LA SOLITUDE DU COUREUR DE FOND

Article publié dans la Lettre n° 380
du 23 mars 2015


LA SOLITUDE DU COUREUR DE FOND de Alan Sillitoe. Traduction François Gallix. Mise en scène Patrick Mons avec Esaïe Cid, Patrick Mons.
Courant sans perdre haleine dans la campagne hivernale dès cinq heures du matin en short et maillot de corps, Colin Smith pourrait avoir l’illusion de se croire libre comme le vent. Pourtant, « des coureurs de fond dans une maison de correction, on voit pas ça tous les jours ». Le directeur de l’établissement pénitentiaire où le jeune délinquant purge sa peine pour vol, prend le risque de le laisser libre dans la nature. Il a détecté chez Colin des aptitudes de coureur de fond et espère bien le voir gagner le prix de la course de fond des maisons de correction. Il l’assure de sa confiance et lui parle d’honnêteté. Colin serait un exemple de réussite et de réhabilitation, il prendrait un nouveau départ sur le chemin de l’honnêteté, grâce aux vertus incontestées du sport. Cette valeur n’a pas le même sens pour le garçon mais il joue le jeu car il a un plan déjà bien ancré en tête. Cet entraînement quotidien ne lui plaît pas plus que cela. Il l’oblige à se lever aux aurores et à s’entraîner dans l’air glacé, le ventre creux, quand les autres dorment encore, mais cette échappée lui permet de penser. Elle lui sert en quelque sorte d’exutoire et de thérapie. Tout en fournissant son effort, il se souvient de son enfance, de « son pauvre p’pa », aujourd’hui décédé, de sa mère, marâtre dépensière qui trompait sans vergogne cet époux trop bon. Il remémore aussi ses vols perpétrés avec son copain Mike, celui surtout d’une boulangerie dont le succès fut bêtement balayé. Plus le jour fatidique approche, plus il se sent invincible. Ce jour-là, Colin considère d’un œil goguenard les tribunes où se sont amassés tous ces lords et ces ladies parmi lesquels trône son directeur, orgueilleux déjà de la victoire certaine de son poulain. Puis il s’élance. La distance se creuse peu à peu entre lui et le reste du peloton. Il pense à ce père aimé, à sa vengeance sur la vie et la société, se délecte à la pensée de la leçon qu’il brûle de donner au directeur haï. Alors, à cent mètres du poteau d’arrivée, le cœur cognant dans sa poitrine, les entrailles malmenées et le souffle court, il ralentit, puis s’arrête. A la stupéfaction générale, il attend ostensiblement le second coureur, le martellement de ses pas si long à lui parvenir. Lorsque le souffle attendu l’atteint enfin, son regard plonge dans celui incrédule du directeur, sous les acclamations de ses camarades. Va-t-il flancher? Son adaptation pour le théâtre et le cinéma en témoignent, cette nouvelle publiée en 1960 fait partie de ces œuvres d’anthologie au succès incontesté pour le message provocateur et libertaire qu’elle comporte. Cette métaphore de la vie, haine libératrice contre le système, n’est pas un hymne à la réhabilitation par le sport, tellement prôné, mais son contraire, la considération d’une discipline vue par Alan Sillitoe comme l’asservissement du corps et de l’esprit.
Sur la scène animée de quelques vidéos, n’interrompant presque jamais sa course, Patrick Mons réalise une sacrée performance. Coureur de fond solitaire, il est Colin Smith volant vers une victoire délibérément compromise. Faisant du surplace, il court, égrenant sans effort apparent ni anicroche les longues phrases rythmées par le tapement régulier de ses pieds. Il tient en haleine son public jusqu’à la dernière ligne droite, le saxophone d’Essaïe Cid ponctuant ses pas d’un tempo lancinant. Superbe ! Petit Hébertot 17e.


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