une femme dans un profond état d’excitation qui suscite l’émotion.
Au Moyen Âge et à la Renaissance, surtout en Allemagne et aux Pays-Bas, les personnages n’expriment aucune émotion. Celle-ci est traduite par les objets qu’ils portent ou qui les accompagnent, par exemple un anneau ou un contrat pour le futur conjoint, une fleur pour la fiancée. C’est l’époque où apparaissent les Vanités, ces tableaux à base de crânes, de fleurs et d’autres objets éphémères chargés d’évoquer la brièveté de la vie et la vacuité des passions. Mais, à la fin du XVIe siècle, un certain Cesare Ripa rédige l’Iconologie, un dictionnaire qui a pour but de « servir aux poètes, peintres et sculpteurs, pour représenter les vertus, les vices, les sentiments et les passions humaines ». D’autres ouvrages du même genre suivront jusqu’au Dictionnaire de la Fable au XIXe siècle.
C’est au XVIIe siècle que l’émotion se dévoile. Pas tant chez les peintres du « grand genre », historique ou religieux, où l’on continue d’associer aux personnages des éléments anecdotiques (crânes, crucifix, etc.) mais dans les peintures populaires comme l’Entremetteuse ou la Diseuse de bonne aventure, thèmes chers à Caravage, qui prennent le spectateur à témoin. Mais si les portraits sont capables d’illustrer des émotions variées, certaines restent impénétrables comme celles de la Joconde.
Au XVIIIe siècle, l’émotion est peu à peu codifiée. On le doit à Le Brun dont on publie, à titre posthume, une Méthode pour apprendre à dessiner les passions. Il imprègne l’enseignement qui met alors en place des Concours de têtes d’expression. Des artistes excelleront dans cet exercice. Citons le sculpteur Messerschmidt avec ses Têtes de caractère, le caricaturiste Daumier et surtout le portraitiste Boilly qui multiplie les têtes d’expression (voir l’exposition consacrée à ce peintre – Lettre n°545). Mais les artistes ne se contentent pas de l’expression des visages. Le corps tout entier traduit les sentiments comme dans Madame Vestris dans le rôle d’Électre, de Lenoir (1778) ou Le Verrou de Fragonard (vers 1778-1779).
Avec le romantisme, l’émotion s’individualise. Le modèle et son environnement ne font plus qu’un comme le montre Les Amoureux d’Émile Friant (1888) ou le tableau ambigu de Dubufe, La Lettre de Wagram (1827) dans lequel le personnage est en pleurs à la lecture d’une lettre accompagnée de la Légion d’honneur. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, certains comme Jean-Martin Charcot, Paul Richer ou Duchenne de Boulogne font des études sur les expressions de la peur ou de la folie, à grand renfort d’expériences traumatisantes et de photographies. Les peintres, tel Müller, s’en inspirent pour représenter Rachel dans Lady Macbeth (1849). Le pire est atteint avec le tableau de Wiertz, Faim, folie et crime  (1853) où une femme, dans un total dénuement, vient de tuer son enfant qu’elle s’apprête à manger, après avoir reçu une assignation.
Vers la fin du XIXe siècle, les artistes s’emparent de sujets bannis jusque-là tels l’alcoolisme, les addictions, la prostitution et autres « égarements de la raison ». Au même moment, les arts s’éloignent du naturalisme et c’est avec d’autres méthodes de peinture que sont traduites ces émotions. L’exposition nous en offre divers exemples peints par Alexej van Jawlensky, Hans Richter, Egon Schiele, Albert Bertrand, Félicien Rops ou encore Picasso.
L’exposition se termine avec le détournement de l’émotion au XXe siècle, surtout dans sa deuxième moitié avec des tableaux de Salvador Dali, Fernand Léger, Zoran Mušič, Martine Martine et Jean Fautrier qu’il convient de savoir décrypter, ainsi qu’avec l’installation de Christian Boltanski, Monument (1885), avec ses 65 photographies et ses 17 lampes électriques, où l’expression des émotions connaît une ultime transformation.  Un sujet bien traité avec près de quatre-vingts œuvres. R.P. Musée Marmottan Monet 16e. Jusqu’au 21 août 2022. Lien : www.marmottan.com.


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