Parcours en images de l'exposition

CHARLES RAY
Bourse de Commerce Pinault Collection

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°546 du 27 avril 2022



 


PARVIS DU MUSÉE

 
CHARLES RAY

Pour sa première exposition à la Bourse de Commerce, Charles Ray investit le musée - du parvis à la Rotonde, du Salon à l'ensemble des galeries du 2° étage - en dévoilant dix-sept œuvres, dont six nouvelles œuvres présentées pour la première fois au public.

Né en 1953 à Chicago, Charles Ray a largement contribué à redéfinir les questionnements sur le médium de la sculpture. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des artistes les plus marquants de la scène internationale. Son œuvre met en relation formes classiques familières et représentations contemporaines. Ancrée dans une profonde connaissance de l'histoire de l’art, elle saisit par la temporalité complexe qu'elle instaure avec les visiteurs.

Concentrée sur la dimension sculpturale de l'œuvre de Charles Ray et plus particulièrement sur la figuration humaine, cette exposition présente sa recherche la plus actuelle et donne à voir ses réflexions sur les matériaux, ses interrogations autour de l'échelle de représentation, qui altèrent notre rapport à l'œuvre. Marbre, papier fait main, béton, acier inoxydable, aluminium, fibre de verre peinte: la pratique de l'artiste américain convoque aussi bien les techniques ancestrales du travail artisanal que celles de la technologie industrielle la plus innovante. Pour Charles Ray, le choix des matériaux est aussi essentiel que celui des formes. La précision et la complexité qui accompagnent la création de ses œuvres témoignent de sa force d'invention et de son engagement envers la sculpture.

Affiche vidéo
 
Texte du panneau didactique.
Parvis du musée avec Horse and Rider. Photo Aurélien Mole.
 
Entrée du musée avec Horse and Rider. Photo Aurélien Mole.
 
Charles Ray. Horse and Rider, 2014. Acier inoxydable, 278 x 102 x 269 cm. Pinault Collection.


SALON ET ROTONDE

Vue d'ensemble de la rotonde. Photo Aurélien Mole.
 
Charles Ray, 2020. Photo Joshua White. Avec l’aimable autorisation du studio de l’artiste.
 
Charles Ray. Jeff, 2021. Marbre, 204 × 104 × 124 cm. Courtesy Matthew Marks Gallery.

Prenant pour modèle un sans domicile fixe rencontré dans la rue, Charles Ray subvertit le genre du portrait assis, généralement réservé aux représentations de la justice et des divinités. Avec Jeff, il sculpte un anti-héros dont l'aspect abattu et défait contraste avec l'ampleur de la présence du personnage et l'expressivité de ses traits. Le choix du marbre - matériau des chefs-d'œuvre depuis la Rome antique - est utilisé pour faire ressentir la difficulté de la vie de son modèle, le poids de son existence coïncidant avec celui de la sculpture elle-même, dépassant la tonne. L'œuvre constitue également pour Charles Ray une façon contemporaine d'aborder la figure du Christ, «aussi humain que divin, tel qu'il m'était décrit lorsque j'étais enfant, mais que j'étais incapable de me figurer.»

Charles Ray. Unbaled Truck, 2013. Camion écrasé, 193 x 183 x 528 cm, 1,044 kg. Courtesy Matthew Marks Gallery. Photo Aurélien Mole.

Pour réaliser la sculpture Baled Truck (2013) en acier inoxydable, Charles Ray a fait compresser et scanner un camion. Ce même véhicule comprimé et compressé a ensuite été démantelé et « déballoté », reconfiguré et mis en forme pour créer la sculpture Unbaled Truck. L'œuvre fait référence à la première voiture de Charles Ray, qu'il a abandonnée un jour croyant être sur le point d'être enlevé par des extra-terrestres. L'artiste a reconstitué méticuleusement cet objet détruit avec la volonté utopique de lui redonner vie. L'œuvre peut être interprétée comme une métaphore de la discipline elle-même : la sculpture ne consiste-t-elle pas en la recomposition lente et morcelée du réel ? Unbaled Truck peut également incarner une utopie du 20e siècle, productiviste et consumériste, en lien avec l’histoire industrielle de l'Amérique.

 
Charles Ray. The New Beetle, 2006. Acier inoxydable peint, 53 x 88 x 72 cm, 91 kg. Glenstone Museum, Potomac, Maryland.

Prenant pour modèle Abel, le fils du fondeur de Charles Ray, The New Beetle représente un garçon s'amusant avec sa petite voiture. Tout entier absorbé par son jouet - dont Charles Ray sculpte l'obsession en détaillant l'objet davantage que le garçon -, l'enfant rappelle par sa posture le Gaulois mourant antique autant que la sculpture baroque: la complexité de l'ensemble encourage le spectateur à en faire le tour pour en apprécier tous les détails. L'artiste utilise le jouet tenu par l'enfant pour créer un certain rapport à l'espace: posés à même le sol, sans socle ni mise à distance, le garçon et son jouet invitent le spectateur à s'intéresser à l'espace lui-même.

 
Charles Ray. Return to the One, 2020. Papier fait main, 151 x 160 x 141 cm, env. 4 kg. Courtesy Matthew Marks Gallery. Photo Aurélien Mole.

Return to the One est un portrait de l'artiste qui le représente en situation d'attente, bien loin des stéréotypes du créateur génial. L'œuvre est en papier, fabriquée selon des techniques traditionnelles. L'artiste considère que cette œuvre est un dessin. Plutôt qu'avec un stylo, un crayon ou un fusain appliqué sur le support plat du papier, c'est avec l'espace lui-même que l'image du personnage a été créée. Le titre fait référence au philosophe grec Plotin et à ses écrits sur la relation entre l'individu et le cosmos.



GALERIE DU 2e ETAGE

 
Charles Ray. Boy with Frog, 2009. Acier inoxydable peint, 244 x 75 x 105 cm, 204 kg. Pinault Collection.
 
Charles Ray. Boy with Frog, 2009 (détail). © Charles Ray. Photo Joshua White.
Charles Ray pour l'ouverture de la Punta della Dogana en 2009, Boy with Frog était destiné à être exposé dans l'espace public, à « devenir un citoyen», selon les mots de l'artiste. La monumentalité inattendue de l'œuvre altère profondément l'espace dans lequel elle s'inscrit. Son iconographie renvoie aux sculptures célèbres de l’Apollon sauroctone, nu, tendant son bras pour attraper un lézard, et au David de Donatello brandissant la tête de Goliath tandis que sa facture rappelle le Spinario du 5e siècle. Charles Ray interroge la dimension spatiale de la sculpture: « Le sens de la sculpture réside dans l'espace entre le garçon et la grenouille. » Absorbé par la contemplation de l'animal, l'enfant peut figurer une métaphore de l'existence - de l'apprentissage, de la découverte d'autrui - ou bien une parabole sur le rapport du spectateur à l'œuvre.
 
Charles Ray. Girl on Pony, 2015. Aluminium, 213 x 152 x 9 cm, 224 kg. Pinault Collection. Courtesy Matthew Marks Gallery et Studio de l'artiste. Photo Ron Amstutz.

Girl on Pony figure une jeune fille - la filleule de l'artiste - chevauchant son poney, lequel demeure pour l'essentiel hors cadre. Si les vêtements et les accessoires de la cavalière renvoient à notre monde contemporain, la technique du bas-relief et la position de profil rappellent les sarcophages grecs. L'image familière d'une jeune fille s'adonnant à sa passion prend alors une portée funéraire et sacrée. Le relatif effacement du cheval comme de celui des traits de la jeune fille contrastent avec le soin apporté aux détails des harnachements et des vêtements. Comme souvent chez Charles Ray, la différence de traitement de chaque détail aiguise l'engagement perceptif du spectateur. L'œuvre peut faire l'objet de lectures spatiales différentes, quand bien même l'image se déploie presque entièrement en deux dimensions.

 

Charles Ray. Sleeping Woman, 2012. Acier inoxydable, 90 × 113 × 127 cm. San Francisco Museum of Modern Art. Photo Joshua White.

Sleeping Woman retrace une expérience de l’artiste : au cours d’une marche en ville, celui-ci croise une personne sans-abri, assoupie sur le banc en béton près d’un Abribus sur Wilshire Boulevard, à Santa Monica. Charles Ray est immédiatement impressionné par la stature sculpturale de la femme – l’horizontalité, la contrainte du cadre donné par le rectangle dur et lourd du banc ainsi que, les formes du corps et de la posture - tout autant que par le poids de son sommeil et l’expression abandonnée de son visage : elle reste, imperturbablement assoupie malgré l’intense agitation de la ville alentour. Frappé par la précarité de la situation sociale de cette personne, l’amenant à dormir aussi profondément dans l’espace public, l’artiste voit aussi la force intrinsèque qui s’en dégage et qui lui apparaît aussi impassible et immuable qu’une montagne : la sculpture était là. Abasourdi, Charles Ray raconte qu’il prit une centaine de photos du « modèle », qu’il consulta aussitôt dans son atelier afin d’en tirer une œuvre. Constatant que certaines informations lui manquaient, Ray revint sans attendre sur ses pas. La femme était toujours là, endormie dans la même position, inconsciente de « poser ». À ce titre, Sleeping Woman diffère de la plupart des œuvres de l’artiste pour lesquelles les modèles ont dû poser dans l’atelier.

Charles Ray. Tractor, 2003. Aluminium, 144 x 306 x 155 cm, 885 kg. Astrup Fearnley Museet.

Reconstitution pièce par pièce d'un tracteur, cette œuvre est autant une réflexion sur le geste du sculpteur, recomposant le réel à partir de morceaux de matières, qu'une évocation de l'enfance de l'artiste et du souvenir d'avoir joué avec un tracteur abandonné. Le rendu en aluminium fait osciller le véhicule entre différents états: témoignage de l'Amérique rurale, évocation des jeux de l'enfance, indice du temps qui passe et qui excède la temporalité humaine. Surtout, par l'assemblage de toutes les parties, réalisées par les différents assistants et unifiées en un seul objet, Tractor apparaît comme une interrogation conceptuelle de la sculpture elle-même. Charles Ray l'envisage comme une « ruine », un objet « transparent », « philosophique », que l'on peut traverser par le regard et démonter mentalement.

 
Charles Ray. Young Man, 2012. Acier inoxydable, 180 x 53 x 34 cm, 658 kg. Pinault Collection.

Suivant le thème grec du kouros - l'homme nu représenté en appui sur une jambe - Young Man a pour modèle le sculpteur Ry Rocklen, un ami de Charles Ray. Young Man évoque l'histoire de la représentation de la nudité masculine à travers l'usage du contrapposto et la notion de corps en mouvement. Loin de présenter un type idéalisé, musculeux et symétrique, la sculpture rend davantage compte de la normalité du modèle. Le corps de l’homme est représenté avec toutes ses particularités, le rendant si individualisé, si proche de nous. L'aspect métallisé de l'acier inoxydable crée une sorte de tension visuelle qui perturbe sans cesse notre regard par le jeu de déformations lumineuses et rapproche le personnage d'une forme d'abstraction.

 
Charles Ray. Burger, 2021. Fibre de verre peinte, 224 x 104 x 103 cm, 54 kg. Courtesy Matthew Marks Gallery.

Cette œuvre montre autant un personnage que l'attention que celui-ci porte à l'objet qu'il tient entre ses mains: ce dernier semble d’ailleurs détaillé différemment de la figure humaine. À nouveau, Charles Ray modèle l'espace en créant une relation entre deux objets. Légèrement surdimensionnés, le personnage et son repas mettent en jeu des questions de densité et de présence physique. L'artiste poursuit également son exploration de la culture populaire américaine en réinterprétant un moment iconique du monde actuel, comme un reflet contemporain de l'œuvre d'Auguste Rodin, Le Penseur (1880).

Charles Ray. Oh! Charley, Charley, Charley.., 1992. Fibre de verre peinte et cheveux, 183 x 457 x 457 cm. Rubell Museum.

«Réflexion sur le désir, au travers duquel l'autre n'est finalement qu'une projection de soi-même », cette sculpture présente huit répliques grandeur nature de l'artiste engagées dans ce qui s'apparente à une orgie, les corps restant cependant éloignés de toute action sexuelle, enfermés dans une forme de solitude physique. Cette œuvre charnière marque la fin de l'intérêt de Charles Ray pour les mannequins et le début de son travail autour d'une figuration à l'échelle 1. Au-delà de son caractère provocant, elle mobilise plusieurs références artistiques - des Bourgeois de Calais d'Auguste Rodin pour le rapport à l'espace du groupe sculpté au Baiser de Constantin Brancusi constitué d’un seul bloc sculpté duquel émergent deux amoureux fusionnels. L'œuvre explore aussi l'histoire de la sculpture contemporaine, reprenant du minimalisme la façon de s'inscrire dans l'espace et de modifier la perception d'un lieu, et s'emparant des habitudes pop de présenter des images immédiatement percutantes.

 
Charles Ray. Oh! Charley, Charley, Charley.., 1992. Fibre de verre peinte et cheveux, 183 x 457 x 457 cm. Rubell Museum.
 
Charles Ray. Oh! Charley, Charley, Charley.., 1992. Fibre de verre peinte et cheveux, 183 x 457 x 457 cm. Rubell Museum.
Charles Ray. Fall ‘91, 1992. Fibre de verre peinte, cheveux, vêtements, bijoux, verre et métal, 244 x 66 x 91 cm.
Glenstone Museum, Potomac, Maryland. Photo Aurélien Mole.

Cette œuvre illustre l'une des notions chères à l'artiste, celle de « l’encastrement » (embedment), c'est-à-dire l'inscription de la sculpture dans l'espace, la sensation que celle-ci a toujours été là. Visuellement identique aux mannequins de magasins, Fall ‘91 produit une impression de normalité qui se dissout à mesure que l'on s'approche d'elle: haute de près de 2,5 mètres, la monumentalisation d'une figure bien connue crée, en retour, le sentiment que l'espace autour d'elle se rétrécit, à l’image du spectateur physiquement dominé par son échelle. Charles Ray explique ainsi son intérêt pour le mannequin comme vecteur de représentations contemporaines: « {...] Les yeux des mannequins sont peints avec un strabisme convergent ou divergent, de sorte que le spectateur ne peut jamais établir de contact visuel. Comme le mannequin ne sourit jamais, il est dépourvu de toute intention et de toute âme; le consommateur peut ainsi projeter les produits sur lui. Il s'agit d'un mécanisme figuratif dont la stylisation reflète différents aspects de notre culture. »

 
Charles Ray. Study after Algardi et Concrete Dwarf (voir ci-contre et ci-dessous). Photo Aurélien Mole.
 
Charles Ray. Study after Algardi, 2021. Papier fait main, 350 x 262 x 75 cm, 55 kg. Courtesy Matthew Marks Gallery.

Cette œuvre est inspirée d'un bronze du 17e siècle d'Alessandro Algaïdi, souvent nommé le Cristo Vivo, un exemple notable du style baroque où le corps du Christ est figuré avec beaucoup d'expressivité, de mouvement et de sensualité. Charles Ray en tire une réplique considérablement agrandie qui déréalise l'aspect naturaliste de l'original. La légèreté de la composition, réalisée en papier fait main, accentue l'effet d'envol que semble accomplir le personnage. L'absence de croix amplifie l'impression de flottement dans l'espace, tandis que la blancheur du papier lui confère un caractère spectral, comme si Charles Ray parvenait à vider de sa substance l'une des représentations les plus chargées de l’histoire de la sculpture pour la transformer en pur travail spatial.

Charles Ray. Concrete Dwarf et Doubting Thomas (voir ci-dessous). Photo Aurélien Mole.
 
Charles Ray. Concrete Dwarf, 2021. Béton, Ensemble 94 x 160 x 109 cm, env. 114 kg. Courtesy Matthew Marks Gallery.

Cette œuvre s'inscrit dans les recherches de Charles Ray sur la représentation sculptée du sommeil. La posture du personnage peut rappeler les types antiques de l'Éros endormi, comme de l'Hermaphrodite du musée du Louvre ou encore la posture du Christ endormi. Les vêtements du personnage, son t-shirt, son jean et ses baskets hautes le placent cependant dans une contemporanéité évidente. Chez Charles Ray, tout un chacun peut devenir le sujet d’une sculpture monumentale. La posture et la lourdeur de Concrete Dwarf éveillent un doute: l'homme est-il endormi ou mort ?.


Charles Ray. Doubting Thomas, 2021. Fibre de verre peinte, 202 x 119 x 55 cm, env. 82 kg. Courtesy Matthew Marks Gallery. © Charles Ray. Photo droits réservés.

L'œuvre se réfère à l'épisode biblique de l’incrédulité de l'apôtre Thomas face à la résurrection du Christ. Dubitatif, il demande à voir ses plaies et même à introduire son doigt dans la blessure laissée à son côté par la lance de Longin. Ce duo sculpté est l'occasion pour Charles Ray de créer une « armature » par le vide laissé entre les personnages: Thomas désigne davantage la blessure, et donc l'espace qui le sépare du Christ, qu'il ne cherche à pénétrer sa chair. Le bras levé du Christ, le doigt tendu de Thomas, le regard focalisé sur la plaie sont autant de liaisons visuelles qui confèrent à l'ensemble un grand dynamisme. Métaphore de la sculpture et de son inscription dans l'espace, Doubting Thomas renvoie à la relation entre le regardeur et la sculpture: nous regardons Thomas désigner le Christ, qui, lui, s'offre à nous.

 
Charles Ray. Tabletop, 1983. Bois, assiette en céramique, conteneur en métal, bol en plastique, gobelet en plastique, shaker en aluminium, pot en argile, plante, moteur, 112 x 133 x 89 cm. The Museum of Contemporary Art, Los Angeles. Gift of Lannan Foundation. Courtesy Matthew Marks Gallery. Photo Charles Ray Studio.

Cette œuvre se sert de l'histoire de la peinture pour interroger l’immobilité de la sculpture. Tabletop réinvestit la notion d'éphémère, toujours associée à celle de la nature morte (still life en anglais, soit la « vie immobile ») en proposant une sculpture en reconfiguration perpétuelle. Charles Ray présente six objets motorisés sur une table, cherchant ainsi à sculpter l'espace par l'attention portée à l'écart et à la position des objets, mais également par le mouvement quasi imperceptible qui ne cesse de reconfigurer leurs rapports. Le caractère mobile des objets encourage le spectateur à se déplacer autour de l'œuvre. Tabletop n'est pas une nature morte, car la table est aussi importante que les objets qui se trouvent sur sa surface.