CHARLES RAY

Article publié dans la Lettre n°546 du 27 avril 2022



 
Parcours en images de l'exposition au Centre Pompidou (cliquez ici).

 
Parcours en images de l'exposition à la Bourse de Commerce (cliquez ici).

CHARLES RAY. Né en 1953 à Chicago dans un milieu artistique, Charles Ray vit et travaille aujourd’hui à Los Angeles. Parmi les cent ou cent-trente objets que compte son œuvre à ce jour, les toutes premières ne rencontrèrent pas le succès. Ce n’est que dans les années 1990, avec un tournant vers le figuratif et sa présence dans plusieurs grandes expositions, qu’il se fait réellement connaître, que sa cote augmente et qu’il peut travailler à son rythme. Le coût de ses œuvres est tel aujourd’hui qu’aucune institution publique française n’en possède. En revanche, il y en a une vingtaine dans la collection Pinault dont plusieurs sont présentées dans cette manifestation.
La présente rétrospective, la première de cette envergure, se déploie sur deux sites, le Centre Pompidou et la Bourse de Commerce - Pinault Collection. L’idéal est de visiter les deux sites, situés à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, mais tous les deux proposent des sculptures très représentatives du travail de Charles Ray. En revanche ce n’est qu’au Centre Pompidou que l’on a un panorama complet de ses œuvres, de 1973 à 2021. Dans les deux cas, les sculptures sont présentées dans de grands espaces comme les aime Charles Ray pour qui les sculptures « ne sont pas dans l’espace mais en relation avec lui ».
Parmi les œuvres les plus anciennes que l’on peut voir, au Centre Pompidou, nous avons des photographies où il se met en scène avec une planche appuyée contre un mur (Plank Piece I and II, 1973), une table réduite à ses structures élémentaires avec quelques objets dessus (How a Table Works, 1986) et divers autoportraits. Tout au long de sa carrière, l’artiste utilise son portrait et son corps dans toutes sortes de situations. En 1990, il réalise Self-Portrait avec un mannequin dont il remplace la tête par un moulage de la sienne et qu’il habille avec les mêmes vêtements qu’il confectionnait et portait à l’époque. Mais finalement ce n’est pas une sculpture qui le représente mais bien « une sculpture de mannequin ». C’est un peu la même chose avec ses photographies Yes (1990) et No (1992). La première est un vrai portrait, qu’il a fait sous l’influence du LSD, et qui est présenté sur un mur convexe pour déstabiliser à son tour le spectateur. La seconde est une photographie d’un mannequin en fibre de verre à son effigie. Là aussi ce n’est pas vraiment son portrait, c’est une illusion.
On a vu que Charles Ray confectionnait lui-même ses vêtements et ceux qu’il utilise dans ses sculptures. Une planche de 16 photographies le représente avec tous les vêtements de sa garde-robe, depuis les plus chauds jusqu’aux plus légers (All My Clothes, 1973). C’est lui aussi qui habille les mannequins géants (244 cm de haut) qu’il fait fabriquer à l’échelle 1,30 que l’on peut voir sur l’un et l’autre site (Fall ’91, 1992). On ne se rend compte de leur taille, tant les proportions sont parfaites, que par rapport aux visiteurs.
Ce qui frappe en contemplant l’œuvre de Ray, c’est tout d’abord la multiplicité des matériaux utilisés. C’est un sculpteur aussi habile dans le travail de la fibre de verre que de la fibre de carbone, dans le marbre que dans le béton, dans le bois que dans l’aluminium, dans l’acier inoxydable que dans le papier fait main.
Une autre caractéristique est son rapport avec des sculptures célèbres dans l’histoire de l’art, qu’il connaît avec précision,  que ce soit la Grèce antique, la Renaissance et même l’art moderne. Son Young Man (2012) évoque la statue de Kouros (VIe siècle av. J.-C.) du Metropolitan Museum of Art ; son Shoe Tie (2012), le Jeune Homme accroupi attribué à Michel-Ange ; son Future Fragment on a Solid Base (2011) le Pied gauche sur gaine à rinceaux et cannelures de Rodin ; son Boy with Frog (2009), l’Apollon sauroctone attribué à Praxitèle, voire le David de Donatello brandissant la tête de Goliath (1430-1432) ; et bien sûr son Christ intitulé Study after Algardi (2021) le Cristo Vivo de l’Algarde (vers 1650). Ces clins d’œil permettent ainsi d’inscrire son œuvre dans l’histoire de la sculpture occidentale.
Si Charles Ray utilise souvent son corps ou son visage, il utilise aussi des modèles choisis dans son entourage comme Abel, le fils de son fondeur Mark Rossi, pour The New Beetle (2006) et Boy with Frog (2009) ou un ami sculpteur, Ry Rocklen (né en 1978), pour Young Man (2012). Mais il lui arrive aussi de faire appel à des personnes rencontrées dans la rue comme ce toxicomane qui lui sert de modèle pour Jeff (2021) ou mieux encore, cette femme sans-abri, lourdement endormie sur un banc dans la rue, qu’il photographie sous tous les angles, revenant même, un peu plus tard, compléter les photos de cette femme, toujours endormie, pour Sleeping Woman (2012). De telles œuvres permettent à Ray de rendre compte de la réalité sociale contemporaine.
Si les nus sont nombreux dans les sculptures de Charles Ray, à l’image des œuvres antiques, certaines interpellent et font même l’objet d’un « avertissement » à la Bourse de Commerce. Dans celle-ci, un groupe de huit mannequins nus, répliques grandeur nature de Ray, dont le visage et les parties intimes ont été modelés sur lui-même, semble se livrer à des ébats sexuels. En fait il n’en est rien et les gestes semblent suspendus et inefficaces (Oh ! Charley, Charley, Charley …, 1992). Au Centre Pompidou, c’est toute une famille, nue et se donnant la main, qui est représentée. Si les proportions physiques de chaque personnage sont bien respectées, en revanche ils ont tous la même taille, 1,35 mètre (Family Romance, 1993), ce qui est assez troublant.
Signalons aussi les objets les plus volumineux que l’on peut voir dans l’un ou l’autre site. Au Centre Pompidou nous avons un tronc d’arbre pourri de près de 10 mètres de long. En fait, il s’agit d’une reconstitution en bois de cyprès, par des spécialistes japonais, d’où le nom d’Hinoki (2007) donné à cette œuvre, d’un arbre tombé dans un pré, à côté de l’autoroute, et qui avait particulièrement intéressé Ray par sa beauté et sa parfaite intégration dans ce champ.
Toujours au Centre Pompidou, nous voyons une voiture accidentée, Unpainted Sculpture (1997). Mais là-aussi, cette Pontiac Grand AM n’a jamais existé ! Charles Ray a désassemblé la voiture accidentée, a étudié minutieusement toutes ses pièces et les a reproduites en fibre de verre qu’il a ensuite réassemblées. Le résultat est surprenant de réalisme.
À la Bourse de Commerce nous avons, avec Tractor (2005), une œuvre de même conception. Ray a fait l’acquisition d’un tracteur abandonné des années 1960, l’a entièrement démonté, puis à partir de copies des pièces en terre glaise, en a fait réaliser des copies en aluminium, qu’il a ensuite remontées. Ici aussi le réalisme est total.
Toujours au sein de Pinault Collection, nous avons un camion, Unbaled Truck (2021) qui procède d’une tout autre démarche. Charles Ray avait fait compresser un camion, l’avait numérisé et fait refabriquer en acier inoxydable (Baled Truck, 2014). Plus tard, il a déplié petit à petit le camion compressé pour le reconstituer. C’est celui-ci que l’on voit aujourd’hui dans la magnifique rotonde, avec les traces de toutes les violences qu’il a subies.
Une rétrospective aussi passionnante que spectaculaire. Un seul regret, les œuvres étant toutes présentées sur des fonds blancs, nous n’avons pas de contraste. R.P. Centre Pompidou 4e. Jusqu’au 20 juin 2022. Bourse de Commerce - Pinault Collection 1er. Jusqu’au 6 juin 2022. Liens : www.centrepompidou.fr. et www.pinaultcollection.com.


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