SIGNÉ DUMAS

Article publié dans la Lettre n° 462
du 19 septembre 2018


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SIGNÉ DUMAS de Cyril Gely et Eric Rouquette. Mise en scène Tristan Petitgirard avec Xavier Lemaire, Thomas Sagols et Davy Sardou.
Février 1848, l’insurrection gronde dans Paris, la Monarchie de Juillet chancelle. De sa fenêtre, Alexandre Dumas contemple en contrebas « son » château en finition. Un rêve de grandeur, un gouffre financier. Dumas éructe d’indignation devant les exigences des créanciers, de son épouse, de tous ces mesquins qui ne comprennent rien à son génie, à son appétit de vivre hors normes. Allons, plaie d’argent n’est pas mortelle, il suffit de produire davantage de pages, de chapitres, de romans, de pièces, le fidèle Maquet va y pourvoir. D’ailleurs, il a des économies bien placées, qu’il prêtera une fois de plus sans rechigner à son seigneur et maître, non ? Mais l’inconséquence de Dumas qui se croit indispensable, en politique comme en littérature, met le feu aux poudres, c’est le cas de le dire. Et la lucidité de Maquet se rebiffe, il perçoit la gravité de cette révolution en gestation, les revendications justifiées du peuple, tout ce que tous deux auraient à perdre par une fausse appréciation des enjeux républicains. La dispute s’envenime entre l’auteur adulé, insupportable dans son orgueil, sa morgue, l’aveuglement de son égoïsme, son mépris pour le gratte-papier souffre-douleur qui lui en remontre en matière de stratégie politique. « Je suis un chêne, je fais de l’ombre à tout le monde », clame-t-il. Comment ose-t-il revendiquer sa part de la création littéraire, le « bon petit secrétaire », un nègre, un plumitif ! Qui est le génie, qui est l’auteur reconnu dont le nom orne les ouvrages ! Mais la coupe de l’humiliation et de la servilité est pleine, le chantage étayé de Maquet fait vaciller le colosse, qui en bafouille, se justifie, recule devant le spectre du procès. Faux départ, retrouvailles sans commentaire. Même dans la haine recuite, le couple est indissoluble. Certes, tous deux reprendront en apparence leurs rôles respectifs, mais le filigrane s’est modifié, chantage et concessions désormais se rappelleront à la mémoire. Au-delà de la dispute, l’objet de la discorde est passionnant, parce qu’il touche à l’essentiel de l’écriture, au désir de reconnaissance, à la légitimité de la notoriété.
Le huis-clos se déroule au milieu des livres, des papiers qu’on se jette à la tête comme les insultes, la fenêtre ouvre sur la vie et les rumeurs de la ville en furie, qu’annonce et revient confirmer le naïf Mulot, joué par Thomas Sagols. Xavier Lemaire campe un matamore dans une démesure physique et verbale qu’accroît encore la sobriété de Davy Sardou, à la fois étriqué dans la servilité et si émouvant dans la révolte inopinée de l'humilié trop longtemps gavé de couleuvres qu’il ne peut plus avaler.
Un très subtil équilibre entre l’excès et la contrainte, le despotisme et l’humiliation, la maîtrise et l’émotion A.D. Théâtre La Bruyère 9e.


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