PÔLES

Article publié dans la Lettre n°539 du 19 janvier 2022


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PÔLES. Texte de Joël Pommerat. Mise en scène Christophe Hatey et Florence Marschal. Avec Florence Marschal, Roger Davau, Tristan Godat, Cédric Camus, Loïc Fieffé, Karim Kadjar ou Emilien Audibert, Aurore Medjeber, Samantha Sanson.
Elda Older, une femme entre deux âges, au sourire fragile et au babillage incessant, dit combien sa vie a été semée de désillusions et de tentatives avortées dans le domaine du théâtre et du chant, et comment elle tente de résister à l'amnésie galopante qui la menace.
Autour d'elle, son frère Walter, improbable sculpteur, sombre et agressif. Son voisin, Jean, écrivain velléitaire et raté, aimerait remplir le contrat éditorial dont on vient de l'honorer. En vain.
Walter amène chez elle Alexandre-Maurice Butofarsy, un colosse massif, qui sort de son quasi mutisme lorsqu'il pénètre dans cet appartement qu'il dit avoir habité vingt ans plus tôt. Dès lors, sous la pression d'Elda qui s'empare littéralement de lui et, sous couvert d'une autobiographie à écrire, le pousse dans les retranchements d'une mémoire occultée, Alexandre-Maurice fait remonter à la surface le récit très ambigu du meurtre de sa mère impotente, des tournées successives de Saltz, son frère violoniste, de l'inévitable expulsion hors de l'appartement. Jadis, sa santé mentale n'a pas résisté à ces chocs successifs, qui l'ont complètement déconnecté du réel et fait sombrer dans une évidente psychose, mais il se remémore lentement et chaotiquement ces épisodes dramatiques.
Le vide de l'espace scénique, que seuls barrent quelques panneaux mobiles selon les diverses phases de la réminiscence, est en contraste inversé avec l'omniprésence volubile d'Elda Older, qui y puise une compensation manifeste à la désertion progressive de sa propre mémoire.
Tout dans ce récit est affaire de mémoire et d'oubli, amnésie galopante d'Elda, incapacité à fixer l'histoire pour Jean, acte terrible qu'Alexandre-Maurice a occulté en stoppant brutalement ce qui constituait sa vie et sa maigre histoire d'amour avec Jessica.
Les personnages sont stupéfiés au sens propre, blocs d'inertie effacés de toute vie sociale et ordinaire. Aux marges de l'aliénation.
De ces identités fracturées, enlisées, Joël Pommerat tisse un récit asphyxiant et d'autant plus saisissant qu'il est entremêlé de drôlerie, d'humour et de compassion. Les comédiens offrent une palette à la fois contrastée et presque monochrome dans un clair-obscur de plus en plus obscur. Au centre, Elda, pétrie de générosité et de dévouement, s'efforce par son agitation fébrile et absurde de secouer la torpeur ambiante, le silence d'oubli qui va définitivement les recouvrir comme un linceul de poussière.
Impressionnant. A.D. Studio Hébertot 17e.


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