ADIEU MONSIEUR HAFFMANN

Article publié dans la Lettre n° 448
du 14 février 2018


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ADIEU MONSIEUR HAFFMANN. Texte et mise en scène Jean-Philippe Daguerre avec Grégori Baquet ou Charles Lelaure, Alexandre Bonstein, Julie Cavanna, Franck Desmedt, Charlotte Matzneff ou Salomé Villiers.
Jusqu’au bout… Qu’est-on prêt à offrir ou à sacrifier pour aller jusqu’au bout ? Et de quoi ?
Jusqu’au bout du courage plus fort que sa peur, quand dans le Grand Guignol des bruits de bottes et de la chasse au « rat » juif, dans le Paris occupé de 1942, Joseph le bijoutier offre sa raison de vivre et de survivre à son jeune employé. Et même un peu plus.
Jusqu’au bout de son amour et de sa loyauté, quand Isabelle offre son corps à un autre que son mari, parce que l’enfant est à ce prix. Avec la sobriété de son bon sens et de sa fidélité.
Jusqu’au bout de son amour et de sa jalousie, parce que le désir d’enfant est plus fort que tout en Pierre, qui a « un cœur qui bat de courage et de peur ».
Alors, Joseph se terre à la cave, assis comme la femme de son Matisse. Isabelle fait comme si, Pierre excelle en claquettes le jour des tentatives infructueuses. Les mois s’égrènent, l’espoir chancelle. On s’essaie à la légèreté, la courtoisie tangue et frissonne malgré tout. On flirte avec la compromission nauséeuse.
Dans ce trio uni malgré lui par un pacte qui pourrait exploser de sa propre perversité, chacun parvient à préserver sa dignité comme sa fragilité, toujours sur le fil de la catastrophe, surtout quand arrive le couple maudit de l’ambassadeur nazi, glaçant de politesse, et de son épouse explosive, férue de plaisanteries douteuses. Le repas final est une merveille d’intensité et de subtilité. Tout y sera dit et le pire évité. Cochon qui s’en dédit…
Dans un décor qui fait le choix d’une sobriété double, la mise en scène donne à voir le funambulisme entre deux univers, visible et caché, entre deux choix, résister ou accepter les cadeaux de l’ennemi, entre deux désirs, la fidélité et le désir d’enfant. Et elle ne tombe pas dans le manichéisme réducteur. Les documents sonores de l’époque, par la radio ou le commentaire off, rappellent l’abjection des discours officiels, les propos de l’ambassadeur et de son épouse donneraient envie de vomir s’ils n’étaient judicieusement entachés de plaisanterie, souvent graveleuse, et de jeux de mots. Le rythme est souple et rapide dans l’alternance des contrastes, ombre de la cave et lumière de la convivialité.
L’émotion évite le piège du pathos, la pudeur voile la peur, Les dialogues, enlevés et efficaces, dénouent le malaise et la tension par le rire, sans tomber dans la caricature et l’effet grossissant et facile. L’ambiguïté de la situation « sexuelle » pourrait être scabreuse, la duplicité « commerciale » de Pierre pourrait laisser à penser qu’il glisse dangereusement. L’intelligence de l’interprétation permet d’éviter ces périls. Les cinq comédiens sont remarquables, sans restriction, chacun dans sa nuance propre.
Profondeur, pudeur, délicatesse, tension, humour. Un cocktail délicieux qu’il faut absolument aller savourer.
Un vrai bijou, au propre et au figuré. A.D. Théâtre du Petit Montparnasse 14e.


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