LA CONVERSATION

Article publié dans la Lettre n° 346
du 19 novembre 2012


LA CONVERSATION de Jean d’Ormesson. Mise en scène Jean-Laurent Silvi avec Maxime d’Aboville et Alain Pochet.
Au début du XIXe siècle, au moment où se situe l’action, le consulat est en place. Bonaparte, Cambacérès et Lebrun «se partagent» le gouvernement de la France. Talleyrand se plaît à railler le trio en se référant au latin: Huc (celui-ci) désigne le premier consul, haec (celle-ci) le deuxième et sous-entend les penchants d’un homme qui n’aime pas les femmes, hoc (ça) relève l’insignifiance du troisième consul.
Un soir d’hiver, au moment de prendre congé, Bonaparte retient Cambacérès. La conversation s’engage tout d’abord sur l’art de la table et celui de recevoir, un sujet moins futile qu’il n’y paraît car « c’est aussi par la table que l’on agit sur les hommes ». Puis les deux hommes abordent des points plus politiques. Ils remémorent les événements passés, tout le travail accompli par Bonaparte et ses nombreuses victoires. Bonaparte évoque ensuite les problèmes qu’il rencontre dans sa vie publique et privée, aux prises avec des hommes dont il doit se méfier et une famille aussi nombreuse que tumultueuse. Le premier consul, contrairement à sa réputation d’homme pressé, tarde à aborder le sujet qui lui tient à coeur : « L’ambigüité de notre consulat me préoccupe ». Cette réflexion qu’il a profondément murie et la décision qui en découle ne sont pas aisées à formuler. Il sait que malgré l’admiration qu’il lui voue, Cambacérès saura opposer ses arguments. C’est pourquoi il l’a choisi en premier pour lui soumettre son projet : « Vous êtes savant, souple et prudent, vous êtes un excellent administrateur ». Convaincre le deuxième consul, c’est convaincre un homme d’expérience de 16 ans son aîné, c’est en partie convaincre la France. Bonaparte lance enfin. « Tout repose sur ma personne, j’ai fondé une ère nouvelle, je dois l’éterniser ». Instaurer un nouveau régime qui se substituera au consulat, reconstituer l’empire de Charlemagne dont le modèle sera Rome et César, est un rêve qu’il souhaite partager avec Cambacérès: « Vous serez le deuxième personnage de l’Empire comme vous avez été le deuxième du Consulat ». Ce dernier le met en garde : « Aujourd’hui l’Europe entière vous respecte, demain elle se jettera sur vous » mais l’assure de sa fidélité.
Très documenté, Jean d’Ormesson a imaginé un entretien où se dessinent chronologiquement les événements qui secouèrent la France durant une époque particulièrement dramatique et tendue. Il l’a enrichi d’un dialogue brillant, parsemé de traits d’humour au cours duquel Bonaparte aurait révélé son ambition à Cambacérès. Cette conversation n’est pas un affrontement mais un dialogue pertinent où le respect réciproque et l’entente mutuelle évitent tout emportement ou jugement hâtif, où les arguments de l’un sont soupesés et commentés par l’autre. La simplicité de la mise en scène et le naturel des deux comédiens emportent le spectateur deux siècles en arrière comme s’il était le témoin discret et indiscret de ce tête-à-tête subtil où l’émotion perce souvent. « Un jour peut-être je perdrai une bataille, un jour sûrement je mourrai mais ma légende n’aura pas de fin… ». Théâtre Hébertot 17e. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici


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