LA COLLECTION MOROZOV
Icônes de l'art moderne

Article publié dans la Lettre n°539 du 19 janvier 2022



 
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LA COLLECTION MOROZOV. Icônes de l’art moderne. Depuis plusieurs années, des expositions sont consacrées à des collectionneurs. Sans doute est-ce parce que la Fondation Louis Vuitton possède une vaste collection d’œuvres contemporaines qu’elle rend ainsi hommage à ces grands collectionneurs d’art moderne que furent Chtchoukine (2016), Courtauld (2018) et aujourd’hui les frères Mikhaïl (1870-1903) et Ivan (1871-1921) Morozov. Les quelque 200 œuvres présentées dans l’ensemble des salles du bâtiment de Frank Gehry proviennent presque toutes de Russie, essentiellement du Musée des beaux-arts Pouchkine (67), du Musée d’État de l’Ermitage (65) et de la Galerie nationale Trétiakov (38).
Descendants de Savva Morozov (1770-1860), serf et vieux-croyant, fondateur d’une lignée d’industriels et de philanthropes, les frères Morozov commencent très tôt à acheter des tableaux et des sculptures, russes tout d’abord (dès 1891 pour Ivan), puis françaises et européennes (1899 pour Mikhaïl, avec une peinture de Corot et un marbre de Rodin).
À sa mort en 1903, la collection de Mikhaïl compte 44 œuvres d’art russe et 39 d’art moderne français qui seront léguées à la galerie fondée par ces autres collectionneurs que sont les frères Sergueï et Pavel Trétiakov. Quant à Ivan, ce seront 240 œuvres d’art français et 430 d’art russe qui seront nationalisées en 1918.
C’est donc une bonne partie de ces collections que nous pouvons admirer aujourd’hui à Paris. Le parcours suit un cheminement thématique en 17 sections. Dans la première, nous voyons de grands portraits des membres de la famille Morozov peints par des artistes russes qui gravitent autour de celle-ci et conseillent Mikhaïl et Ivan, tel Valentin Sérov (1865-1911), Alexandre Golovine (1863-1930) ou Mikhaïl Vroubel (1856-1910).  On voit également un Portrait de Sergueï Chtchoukine  par Dmitri Melnikov (1889-1966) et un Portrait de Pavel Mikhaïlovitch Trétiakov par Ilia Répine (1844-1930).
Après un ensemble de photographies montrant comment était présentée la collection d’Ivan dans son hôtel particulier de Moscou, nous avons un florilège de tableaux réunis sous le titre  « L’invention d’un regard » avec les premières toiles de Manet et de Picasso à entrer en Russie, deux portraits de la comédienne Jeanne Samary par Renoir, l’un acquis par Mikhaïl en 1902, l’autre par Ivan en 1904. On y voit aussi des tableaux de Cézanne et Toulouse-Lautrec et le Portrait d’une choriste par Konstantine Korovine (1861-1939), auprès duquel les deux frères se formèrent artistiquement à l'École des beaux-arts de Moscou.
La salle suivante est consacrée à Bonnard que Mikhaïl fit découvrir à la Russie. Nous y voyons les immenses panneaux qui décoraient le grand escalier de l’hôtel particulier d’Ivan, en particulier le triptyque La Méditerranée (1911) et les Quatre Saisons, ainsi que le diptyque des Fêtes champêtres de Ker-Xavier Roussel.
Les frères Morozov appréciaient particulièrement les paysages et furent fascinés par les impressionnistes. Dans une même salle se font face des tableaux de Sisley, Monet, Pissarro et Renoir et d’artistes russes (Korovine, Vroubel) ou finlandais (Gallen-Kallela). On constate que les artistes russes étaient eux-aussi des adeptes de la peinture impressionniste.
Viennent ensuite une dizaine de toiles de Gauguin, presque toutes peintes à Tahiti. Les deux frères en acquirent treize. Celles présentées proviennent toutes de la collection d’Ivan.
Réunis sous le titre provocateur des « amateurs d’orage », voici maintenant des peintres des écoles modernistes occidentales et russes contemporaines : nabis, fauves, expressionnistes … Tous incarnent la rupture avec les représentations académiques de la nature. On y voit des peintures de Bonnard, Vlaminck, Derain, Valtat, Marquet et de Martiros Sarian, Piotr Outkine, Natalia Gontcharova ainsi que le seul tableau de Munch qui se trouve en Russie, Nuit Blanche. Osgarstrand (Filles sur le pont) (1903).
En 1907, au cours de l’hommage posthume consacré à Cézanne, Ivan est subjugué par sa peinture. Il acquiert au fil des ans 18 toiles du maître d’Aix, de toutes ses périodes. Onze sont présentes ici dont deux Montagne Sainte-Victoire. Deux autres toiles de Cézanne, des portraits dont un autoportrait,  sont exposées dans la salle suivante. Ces tableaux inspirèrent des artistes russes qui se dirent cézannistes. Sont rassemblés ici des portraits peints par des artistes tels Vroubel, Kontchalovski et Ilia Machkov (1881-1944), ainsi qu’une toile de Malévitch et une de Picasso appartenant toutes deux à un nouveau courant.
Avant d’atteindre le dernier étage, le parcours nous dévoile le troisième Picasso acquit par Ivan,  Acrobate à la boule (1905), deux natures mortes de Cézanne, à côté de toiles de Machkov et de Mikhaïl Larionov (1881-1964), et surtout l’extraordinaire La Ronde des prisonniers, peint en 1890 par Van Gogh, peu avant sa mort.
Si Chtchoukine était particulièrement intéressé par Picasso et Matisse, Ivan Morozov n’était pas en reste vis-à-vis de ce dernier, comme le montre la salle consacrée à Henri Matisse où, parmi une dizaine de toiles, se détache le fameux Triptyque marocain (1912-1913), commandé par Ivan.
Avant d’atteindre le « clou » de l’exposition, deux salles rassemblent des nus de toutes sortes : toile, marbre, bronze, bois. Ce type d’œuvre d’art était mal venu, à cette époque, en Russie, où les grands industriels étaient de stricte obédience orthodoxe avec tous les interdits que cela implique. Les frères Morozov se singularisaient donc en collectionnant aussi des nus de Rodin, Claudel, Degas, Matisse, Renoir, Othon-Friesz, Bonnard, Manzana-Pissarro ou encore Charles Guérin et Jean Puy. Nous avons aussi, dans une autre salle, trois remarquables nus en bois à échelle humaine d’un sculpteur russe à la légende sulfureuse, Sergueï Konenkov (1874-1971) qui s’en était fait une spécialité.
Le parcours se termine dans une grande salle où est mise en scène l’Histoire de Psyché, une commande à Maurice Denis de cinq grands panneaux installés dans une même pièce de la résidence d’Ivan Morozov, qui les considère comme « les perles de sa collection ». Mais Denis trouve que sa suite est un peu perdue dans cette grande salle froide et grise et propose à Morozov de la compléter avec six autres panneaux, plus petits, ainsi que deux grands vases de sa main et quatre statues de Maillol, dont il supervise la commande. La scénographie de cette salle est exceptionnelle et met bien en valeur ces chefs-d’œuvre.
En marge de ce parcours nous pouvons jeter un œil à l’installation très originale et plaisante de Bianca Biondi (née en 1986), The Daydream (2021).
Une magnifique exposition à ne pas manquer. R.P. Fondation Louis Vuitton 16e. Jusqu’au 22 février 2022. Lien : www.fondationlouisvuitton.fr.


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