LE MARCHAND DE VENISE

Article publié dans la Lettre n° 447
du 31 janvier 2018


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LE MARCHAND DE VENISE de William Shakespeare. Mise en scène et adaptation Ned Grujic avec Thomas Marceul, Julia Picquet, Rémy Rutovic, Antoine Théry.
Une livre de chair, c’est le prix à payer pour la dette non acquittée. Quand il en va des amours de son ami Bassanio, qui dilapide en toute inconséquence les ducats des autres, Antonio le riche armateur n’hésite pas un instant, fort de ses galions qui arpentent les océans. Mais, quand les tempêtes successives le ramènent à la réalité des choses, il s’agit désormais de payer le prix qu’exige, en toute légalité, son créancier Shylock. Pétri de haine à l’encontre de ces chrétiens qui ne cessent pas de l’insulter et de le mépriser, tissé de vindicte parce que sa fille Jessica l’a déserté pour une alliance honnie, l’usurier revendique sans pitié son dû. La superbe a changé de camp, Bassanio sanglote, Antonio gémit, la situation est sans appel. Shylock est légitime dans sa requête, si monstrueuse soit-elle, et le couteau affûté se lève déjà.
Une livre de chair, pas un gramme de plus ou de moins. Pas une goutte de sang non plus. Toute l’argutie est là. C’est Portia l’amoureuse qui trouvera la solution, bien au-delà du seul salut d’Antonio. La pièce de Shakespeare n’a jamais laissé de surprendre et de déranger. Si on s’indigne à juste titre de l’antisémitisme des propos et des gestes des marchands vénitiens, si Shylock est toujours aussi émouvant dans sa revendication à la stricte humanité de sa condition, son intransigeance même juridiquement fondée provoque le malaise. Mais que répondre lorsque la crédibilité d’un Etat est ainsi mise en question ? On aimerait se contenter d’un dénouement d’amnistie générale, qui rendrait chacun à ses petits conforts d’antan. Bassanio à ses amours parjures, Antonio à ses affaires recouvrées. La conclusion du drame interdit ce repos, Shylock paiera le prix le plus fort.
De cette ambiguïté nauséeuse, la mise en scène offerte ne fait pas l’économie. On évolue dans une Venise d’eau et de ponts en miniature, les lettres échangées ont figure de petits bateaux, les chaises se muent en citadelle ou en prétoire, au milieu desquels les quatre acteurs déroulent avec bonheur et efficacité l’interchangeabilité des sexes, la dérision des situations, l’amertume des vociférations et des plaintes. Entre ombre et lumière, vérité et travestissement, seule la figure rieuse de Portia illumine de son inventivité et de sa vraie noblesse une gent masculine, pleutre ou cruelle, affairée de marchandages, murée dans ses préjugés et ses haines. 
Et l’eau continuera à couler sous les ponts de Venise. A.D. Théâtre du Lucernaire 6e.


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