PIONNIÈRES
Artistes dans le Paris des Années folles

Article publié dans la Lettre n°544 du 30 mars 2022



 
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PIONNIÈRES. Artistes dans le Paris des Années folles. Après « Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat » (Lettre n°525) et « Elles font l’abstraction » (Lettre n°528), cette exposition rend hommage à son tour à des artistes femmes pour la plupart oubliées alors qu’elles jouissaient, dans les années 1920, du même prestige que les hommes. La Grande Guerre avait décimé ces derniers. Durant ce conflit, les femmes avaient dû prendre leur place et accomplir les tâches qui leur étaient jusque-là dévolues : labourer, vendre les bestiaux, conduire des voitures, des bus, soigner les blessés, etc. Les métiers artistiques n’étaient pas oubliés et, la paix revenue, elles ont continué à les exercer, à leur manière, sans être soumises aux contraintes qu’elles avaient connues au cours des siècles précédents. Cette période exceptionnelle, appelée « Années folles », trop souvent réduite à une ambiance de fêtes et d’exubérance, est une décennie  de forte croissance économique et aussi de questionnement sur le « genre » et l’identité. Malheureusement, la crise économique, la montée des totalitarismes, puis la Seconde Guerre mondiale, vont restreindre la visibilité des femmes et faire oublier ce moment extraordinaire des années 1920 où elles avaient eu la parole.
Cette exposition présente 45 artistes travaillant aussi bien la peinture, la sculpture, le cinéma, la photographie, que des techniques ou catégories d’objets nouvelles comme les tableaux textiles ou les poupées.
Une première section, « Les femmes sur tous les fronts », nous  rappelle le rôle qu’elles jouent durant la Grande Guerre. C’est ainsi que la sculptrice Gertrude Vanderbilt Whitney met sa fortune au service de l’effort de guerre et crée en France l’Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine. Des hommes et des femmes du monde entier, fuyant les interdits ou le racisme dans leurs pays, viennent à Paris après le traité de Versailles de 1919, à la recherche d’une liberté culturelle, artistique et sexuelle que leur refusent leurs pays d’origine. Des panneaux didactiques nous montrent d’où viennent ces femmes et comment leurs droits ont évolué, même si le droit de vote et l’avortement leur sont toujours interdits.
Dans la deuxième section on voit, à travers une douzaine d’œuvres - peintures, sculptures, films - « comment les avant-gardes se conjuguent au féminin », y compris dans l’édition de livres avec des pionnières comme Sylvia Beach et Adrienne Monnier. Les écoles d’art ne sont plus réservées aux hommes et les femmes trouvent tout leur place dans les Académies de Marie Vassilieff ou de Marie Laurencin et Fernand Léger.
Néanmoins, pour être totalement indépendantes, il faut pouvoir « vivre de son art ». C’est ce que font Gabrielle Chanel ou Sarah Lipska en ouvrant des boutiques où elles présentent leurs vêtements, ou encore Sonia Delaunay avec toutes sortes de créations. Marie Vassilieff invente la « poupée-portrait » tandis que Sophie Taeuber-Arp réalise les marionnettes du conte Le Roi Cerf pour le théâtre de marionnettes de Zurich. Quant à Alicja Halicka, elle réalise d’extraordinaires tableaux en tissus.
Les femmes s’emparent aussi des attributs masculins tels que la coupe de cheveux, le pantalon, la pratique sportive, la gestion d’entreprise etc. On les a appelées « Les garçonnes » d’après un roman de Victor Margueritte. L’exemple le plus marquant est celui de Joséphine Baker à laquelle est consacrée une bonne partie de la quatrième section. On la voit danser mais aussi jouer au golf, diriger son restaurant, publier son magazine et vendre une multitude d’objets dérivés. C’est l’artiste la mieux payée d’Europe à cette époque.
Ces artistes se représentent chez elles, sans fard. La maternité vue par Maria Blanchard ou par Mela Muter est éprouvante. À l’inverse, la sculptrice Chana Orloff, qui vit de son art, exalte une vision puissante de la femme, autonome et indépendante. Ces artistes représentent le monde tel qu’elles le voient, à commencer par elles-mêmes. À la suite de Paula M. Becker à qui l’on doit sans doute le premier autoportrait de femme nue, en 1906, les pionnières des Années Folles en font autant. Les nus féminins de Mela Muter, Natalia Gontcharova, Jacqueline Marval, Alice Bailly ou encore Émilie Charmy, sont nombreux dans leurs œuvres et n’exalte pas le corps féminin comme on le voyait jusqu’alors dans les tableaux peints par des hommes.
La septième section, « Les deux amies », s’intéresse à un courant fort de cette période, celui de l’amitié ou de l’amour entre deux femmes, comme le montre Tamara de Lempicka dans des tableaux d’une sublime originalité. Les commissaires évoquent aussi des chanteuses et écrivaines lesbiennes telles Suzy Solidor ou Colette.
Cette époque est l’apparition du « troisième genre », celui où l’on est ni homme, ni femme, mais neutre comme le souhaite la photographe Claude Cahun, qui réalise d’étonnants autoportraits. Gerda Wegener peint son mari trans, connu sous le nom de Lili Elbe, dans toutes sortes de toiles. D’autres artistes comme Romaine Brooks ou Marie Laurencin abandonnent les codes traditionnels pour peindre les femmes autrement.
La dernière section, la plus imposante, est consacrée aux « pionnières de la diversité ». Elle rassemble des artistes venues de pays lointains où elles n’étaient pas reconnues, et d’autres, parties à l’aventure. Dans le premier groupe on trouve la Brésilienne Tarsila Do Amaral et la Hongroise-Indienne Amrita Sher-Gil. Dans le second ce sont Lucie Cousturier  et la sculptrice Anna Quinquaud qui sont mises à l’honneur. Une mention particulière pour l’immense toile de Juliette Roche, Sans titre, dit American Picnic (v. 1918) où se mêlent un déjeuner sur l’herbe et une danse de Matisse multi-ethniques.
Une exposition passionnante et bien documentée.  R.P. Musée du Luxembourg 6e. Jusqu’au 10 juillet 2022. Lien : www.museeduluxembourg.fr.


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