Parcours en images et en vidéos de l'exposition

GERTRUDE STEIN ET PABLO PICASSO
L’invention du langage

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°583 du 6 décembre 2023


 

Affiche sur les grilles du jardin du Luxembourg
Entrée de l'exposition. Photo Didier Plowy.
 
« Un écrivain devrait écrire avec ses yeux et un peintre peindre avec ses oreilles »
Gertrude Stein, 1940

Gertrude Stein (1874-1946), première collectionneuse de Pablo Picasso (1881-1973), est une des grandes figures de la littérature d’avant-garde américaine du XXe siècle. Le portrait que Picasso réalise en 1906, quelques mois après leur rencontre, scelle aux yeux de la postérité leur alliance amicale et artistique autour du cubisme, entre peinture et écriture. L’histoire de leur amitié est bien connue, grâce notamment au récit de Gertrude Stein dans l’Autobiographie d’Alice Toklas (1933).
« Paris Moment ». La genèse croisée de leurs œuvres respectives a fondé en grande partie le cubisme dont les œuvres auront des répercussions majeures durant la seconde moitié du XXe siècle sur l’art moderne et contemporain – l’expressionnisme abstrait, l’art conceptuel et minimal, les scènes performatives.
« American Moment ». La radicalité poétique de Gertrude Stein, qui s’est élaborée à travers un dialogue avec la peinture et surtout avec Picasso, est la pierre angulaire des premières avant-gardes de la culture américaine sur laquelle se fondent les mouvements expérimentaux performatifs et musicaux des années 1950 et 1960, autour de John Cage et de Merce Cunningham, du Living Theater, de Fluxus, du Pop Art, de l’art minimal.
Jusqu’à aujourd’hui, Gertrude Stein, qui a ouvertement affirmé son homosexualité, fait figure d’icône et irrigue des relectures conceptuelles et queer très actuelles, depuis Warhol jusqu’à Felix Gonzalez-Torres, Ellen Gallagher ou Glenn Ligon.

Cette exposition est organisée en collaboration avec le musée national Picasso-Paris dans le cadre de la Célébration Picasso 1973-2023, à l’occasion des cinquante ans de la disparition du peintre.

Affiche de l'exposition.
 
Texte du panneau didactique.


PARIS MOMENT





Scénographie

« L’Amérique est mon pays et Paris est ma ville. »
G. Stein, 1936

Pablo Picasso arrive à Paris en 1902, Gertrude Stein, deux ans plus tard. Le peintre espagnol, s’installe à Montmartre, dans un atelier précaire au Bateau-Lavoir, l’écrivaine américaine dans une petite maison d’artisan, rue de Fleurus à deux pas du musée du Luxembourg. L’un et l’autre sont des étrangers attirés par la métropole artistique et libérale qu’est Paris. La question de leur identité culturelle – espagnole ou américaine – est au cœur de l’œuvre de Stein, dès son arrivée alors qu’elle imagine son grand livre The Making of Americans. Elle est d’abord sous-jacente chez Picasso, pour s’affirmer franchement lorsque l’artiste se placera en exil de l’Espagne franquiste. La position d’extériorité et de liberté de la jeune Américaine, loin de l’atavisme du bon goût de la vieille Europe, mais aussi ses propres recherches sur la langue initiées lors de ses études en psychologie auprès de William James à Harvard, la rendent très réceptive aux explorations les plus radicales en art. Ainsi, elle achète avec son frère Leo la toile qui fait scandale au Salon d’automne de 1905, La Femme au chapeau de Matisse, et rédige Three Lives face au Portrait de Madame Cézanne à l’éventail, quand Picasso entrevoit de nouvelles voies pour sa peinture face aux tableaux de Cézanne et de Matisse accrochés rue de Fleurus.

 
Texte du panneau didactique.
 
Andy Warhol. Gertrude Stein, 1980. Acrylique et sérigraphie sur toile, 101,9 × 101,9 cm. New York, Whitney Museum of American Art, gift of Ronaldand Frayda Feldman. © Digital image Whitney Museum of American Art / Licensed by Scala. © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / Licensed by Adagp, Paris 2023.
 
Jacques Lipchitz. Gertrude Stein, 1920. Bronze, 33,5 × 20 × 27 cm. Chevreuse, fonderie Valsuani. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, achat de l’État, 1947, attribution en 1947.
 
Pablo Picasso. Pomme, Paris, automne‑hiver 1909.  Plâtre, 10,5 × 10 × 7,5 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean / Mathieu Rabeau. © Succession Picasso 2023.
 
Georges Braque. Cinq Bananes et deux poires, printemps-été 1908. Huile sur toile, 24 × 33 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, dation en 1992.
 
Paul Cézanne. Pommes et biscuits, 1880. Huile sur toile, 45 × 55 cm. Paris, musée de l’Orangerie, collection Walter-Guillaume, achat en 1959. © Rmn - Grand Palais (musée de l’Orangerie) / Franck Raux.
 
Cartes postales envoyées à Gertrude Stein par Ella Cone, une amie proche, en janvier 1908. Elles font référence au personnage Melanctha, une jeune femme africaine, dans l’ouvrage de Stein, Three Lives.
 
Henri Matisse. Nature morte aux oranges, Tanger, début de 1912. Huile sur toile, 95 × 84,8 cm. Musée national Picasso‑Paris, collection personnelle Pablo Picasso, donation Picasso en 1978.


1.1 - Portraits cubistes

Scénographie


« Pablo fait des portraits abstraits en peinture. J’essaie de faire des portraits abstraits avec mon médium, les mots. »
G. Stein, 1945

Préoccupés par la question du réel et de sa représentation, Picasso et Stein partagent la même volonté de ramener l’attention aux choses vues, ancrée dans l’expérience sensible du présent. Les Demoiselles d’Avignon et The Making of Americans marquent le début de leurs recherches autour du registre du portrait qui les a conduits respectivement vers le cubisme et les Word Portraits («portraits de mots»). Chacun développe sa propre écriture ; l’une, littéraire, fondée sur «l’insistance» syntaxique, sonore et lexicale, et l’autre, picturale, sur la simplification et la décomposition des formes. À partir de quelques traits, Stein suggère, par le rythme oral ou visuel de la répétition aux variations infimes, la pulsation de vie de son modèle, tandis qu’avec quelques signes reconnaissables, Picasso restitue, par l’ordonnance des volumes condensés, l’essence de ses figures.

Gertrude Stein accompagne les grandes étapes du cubisme de Picasso, en acquérant des œuvres de chaque période et en construisant, en parallèle, son écriture selon des approches formelles voisines.

 
Texte du panneau didactique.
 
Pablo Picasso. Paysage aux deux figures [Paris], automne 1908. Huile sur toile, 60 × 73 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
 
Pablo Picasso. Femme aux mains jointes (étude pour Les Demoiselles d’Avignon), Paris, printemps 1907. Huile sur toile, 90,5 × 71,5 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau. © Succession Picasso 2023.
 
Pablo Picasso. Tête de femme (Fernande), Paris, automne 1909. Bronze, épreuve pour le marchand Ambroise Vollard, 40,5 × 23 × 26 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean. © Succession Picasso 2023.
 
Georges Braque. Paysage de Carrières-Saint‑Denis, octobre 1909. Huile sur toile, 41 × 33 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, legs de Mme Marguerite Savaryen 1969.
 
Pablo Picasso. Trois Figures sous un arbre, Paris, hiver 1907-1908. Huile sur toile, 99 × 99 cm. Musée national Picasso‑Paris, don William McCarthy‑Cooper en 1986. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau. © Succession Picasso 2023.


1.2 - Portraits de choses

Scénographie

« Exiger ressemblance à l’exacte ressemblance l’exacte ressemblance aussi exacte qu’une ressemblance, exactement comme ressemblant, exactement ressemblant, exactement en ressemblance, exactement une ressemblance, exactement et ressemblance. Car ceci est ainsi. Parce que. »
G. Stein, « If I told him. A Completed Portrait of Picasso », 1930

Dans les années 1910, Stein et Picasso entreprennent, à partir du registre de la nature morte, un tournant radical. Leurs réflexions sur la relation qui unit les mots ou les images aux choses les mènent à élaborer une écriture expérimentale relativement hermétique. Ils opèrent une déconstruction de la syntaxe, pour la poète, et des volumes et plans, pour le peintre, aboutissant à l’éclatement final de la phrase et de la forme. Stein rédige alors Tender Buttons, recueil de poèmes en prose sur la vie quotidienne, mais qui ne nomment rien, suggérant davantage un état par le verbe et l’adverbe. Picasso et Braque explorent les voies du cubisme analytique, frôlant l’illisibilité, avant d’intégrer littéralement des objets et matériaux ordinaires dans leurs collages et assemblages du cubisme synthétique.

Si Stein soutient aussi Braque et Gris, elle témoigne d’une admiration sans faille pour Picasso qui est le seul, selon elle, à être en relation avec l’objet même. Bien qu’il ne la lise pas, le peintre catalan la considère comme son double littéraire et est respectueux de son travail d’écriture, ce qui lui vaut d’être surnommée « la cubiste des lettres ».

 
Texte du panneau didactique.
 
Juan Gris. Verres, journal et bouteille de vin, 1913. Collage, crayon de couleur, gouache et fusain sur papier collé sur carton, 45 × 29,5 cm. Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, prêt à long terme de Telefónica Collection, 1997.
Scénographie
 
- Pablo Picasso. Verre, journal et dé, Avignon, été 1914. Tableau-relief : éléments de bois et de fer-blanc découpé peints, fil de fer, sur fond de bois peint à l’huile, 17,4 × 13,5 × 3 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
- Pablo Picasso. Verre et paquet de tabac, Paris, printemps 1914. Huile et perles collées sur bois, 26,5 × 35 cm.
Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
- Pablo Picasso. Verre et paquet de tabac, Avignon, été 1914. Huile et sable sur bois, 15,5 × 17,7 × 3 cm.
Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
- Pablo Picasso. Verre, journal et dé, Avignon, été 1914. Tableau-relief : éléments de bois peints et sable sur fond de bois peint à l’huile, 17,5 × 15,2 × 3 cm.
Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
 
Pablo Picasso. Homme à la moustache, [Paris], [printemps 1914]. Huile et textile imprimé collé sur toile, 65,5 × 46,6 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
 
Juan Gris. La Bouteille d’anis, 1914. Huile, collage et crayon graphite sur toile, 41,8 × 24 cm. Madrid, Museo Nacional. Centro de Arte Reina Sofía.
 
Juan Gris. Nature morte au livre, décembre 1913. Huile sur toile, 46 × 30 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, donation Louise et Michel Leiris en 1984.

Gertrude Stein découvre en 1914 la peinture de Juan Gris à la galerie Kahnweiler. Peintre espagnol, cubiste, il lui semble incarner la relève alors que les œuvres très cotées de Picasso lui sont désormais inaccessibles. Elle acquiert ainsi plusieurs tableaux et l'artiste illustre un de ses ouvrages, A Book Concluding with As a Wife Has a Cow: A Love Story (1926). Dans Le Word Portrait qu'elle lui consacre en 1924, «Pictures of Juan Gris», elle souligne ses qualités d'équilibre, de clarté, de perfection picturale et lui rend un ultime hommage avec «The Life and Death of Juan Gris», au moment de sa disparition prématurée en 1927.
Scénographie
 
Georges Braque. Compotier, bouteille et verre, Sorgues, août‑septembre 1912. Huile et sable sur toile, 60 × 73 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, donation Louise et Michel Leiris en 1984.
 
Pablo Picasso. Journal, porte-allumettes, pipe et verre, Paris, 1911. Huile sur toile, 26,8 × 21,8 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau. © Succession Picasso 2023.
«Picasso faisait pour se divertir des tableaux avec du zinc, du fer blanc, du papier collé. De tout ce qu'il a fait en papier, il ne reste qu'un exemplaire qu'il me donna un jour [L'Homme au livre, 1913]. Je l'ai fait encadrer dans une boîte.» Gertrude Stein évoque, en 1938, soit plus de 25 ans après, ces fragiles sculptures qu'elle découvre et observe avant-guerre dans les ateliers de Picasso, boulevard de Clichy et boulevard Raspail. Les rares exemplaires subsistant sont conservés au musée national Picasso, comme les deux exceptionnelles Guitares de 1912, présentées dans cette exposition. Picasso convoque le réel par le jeu, dans ces assemblages, petits bricolages délicats. Il fait écho à l'univers domestique déplié par Stein dans Tender Buttons, où défilent «côtelette, guitare, parapluie, pomme de terre.», selon une même esthétique du collage, sans hiérarchie ni centre. Stein et Picasso affirment joyeusement la réalité matérielle de et par leurs œuvres respectives.

 
Texte du panneau didactique.
 
Pablo Picasso. Violon et bouteille sur une table, Paris, automne 1915. Éléments de bois de sapin, ficelle, clous, avec peinture et traits au fusain, 45 × 40 × 23 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
 
Pablo Picasso. Guitare, Paris, décembre 1912. Carton découpé, papier collé, toile, ficelle et crayon, 21 ×14 × 7,5 cm. Musée Picasso, Paris, dation Pablo Picasso en 1979. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean. © Succession Picasso 2023.
 
Pablo Picasso. Guitare, Paris, décembre 1912. Carton découpé, papier collé, toile, ficelle, huile et crayon, 33 × 17 × 7 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
 
Pablo Picasso. Verre, Paris, printemps 1914. Construction : fer-blanc découpé et peint, clous et bois, 11,5 × 11 × 5 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
 
Pablo Picasso. Verre et paquet de tabac, Paris, 1921. Tôle découpée, pliée, peinte et fil de fer, 14,7 × 48,5 × 17,5 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
Scénographie
 
Pablo Picasso. Guitare, Paris, printemps 1926. Tableau-relief : cordes, papier journal, serpillière et clous sur toile peinte, 130 × 96 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.

Le tableau-relief Guitare est réalisé par Picasso à partir d'objets de rebut - une serpillière, une corde, des clous, du papier journal... Il renoue avec Le thème cubiste de la guitare dans un assemblage rendu subversif par la pauvreté et la trivialité des matériaux, par la brutalité de l'épure, qui évoquent certaines œuvres dada. L'œuvre est reproduite dans la revue La Révolution surréaliste d'André Breton. C'est toutefois la simplicité fruste et radicale de l'œuvre, génial précèdent de l'esthétique «néo-dada» d'un Rauschenberg, qui forme le trait d'union avec l'écriture de Gertrude Stein, propre à marquer la création du jeune compositeur américain John Cage.
  Pablo Picasso. Guitare, printemps 1926. Tableau-relief, toile, bois, corde, clous et pitons sur panneau peint, 130 x 96,5 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979. © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean. © Succession Picasso 2023.
 
Pablo Picasso. Bouteille de Bass, verre et journal. Paris, printemps 1914. Construction : fer-blanc découpé et peint, sable, fil de fer et papier. Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979.
 
Pablo Picasso. Homme à la cheminée, Paris, 1916. Huile sur toile, 130 × 81 cm. Musée national Picasso‑Paris, dation Pablo Picasso en 1979.

Dans cette œuvre de transition, Picasso transpose en peinture le procédé du papier collé par une alternance d'aplats unis et ornés, pointillistes, et par une complexité de découpes qui créent l'illusion d'un relief cubiste. Stein avait dans sa collection deux natures mortes qui annoncent ce style et surtout deux portraits en pied qu'elle appréciait beaucoup : Homme à la guitare (1913, coll. part.) et Femme à la guitare (1913-14, New York, MoMA) qui semblent préfigurer, comme cette peinture, les costumes des managers français et américains, dessinés par Picasso pour Le ballet Parade en 1917, véritables incarnations cubistes de La modernité. Stein mettra son écriture au service du théâtre et de l'opéra quelques années plus tard, alors qu'elle écrit de nombreux romans et pièces chorales, où se mêlent saints, personnages réels et imaginaires dans une forme litanique, presque musicale.


AMERICAN MOMENT





Scénographie. Photo Didier Plowy.

«Il m’a toujours semblé que c’était un rare privilège que d’être une Américaine, une vraie Américaine, une dont la tradition a mis à peine soixante ans à se créer.»
G. Stein, The Making of Americans, 1925

La réception américaine de l’œuvre de Stein a été lente, en dépit de la réputation de son Salon de la rue de Fleurus et de son rôle de marraine de guerre pour les GI’s engagés dans la Grande Guerre. La reconnaissance arrive avec l’Autobiographie d’Alice Toklas (1933), qui met en scène son amitié avec le désormais célèbre Picasso, avec aussi, le succès, en 1934, de sa pièce Four Saints in Three Acts, mise en musique par Virgil Thomson, le «Satie américain». Elle effectue une tournée triomphale de conférences à travers l’Amérique (Lectures in America, 1935). Au même moment, le cubisme est présenté à l’exposition du MoMA de New York, « Cubism and Abstract Art » (1936), comme mouvement fondateur dans la généalogie de l’art moderne américain. Les Demoiselles d’Avignon entrent, l’année suivante, dans les collections.
Il faut attendre les années 1950-1960 et l’influence majeure de John Cage et de son cercle sur l’avant-garde new-yorkaise pour que la radicalité formelle et conceptuelle des écrits de Stein soit saisie. Son statut d’écrivaine majeure de la littérature moderniste américaine est progressivement reconnu. En s’appropriant son image et son langage, les artistes américains de la seconde moitié du XXe siècle ont contribué à réactiver son œuvre.

 
Texte du panneau didactique.
 
Cecil Beaton. Gertrude Stein et Alice B. Toklas se faisant face, tirage triple exposition réalisé par Cecil Beaton en superposant des négatifs, atelier de Cecil Beaton à Londres, vers 1937. Épreuve gélatino-argentique, 29 × 24 cm. Londres, Cecil Beaton, Condé Nast.
Cecil Beaton (de gauche à droite).
- Gertrude Stein au premier plan, Alice B. Toklas en costume de tweed à l’arrière-plan, atelier de Cecil Beaton à Londres, vers 1937. Épreuve gélatino-argentique, 24 × 19 cm.
- Gertrude Stein, portant un manteau, au premier plan et sans manteau, en surimpression à l’arrière-plan, atelier de Cecil Beaton à Londres, vers 1937. Épreuve gélatino-argentique, 23,7 × 21 cm.
- Gertrude Stein et Alice B. Toklas se faisant face, tirage triple exposition réalisé par Cecil Beaton en superposant des négatifs, atelier de Cecil Beaton à Londres, vers 1937. Épreuve gélatino-argentique, 29 × 24 cm (voir ci-dessus).
Londres, Cecil Beaton, Condé Nast.


2.1 - Grammaire

Scénographie. Photo Didier Plowy.

« La grammaire est le sens. »
Merce Cunningham

À la suite des expérimentations initiées à l’université libre du Black Mountain College par le couple formé par John Cage et Merce Cunningham, Stein s’impose comme modèle de référence de l’avant-garde américaine, celle de l’anti-art et de la contre-culture, notamment dans les milieux du théâtre, de la musique et de la danse du New York des années 1950-1960. Dans un contexte d’effervescence artistique, sociale et politique contestataire, resserré autour de Greenwich Village, émerge une constellation de lieux et groupes alternatifs, notablement le Living Theater, le Judson Poets’ Theater et le Judson Dance Theater, foyer de la danse post-moderne, Fluxus et le Pop Art.

Ils diffusent les écrits de Stein par le biais de performances théâtrales ou musicales et s’identifient à son esthétique, laquelle autorise, sinon coïncide avec leur démarche critique et expérimentale : pur présent et pure présence des formes, rejet de la narration linéaire, exploration de la matérialité de leur médium (le corps et le mouvement pour la danse ; le son pour la musique), manipulation de la syntaxe, du processus, en utilisant la répétition, la sérialité ou en intégrant le quotidien à partir d’un lexique épuré.
 
Texte du panneau didactique.
 
Carl Van Vechten. Four Saints in Three Acts, New York, March 1, 1934. 44th Street and Empire Theatres, Broadway, New York, 1er mars 1934. Textes et livret de Gertrude Stein (1927), musique de Virgil Thomson (1928). Épreuve gélatino-argentique (tirage d’exposition), 25,3 × 16,4 cm. New Haven, Yale University Library, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Gertrude Stein and Alice B. Toklas Papers. © Yale Collection of American Literature, Beinecke Rare Book and Manuscript Library. © Van Vechten Trust, Edward M. Burns, administrateur.
 
Vitrine.
 
Al Carmines (musique). Gertrude Stein (texte). In Circles, 1968. Vinyle. Avant-Garde Records. © Droits réservés.
 
Carl Van Vechten. Gertrude Stein, New York, January 4 1935, 1935. Épreuve gélatino‑argentique, 25,4 × 20,3 cm. The New York Public Library, Astor, Lenox and Tilden Foundations, Henry W. and Albert A. Berg Collection of English and American Literature. © NYPL © Van Vechten Trust, Edward M. Burns, administrateur.
 
Une du Time. « Gertrude Stein », Time. The Weekly Newsmagazine, vol. 22, no 11, 11 septembre 1933. Musée national Picasso‑Paris, bibliothèque.
 
Deux livres de Gertrude Stein: Lectures in America et Geography and Plays.
 
Peter Moore. Judson Poets’ Theater, In Circles, Judson Memorial Church, New York, 16 octobre 1967. D’après Gertrude Stein, musique d’Al Carmines. Épreuve gélatino-argentique, 20 × 25,1 cm. New York, Estate of Peter Moore, courtesy Paula Cooper Gallery.
Vitrine
 
The Living Theatre. « An Evening of Bohemian Theatre »: Ladies’ Voices de Gertrude Stein, 1952. Affiche (tirage d’exposition), 53,3 × 35,5 cm. Claremont, Scripps College. © Denison Library, Scripps College, Claremont.
 
Robert Indiana. The Mother of Us All, 1967. Reproduction photomécanique, 91,4 × 58,4 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art, bequest of William S. Lieberman, 2005.
 
Merce Cunningham. Minutiae, 1954. Vidéo, 0’53’’ (extrait). Enregistrement pour l’émission « Dance in America », 1977. Chorégraphie : Merce Cunningham / Musique : John Cage (Music for Piano 1-20) / Décor : Robert Rauschenberg / Costumes : Remy Charlip / Réalisation : Merill Brockway / Interprétation: Carolyn Brown, Remy Charlip, Merce Cunningham, Anita Dencks, Viola Farber, Jo Anne Melsher et Marianne Preger-Simon. Merce Cunningham Trust, The WNET Group, NEOS Music GmbH, Licence Courtesy Peters Edition Limited.

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John Cage. Living Room Music, 1940. Vidéo, 9’54’’ (extrait). Enregistrement du concert Chautauqua Inter-Arts Collective, McKnight Hall, Chautauqua, 17 juillet 2016. Musique: John Cage / Mise en scène et direction artistique: Julian Loida / Co-direction: Kevin Gupana et Kyle Johnson / Son et vidéo: Stephen Rudman / Musiciens: Brian Cannady, Matt Flanders, Julian Loida et Cameron Leach. Courtesy Julian Loida. Licence Courtesy Peters Edition Limited.

Selon Cage, «dans la méthode de Gertrude Stein, tout ce qui vient à l'esprit dans un moment de travail concentré fait véritablement partie du poème.» Mettant en pratique cette approche, il écrit Living Room Music (1940), une pièce pour quatuor de percussions et voix parlées d'après le conte pour enfants The World is Round de Stein (1939). La partition indique que «n'importe quels objets domestiques» peuvent être utilisés pour jouer le premier et le dernier mouvement. Cette musicalisation des sons du réel et de l'environnement s'inscrit dans la lignée de l'écriture de Stein fondée sur la matérialité des mots de la vie quotidienne.

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2.2 - Géographie et jeux

Scénographie

«Jouez, jouez tous les jours, jouez et jouez et jouez encore, et puis jouez la pièce la pièce que vous avez jouée aujourd’hui, la pièce que vous jouez tous les jours, jouez-la et jouez-la.»
G. Stein, Portraits and Prayers, 1934

À partir de la fin des années 1950, les artistes de l’avant-garde new-yorkaise qui gravitent à Greenwich Village autour de Cage-Cunningham – notamment depuis leurs études au Black Mountain College – et de la Judson Memorial Church, cherchent à remettre l’art au cœur de la vie et de la société en s’interrogeant sur la capacité du langage visuel à saisir le réel. Ils fondent une esthétique du collage, parfois qualifiée de néo-dada: une hybridation de techniques et de matériaux, objets du quotidien et images de la culture populaire, selon une approche ludique et ironique de la société de consommation et de spectacle américaine. Cette conception de l’art, en opposition à l’expressionnisme abstrait dominant, prend ses sources tant dans les collages et assemblages cubistes de Picasso, les ready-mades de Duchamp et Dada que dans les écrits de Stein. Quatre des ouvrages de la poète ont ainsi été réédités entre 1966 et 1972 par Something Else Press, maison d’édition associée au mouvement Fluxus.

 
Texte du panneau didactique.
 
Ray Johnson. Untitled (Gertrude Stein Urinating), 1976/ 1987/ 1988/ 1989/ 1991. Technique mixte et collage sur papier, 35,9 × 38,1 × 5,1 cm. New York, Ray Johnson Estate. © Ray Johnson Estate, New York.
 
Robert Rauschenberg. Front Roll, 1964. Lithographie, 105,3 × 75,4 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art, bequest of William S. Lieberman, 2005.
 
Robert Rauschenberg. Centennial Certificate MMA, 1969. Lithographie couleur, 91,4 × 63,5 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art, Florence and Joseph Singer Collection, 1972. © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA. © Robert Rauschenberg Foundation / Adagp, Paris, 2023.

Étudiant au Black Mountain College, principal collaborateur de Cage-Cunningham et du Judson, Rauschenberg place également parmi les inspirations majeures de son œuvre plastique protéiforme néo-dada, ses «Combine Paintings», la poésie de Stein. Avec la gravure Centennial Certificate MMA, commandée par le Metropolitan Museum of Art de New York à l'occasion de son centième anniversaire, Rauschenberg livre sa vision de son musée imaginaire à partir des œuvres de la collection dont, en bonne place, le portrait emblématique de Stein par Picasso.
 
Jasper Johns. Untitled, 1984. Fusain sur papier, 111,4 × 84,1 cm. New York, Whitney Museum of American Art. Purchase with funds from the Burroughs Wellcome Purchase Fund, the Equitable Life Assurance Society of the United States Purchase Fund, the Mr. and Mrs. Thomas, M. Evans Purchase Fund and the Mrs. Percy Purchase Fund. © Digital image Whitney Museum of American Art / Licensed by Scala. © Jasper Johns / Adagp, Paris 2023.
 
Nam June Paik. Gertrude Stein, 1990. Installation de moniteurs de télévision anciens, techniques mixtes, deux canaux vidéo, 248,9 × 195,9 × 94 cm. The Ekard Collection. © Courtesy James Cohan Gallery, New York. © Nam June Paik Estate.

Ancien collaborateur du Judson et membre de la nébuleuse Fluxus, Nam June Paik a réalisé la série « Robots », des sculptures vidéo à l'allure anthropomorphe, pour honorer ses héros et héroïnes, dont Gertrude Stein. Reconnaissable à sa longue jupe caractéristique, la poète est représentée par un empilement de moniteurs avec des bras en forme de corne de phonographe Victrola et des seins-disques, clin d'œil à la dimension performative et sonore de ses écrits.

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Scénographie
 
Jasper Johns. Target, 1971. Lithographie offset avec collage, dans un coffret en plastique blanc avec le catalogue de l’exposition «Technics and Creativity», 26,4 × 21,3 cm (feuillets). New York, The Metropolitan Museum of Art, bequest of William S. Lieberman, 2005. © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA. © Jasper Johns / Adagp, Paris 2023.

Compagnon de Rauschenberg dans les années 1950, Jasper Johns, intégré au cercle Cage-Cunningham, développe une approche conceptuelle de l'œuvre d'art, interrogeant sa nature et son fonctionnement. Il construit ainsi une proposition analytique, à partir de la reprise sérielle de formes et de motifs, drapeau américain et cible (Flags et Targets), ou de la description du processus pictural par la désignation verbale des couleurs (Untitled). Faisant écho à une posture steinienne, il met en évidence les phénomènes de perception, du quotidien et de l'identité, en particulier de l'américanité.
 
Emmett Williams. 13 Variations on 6 words of Gertrude Stein, 1965. Impression en six couleurs sur carton blanc plié en accordéon, 23 × 292 cm, dans un coffret noir 28 × 28 × 0,5 cm, signé et numéroté 62/111. Collezione Bonotto.

Emmett Williams, figure majeure de Fluxus, revendique comme sources de son œuvre, Dada, Marcel Duchamp, John Cage et Gertrude Stein. Dans 13 Variations on 6 Words of Gertrude Stein, Williams lui rend un subtil hommage, à la fois littéral et esthétique. Six mots de la poète – when you see this remember me («quand tu verras cela, souviens-toi de moi») - sont tamponnés à la main, une couleur étant associée à chaque mot, puis multipliés de manière concentrique à travers treize variations, jusqu'à fusionner l'image et le mot et produire, par ces procédés de répétition et de circularité, une véritable poésie visuelle.
 
Ray Johnson (1927-1995). Wed Ded Lead, 1968/ 1988/ 1989/ 1992/ 1994. Technique mixte et collage sur papier. New York, Ray Johnson Estate.

Formé au Black Mountain College, Ray Johnson appartient, dans Les années 1950, à l'avant-garde new-yorkaise. Nombre de ses « Moticos », collages d'images, textes, dessins et petits objets, citent et évoquent Stein. Dans Wed Ded Lead, par exemple, il intègre un passage de Four Saints in Three Acts, jouant sur l'homophonie des mots anglais, mariage, mort, diriger/plomb, qu'il mêle à des dessins, des clés et une reproduction du Minotaure de 1933 de Picasso.
 
Bruce Nauman. Lip Sync, 1969. Bande vidéo U-matic, NTSC, numérisée 4/3, noir et blanc, son, 30’. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle.

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Jasper Johns. Flags, 1968. Lithographie, signée et numérotée, 86,4 × 63,5 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art, Florence and Joseph Singer Collection, 1969.
 
Jasper Johns. Targets, 1967-1968. Lithographie, signée et numérotée, 86,4 × 63,5 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art, Florence and Joseph Singer Collection, 1969.
Bruce Nauman. Good Boy, Bad Boy, 1985‑1986. Installation vidéo : deux moniteurs (voir ci-dessous),
deux bandes vidéo NTSC, couleur, son (anglais), 60’52’’, deux socles de 1,50 m, salle aux dimensions variables.
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle.

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Bruce Nauman. Good Boy, Bad Boy. Moniteur de gauche.

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Bruce Nauman. Good Boy, Bad Boy. Moniteur de droite.

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2.3 - Cercles et mots

Scénographie


«Quand j’ai dit. Une rose est une rose est une rose est une rose. Et ensuite fait de cela un anneau j’ai fait de la poésie».
G. Stein, Lectures in America, 1935

Comme Fluxus, l’art minimal et conceptuel pose la question de la définition de l’art et de ses pratiques, affirmant le primat de l’idée et de l’environnement de l’œuvre plutôt que de sa réalisation. Cela ouvre à une multitude de formes artistiques à partir de modes alternatifs, tels que le langage et le discours, l’action corporelle, le son, les chiffres, la documentation non-artistique ou l’architecture. D’autres, notamment Joseph Kosuth, défendent une vision tautologique et littérale de l’art, à savoir «l’art est la définition de l’art». Cette acceptation plus restreinte trouve un précédent dans la pensée steinienne incarnée par son célèbre vers «Rose is a rose is rose is rose». Car, si le rôle de Marcel Duchamp en tant que source de l’art conceptuel est pleinement reconnu, la poésie expérimentale de Stein a également ouvert un champ d’explorations artistiques et poétiques, centrales dans les démarches conceptuelles, notamment autour de la plasticité du langage, la dimension performative, et la matérialité visuelle et sonore des mots. Aussi, les formes et procédés institués par l’écriture épurée, répétitive, sérielle et circulaire de Stein trouvent de nombreuses affinités avec les œuvres minimalistes. Dès 1965, la critique Barbara Rose met en avant, dans un article fondateur, le rôle de Stein dans l’émergence du minimalisme qu’elle qualifie de «ABC Art», en réaction au mouvement romantique et subjectif de l’expressionnisme abstrait.

 
Texte du panneau didactique.
 
Carl Andre. Silver Ribbon, 2002. Feuille d’argent, 9 × 124 × 124 cm. New York, Courtesy of the artist and Paula Cooper Gallery.
 
James Lee Byars. Is, 1989. Marbre doré, D. 60 cm. Paris, Fondation Louis Vuitton.
 
James Lee Byars. The Halo, 1985. Cuivre plaqué or, D. 220 cm. Paris, Fondation Louis Vuitton.
Scénographie. Photo Didier Plowy.
 
Bruce Nauman. Study for Pleasure, Pain, Life, Death, Love, Hate, 1983. Marqueur et encre sur papier, 127,2 × 97,5 cm. Collection Matthys-Colle, prêt à long terme au S.M.A.K., Gand. © Collection Matthys-Colle - prêt à long terme au S.M.A.K / Photo: Dirk Pauwels © Bruce Nauman / ADAGP, Paris 2023.

Bruce Nauman, lors de ses séjours new-yorkais dans les années 1960, découvre les expérimentations radicales du cercle Cage-Cunningham et du Judson Dance Theater, jalon très probable vers la poétique de Stein. Il élabore une œuvre aux formes hybrides dans laquelle il éprouve la plasticité du langage sous tous ses aspects: la dimension visuelle, à travers ses œuvres néons et ses études préparatoires, ou la dimension sonore et performative dans les vidéos. Celles-ci semblent illustrer la notion steinienne d'insistance: les mots proférés, à force de répétitions et d'homophonies approximatives, mènent à une déstructuration de la parole, le langage devenant un corps vivant, hybride, en perpétuelle mutation.
 
Bruce Nauman. Thank You, 1992. Moniteur, lecteur vidéo, source vidéo, couleur, son, lecture continue, dimensions variables. Collection privée, courtesy of Sperone Westwater New York.
Joseph Kosuth. Quoted Clocks #14, 2022. Horloge et vinyle, 40 × 40 × 4,5 cm chacune.
Paris, galerie Almine Rech, courtesy of the artist and Almine Rech.

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Joseph Kosuth. Quoted Clocks #14, 2022. Horloge et vinyle, 40 × 40 × 4,5 cm. Paris, galerie Almine Rech, courtesy of the artist and Almine Rech. © Courtesy of the Artist and Almine Rech / Photo: Nicolas Brasseur. © Adagp, Paris 2023.
 
Joseph Kosuth. Self-defined in five colors, 1966. Néons, 12,5 × 232 × 3 cm. Paris, Fondation Louis Vuitton. © Primae / David Bordes © Adagp, Paris 2023.
Marthe Wéry. Écritures (Gertrude Stein), 1981. Diptyque, encre sur papier, 130 × 98 cm chacun.
Charleroi, musée d’Art de la province de Hainaut, collection BPS22.


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Marthe Wéry. Écritures (Gertrude Stein), 1981. Diptyque, encre sur papier, 130 × 98 cm chacun.
Charleroi, musée d’Art de la province de Hainaut, collection BPS22.


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James Lee Byars. « One Page Book on Gertrude Stein », sheet one, 1970. Tapuscrit, 43,2 × 27,9 cm. New York, The Museum of Modern Art Archives.

L'artiste conceptuel James Lee Byars affirmait avec esprit que seuls comptent «Stein, Einstein et Wittgenstein». Séjournant régulièrement au Japon pour étudier les liens entre rationalisme occidental et mystique orientale, il organise en 1960 au Yukawa Theoretical Institute, de Kyoto, Thanks for All Thought?, sa première action de groupe: cent étudiants sont placés en cercle et récitent cent vers de Stein (consignés dans le document d'archives du MoMA de New York). Byars recherche à travers sa sculpture minimaliste, où dominent les couleurs or, rouge, noir et blanc et les formes circulaires (The Halo; Is), une perfection plastique, un absolu, entre pensée circulaire orientale et poétique steinienne.



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2.4 - Conceptuelle excentrique

Scénographie

«Et l’identité c’est drôle d’être toi-même c’est drôle car tu n’es jamais toi-même pour toi-même sauf quand tu te rappelles toi-même et alors bien sûr tu ne te crois pas toi-même.»
G. Stein, Everybody’s Autobiography, 1937

Ancrée dans sa vie, l’écriture de Gertrude Stein mêle fiction et réalité pour déployer une longue interrogation sur l’identité – mouvante et insaisissable si ce n’est indicible – des choses, des lieux, des êtres. Elle s’intéresse aux individus tant dans leur dimension collective (l’américanité dans The Making of Americans ou les spécificités françaises dans Paris-France) qu’intime (la vie quotidienne, la relation à l’autre, l’amour et l’érotisme, l’homosexualité, le genre, ou encore le rapport de l’écrivain à son œuvre). Jouissant d’une aura incontestable depuis son portrait peint par Picasso, Stein est devenue une véritable icône pop (Andy Warhol) – américaine et juive –, héroïne des historiographies féministes et queer. Si son influence peut se faire parfois plus diffuse, parfaitement assimilée dans les sources de l’art contemporain par le prisme de John Cage (Gary Hill), nombre d’artistes continuent de se confronter à son esthétique, tant de son image que de son langage. Qu’ils s’emparent directement et plastiquement de ses écrits (Glenn Ligon) ou revendiquent clairement la filiation (Hanne Darboven, Félix Gonzalez-Torres, Deborah Kass, Ellen Gallagher), tous attestent de l’actualité de son œuvre et de sa place tutélaire dans l’art américain.

 
Texte du panneau didactique.
 
Glenn Ligon. Study for Negro Sunshine (#139, #140, #141, #142, #143, #144, #145, #146, #147), 2023. Bâton de peinture à l’huile, poussière de charbon et gesso sur papier, 30,5 × 22,9 cm (voir ci-dessous). © Photo Jiayun Deng © Glenn Ligon; courtesy of the artist, Galerie Chantal Crousel, Paris.
Glenn Ligon. Study for Negro Sunshine (#139, #140, #141, #142, #143, #144, #145, #146, #147), 2023. Bâton de peinture à l’huile, poussière de charbon et gesso sur papier, 30,5 × 22,9 cm chacune. Courtesy of the artist, Galerie Chantal Crousel, Paris.

Dans la nouvelle «Melanctha» de Three Lives (1909), Gertrude Stein utilise une expression stéréotypée raciste «negro sunshine» («soleil nègre») pour décrire le sourire des Africains-Américains et, à force de répétitions et de variations, dévie du préjugé raciste en ajoutant de la complexité à son personnage, contredisant ainsi tout projet essentialiste de catégorisation. Dans «Studies for Negro Sunshine» et Warm Broad Glow II, Glenn Ligon s'empare de l'oxymore steinien et, à son tour, le manipule par un traitement sur la matière plastique - le charbon noir ou l'éclat fluo du néon - et ouvre ainsi la polysémie.
 
Ellen Gallagher. Dance You Monster, 2000. Caoutchouc, papier et émail sur lin, 305,2 × 244,6 × 4 cm. Reggio Emilia, Collezione Maramotti. © Ellen Gallagher.

La « distorsion de la forme » dans l'œuvre de Stein fonde le travail de Ellen Gallagher. Le diptyque Dance You Monster appartient aux «Black Paintings», une série de peintures monochromes qui évoquent l'Atlantique noir, cœur de la traite esclavagiste des Noirs et de la colonisation. Leur surface est animée par la répétition de minuscules motifs dérivés du blackface minstrelsy, ces spectacles musicaux américains racistes, et des motifs africains tels que cet appui-tête luba. Les procédures sophistiquées mises en œuvre par l'artiste - collages, réplications, superpositions, matières - s'apparentent à l'inventivité formelle littéraire de Stein.
Hanne Darboven. Quartet >88<, 1990. Ensemble de six tirages offset avec photographies montées et livre dans un coffret portfolio en lin rouge, 42 × 30,5 cm (feuillets) et 43,5 × 31,5 × 6 cm (coffret portfolio fermé)(voir détails ci-dessous). Hambourg, Hanne Darboven Foundation c/o Sprüth Magers.

L'artiste allemande Hanne Darboven séjourne de 1966 à 1968 à New York et fait la rencontre déterminante de LeWitt, de Andre et de Kosuth, avec lesquels elle contribue au développement de l'art conceptuel. Ses œuvres – une «écriture sans écriture» - participent d'une réflexion sur le temps, sous forme d’hommages explicites à de grandes figures de l'Histoire. L'installation Quartett >88< (ici dans une édition en portfolio) est dédiée, à côté d'une sténographe anonyme, à quatre grandes femmes du début du XXe siècle: Marie Curie, Rosa Luxemburg, Virginia Woolf et Gertrude Stein (figurée par le portrait sculpté par Jo Davidson en 1920-1922).
 
Hanne Darboven. Quartet >88<, 1990 (détail). Hambourg, Hanne Darboven Foundation c/o Sprüth Magers. © Hanne Darboven Foundation, Hamburg Courtesy Sprüth Magers / Photo: © Felix Krebs © Adagp, Paris 2023.
 
Hanne Darboven. Quartet >88<, 1990 (détail). Hambourg, Hanne Darboven Foundation c/o Sprüth Magers. © Hanne Darboven Foundation, Hamburg Courtesy Sprüth Magers / Photo: © Felix Krebs © Adagp, Paris 2023.
 
Hanne Darboven. Quartet >88<, 1990 (détail). Hambourg, Hanne Darboven Foundation c/o Sprüth Magers. © Hanne Darboven Foundation, Hamburg Courtesy Sprüth Magers / Photo: © Felix Krebs © Adagp, Paris 2023.
 
Hanne Darboven. Quartet >88<, 1990 (détail). Hambourg, Hanne Darboven Foundation c/o Sprüth Magers. © Hanne Darboven Foundation, Hamburg Courtesy Sprüth Magers / Photo: © Felix Krebs © Adagp, Paris 2023.
 
Hanne Darboven. Quartet >88<, 1990 (détail). Hambourg, Hanne Darboven Foundation c/o Sprüth Magers. © Hanne Darboven Foundation, Hamburg Courtesy Sprüth Magers / Photo: © Felix Krebs © Adagp, Paris 2023.
 
Hanne Darboven. Quartet >88<, 1990 (détail). Hambourg, Hanne Darboven Foundation c/o Sprüth Magers. © Hanne Darboven Foundation, Hamburg Courtesy Sprüth Magers / Photo: © Felix Krebs © Adagp, Paris 2023.
Scénographie
 
Gary Hill. She/He (Engender Project), 2022. Sérigraphie couleur, 70 × 100 cm chacune, édition de 5 ex. + 2 EA., éd. nos 1 et 2/5. Galerie In Situ – fabienneleclerc, Grand Paris.
 
Gary Hill. ELLE/IL (ELLE-IL), ELLE/IL (AND), ELLE/IL (IL-ELLE), ELLE/IL (OR), ELLE/IL (XOR) (Engender Project), 2022. Polyptyque de cinq pièces uniques, aquarelle sur papier, 45 × 60 cm chacune. Galerie In Situ – fabienne leclerc, Grand Paris.

«Les influences sont difficiles à déceler [...] Je ne connais pas aussi bien l'œuvre de Gertrude Stein, hormis certains de ses poèmes, dont, honnêtement, je ne me souviens pas très bien. Et pourtant, je suis presque certain que des aspects de mon travail sont implicitement façonnés par sa pensée par le biais du travail d'artistes / écrivains qui étaient / sont peut-être plus familiers avec ses écrits: George Quasha, Jackson Mac Low, Charles Stein, Franz Kamin ou John Cage, qui, tous, ont été et restent importants pour moi. Plus précisément, la liminarité entre le sens et le non-sens, créant des constructions entre le mot et l'image et la physicalité du corps parlant, peut avoir plus qu'un lien fortuit.» Dans l'ensemble Engender Project, Gary Hill poursuit ses recherches sur la performativité du langage, en particulier dans la construction du genre.
 
Gary Hill. HE-THEY (Engender Project), 2022. Plastique PVC, 17 × 62 × 18 cm, édition de 2 ex. + 1 EA, éd. no ½.
Galerie In Situ – fabienne leclerc, Grand Paris.
Andy Warhol. Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century, 1980. Sérigraphie couleur, 101,5 × 81,2 cm chacune. Paris, Fondation Louis Vuitton. © Primae / Louis Bourjac. © Adagp, Paris 2023. © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / Licensed by Adagp, Paris 2023 / Ronald Feldman Gallery, New York.

Acteur incontournable de la contre-culture new-yorkaise depuis les années 1950, Andy Warhol a notamment collaboré avec Cunningham et exposé à la Judson Gallery, où Gertrude Stein est érigée en modèle de l'avant-garde américaine. En 1980, il réalise le portrait peint de Gertrude Stein. À la manière du visage-masque composé par Picasso et en affirmant la dualité de genre du modèle, Warhol transforme Stein en une figure pop, à la fois icône américaine et icône queer. Puis, il l'intègre à son polyptyque Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century aux côtés de celles et ceux qu'il surnomme les Jewish Geniuses («génies juifs»). Warhol confère une nouvelle dimension à la postérité de Stein, une identité juive, représentée et valorisée à travers un panthéon intellectuel et artistique du XXe siècle.
 
Andy Warhol. Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century, 1980 (détail: Les Marx Brothers).
 
Andy Warhol. Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century, 1980 (détail: Gertrude Stein).
 
Felix Gonzalez-Torres. « Untitled » (Alice B. Toklas’ and Gertrude Stein’s Grave, Paris), 1992. C-print contrecollé sur carton, 12 × 17,8 cm. Collection Chantal Crousel. © Estate of Felix Gonzalez-Torres - Courtesy of The Felix Gonzalez-Torres Foundation / Photo Suzanne Nagy.

Felix Gonzalez-Torres joue sur la perméabilité entre des catégories traditionnellement opposées, telles que les sphères privée et publique, l'artiste et le spectateur, l'esthétique et le politique. Il construit une œuvre où l'intime se fait implicitement politique. La photographie «Untitled» (Alice B. Toklas’ and Gertrude Stein's Grave, Paris) saisit, dans un cadrage resserré, les fleurs sur la pierre tombale de Gertrude Stein et de sa compagne, Alice Toklas, au cimetière du Père-Lachaise. Ainsi uni dans la mort, leur couple devient un symbole politique de la lutte pour les droits des personnes homosexuelles, source d'un renouveau de vie, comme le suggère la végétation croissante.
 
Deborah Kass. Let Us Now Praise Famous Women #2, 1994-1995. Sérigraphie et acrylique sur toile, 182 × 168 × 4,5 cm. Washington D.C., U.S. Department of State Cultural Heritage Collection, courtesy of the Foundation for Art and Preservation in Embassies. © Adagp, Paris 2023.

«J'ai rencontré Gertrude Stein pour la première fois alors que je visitais, enfant, le Metropolitan Museum of Art avec mon père. C'est là que j'ai été complétement subjuguée par le tableau de Picasso représentant Stein. J'ai été hypnotisée par son image. [...] Pour moi, cette expérience avait un rapport avec l'identification. C'était la première femme peinte à laquelle je pouvais m'identifier.» Avec Let Us Now Praise Famous Women #2, Deborah Kass lui rend hommage en détournant l'œuvre de Warhol, Let Us Now Praise Famous Men (Rauschenberg Family) (1962, National Gallery of Art, Washington) selon une perspective féministe. L'unique photographie de la sérigraphie de Warhol est remplacée par plusieurs photographies de Stein, répétées sur une ou sur deux lignes jusqu'au bord de la toile.