JEAN-JACQUES LEQUEU
Bâtisseur de fantasmes

Article publié dans la Lettre n° 473
du 20 février 2019


 
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JEAN-JACQUES LEQUEU. Bâtisseur de fantasmes. Le Petit Palais et la Bibliothèque nationale de France, qui possède la quasi-totalité des 800 dessins de Jean-Jacques Lequeu (1757-1826), nous présentent un dessinateur hors pair, peu connu à son époque et découvert tardivement à la fin des années 1940. Nous avions eu l’occasion de voir certains de ses dessins érotiques dans l’exposition « Sade, attaquer le soleil », au musée d’Orsay (Lettre n°375) mais cette fois, avec 150 dessins, la plupart inédits, nous avons un panorama complet de l’œuvre de cet artiste.
Originaire d’une famille de menuisiers à Rouen, Jean-Jacques Lequeu reçoit une formation de dessinateur technique à l’École de dessin de Rouen, la première école gratuite de France, où il fait preuve d’un certain talent. Il peut alors se rendre à Paris et travailler avec Soufflot, occupé alors par le chantier de l’église Sainte-Geneviève (actuel Panthéon). Malheureusement, un an plus tard, en 1780, Soufflot meurt et Lequeu peine à obtenir des engagements. Il tente alors de répondre, pour son propre compte, à des commandes mais ses projets d’églises, d’hôtels particuliers, de maisons de plaisance et plus tard de parcs et de palais ne sont jamais retenus. Son absence de cursus académique et son manque de réseaux en sont sans doute la cause. Lequeu restera toute sa vie « un architecte de papier » et ce n’est que par son classement à la BnF entre Ledoux et Boullée qu’il est devenu architecte !
Le parcours de l’exposition commence par une section « Le désir d’être reconnu », où l’on voit de magnifiques portraits et autoportraits de Lequeu ainsi que des figures physionomiques très réalistes. Déjà on peut apprécier sa maîtrise dans ces dessins faits à la plume avec un lavis de couleur, une technique où il excelle et qu’il emploiera dans tous ses dessins, donnant beaucoup de relief à ses représentations d’édifices, d’objets ou de corps. Dans son autoportrait de 1792, il se met en scène afin de donner une image favorable de lui-même, un esprit pétri de références littéraires, artistiques et scientifiques. Cet autodidacte lit beaucoup et puise dans les livres son inspiration. Il fera don, six mois avant sa mort, de tous ses dessins à la Bibliothèque royale afin de passer à la postérité.
Les quatre sections suivantes sont consacrées à ses dessins d’architecture. À côté de dessins d’intérieurs de maisons, comme ses projets de salon ou de poêle pour l’Hôtel de Montholon (1785-1786), de chaire pour l’église Saint-Sulpice (1789), nous avons des dessins très techniques comme cette Machine à tirer de l’eau du fossé pour être conduite à tous les étages du château, ou des dessins de théâtres, tel celui, assez inattendu, où toutes les loges sont munies de rideaux cachant la scène !
Lequeu dessine également des jardins ou plus précisément des fabriques, petits édifices évoquant de fausses ruines de chapelles ou de tombeaux, ou encore des kiosques invitant au plaisir. Ces jardins dits « à l’anglaise » s’inspirent de la campagne et rompent avec l’ornementation rigide des jardins à la française. L’imagination de Lequeu est débordante comme en témoigne son Île d’amour et repos de pêche ou son Étable vache tournée au midi sur la fraîche prairie ! Sachant qu’ils ne seraient jamais réalisés il ne se préoccupe pas des problèmes techniques que leur construction pourrait poser.
Avec la Révolution, Lequeu change son fusil d’épaule et propose, en vain, des projets de colonne représentant l’Aristocratie enchaînée (1789), de Monument aux grands hommes pour la place de la Victoire (1794), de Temple de la Terre (1794) ou encore de Porte du Parisis (1794), au dos duquel il écrit « dessin pour me sauver de la guillotine ».
La dernière section est inattendue. Intitulée « Rêveries d’un architecte solitaire », elle nous présente des dessins de nus, tantôt de facture classique (Étude de nu féminin dans un lit, 1793-1794), tantôt empruntés à la mythologie (Agdestis, fils de Jupiter), tantôt ésotériques (Il est libre, 1798-1799). D’autres enfin représentent des organes sexuels en gros plan, avec forces annotations, comme pour ses dessins d’architecture. On s’est beaucoup intéressé à cette obsession érotique chez Lequeu, convoquant Sade, son contemporain, et Freud. Ces dessins peuvent peut-être traduire une frustration ou, plus simplement, refléter le goût de son époque pour l’antiquité et les découvertes de nombreux phallus au cours des fouilles réalisées alors en Italie du sud. Une exposition en tout point remarquable, tant par son sujet que par sa scénographie. R.P. Petit Palais 8e. Jusqu’au 31 mars 2019. Lien: www.petitpalais.paris.fr.


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