Parcours en images de l'exposition

TRÉSORS EN NOIR ET BLANC

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°581 du 8 novembre 2023


 

Entrée de l'exposition

Le Petit Palais met à l'honneur son exceptionnel cabinet d'arts graphiques, riche de plus de 20 000 estampes, à travers une sélection de près de 180 feuilles. C'est l'un des points forts des collections du musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris depuis sa création.
Le Petit Palais est en effet réputé pour sa remarquable collection de gravures anciennes, soigneusement rassemblée par Eugène Dutuit, passionné d'estampes et de culture classique. Cette collection, léguée en 1902 par son frère Auguste, constitue un ensemble prestigieux où dominent les écoles du Nord. Le Petit Palais recueille ensuite les estampes issues de la collecte lancée par son directeur et conservateur Henry Lapauze pour la création, en 1908, du «musée de l'Estampe moderne».
Grâce à cette démarche très novatrice, le musée s'enrichit par la générosité de nombreux éditeurs, collectionneurs et artistes, C'est au tour des maîtres de l'estampe moderne, tels Henri de Toulouse-Lautrec, Jules Chéret ou encore Théophile Steinlen, de rejoindre la collection.
L'exposition propose de découvrir ces deux étapes marquantes de la constitution du fonds d'estampes du Petit Palais. Elle offre, ce faisant, un véritable panorama technique, iconographique et stylistique de l'estampe du XVe au XXe siècle, à travers des représentants illustres ou méconnus.

 
Texte du panneau didactique.
 
Cartel pour le jeune public.
En 1869, Eugène Dutuit organise au palais de l'industrie une grande exposition d'estampes, dans la lignée de celles de Jean Duchesne, conservateur à la Bibliothèque impériale. Fier de partager avec le public l'aboutissement de plusieurs années de collecte passionnée, dans une démarche très personnelle, il présente, avec ses 467 estampes, une soixantaine de vases, terres cuites et bronzes antiques dans une vitrine centrale. Son catalogue - autre innovation - illustre le grand rhyton attique de buste de cheval (présenté ici au centre de la salle), une pièce unique, et souligne la très belle conservation des deux petits vases en bronze exposés ici. Leurs tons sombres s'harmonisent avec les noirs des estampes. Le choix des céramiques, le contraste entre le rouge des figures et leur fond noir, aussi.
 
Eugène Dutuit (1807-1886). Souvenir de l'exposition de M. Dutuit (extrait de sa collection). Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie, palais de l'Industrie, 1869. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Nicolas de Launay (1739-1792) d'après Jan Weenix (1640-1719). La Partie de plaisir, 1783. Burin et lavis, épreuve d'état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.


SECTION 1 – LE GOÛT DUTUIT




Eugène Dutuit, célèbre collectionneur d’estampes du XIXe siècle, a acheté ses premières gravures dès les années 1830. Cet autodidacte a su construire son savoir en nouant des liens de confiance avec différents marchands et experts. Grâce à sa persévérance, l’amateur a réuni l’intégralité de l’œuvre gravé des plus grands artistes, dont Albrecht Dürer et Jacques Callot. Sa passion pour Rembrandt l’a amené à rassembler plus de 350 eaux-fortes du maître d’une qualité exceptionnelle.
Eugène Dutuit a toujours souhaité rendre ses collections accessibles au plus grand nombre. En 1845, il fait ainsi don d’un ensemble remarquable de plusieurs centaines de gravures à la bibliothèque municipale de Rouen. En 1869, il organise une exposition de grande envergure en collaboration avec l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, afin de partager avec le public l’aboutissement de plusieurs années de collecte acharnée aux quatre coins de l’Europe.
Au-delà de sa passion pour l’estampe et de sa volonté de démocratisation, Eugène Dutuit poursuivait une visée pédagogique. À travers sa collection, il souhaitait réunir la matière nécessaire pour écrire une histoire de la gravure et de ses principaux représentants. Il est devenu un spécialiste reconnu de la gravure grâce à deux publications majeures, le Manuel de l’amateur d’estampes (1881-1888) et L’Œuvre complet de Rembrandt (1883), auxquelles il a travaillé durant les vingt dernières années de sa vie.

 
Texte du panneau didactique.
 
Albrecht Dürer. Le Rhinocéros, 1515. Gravure sur bois. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Cette célèbre estampe de Dürer témoigne de la fascination exercée par l’arrivée à Lisbonne, le 20 mai 1515, du rhinocéros offert au roi Manuel Ier du Portugal par Muzafar, sultan de Cambay, en Inde. Si Dürer ne vit pas lui-même l’étrange animal, il en eut connaissance par plusieurs sources. Sa restitution n’en reste pas moins fantaisiste. Dutuit possédait trois versions du Rhinocéros, dont cette planche issue de la première édition est la plus précieuse.


ALBRECHT DÜRER (1471-1528),
« le grand maître de l'école allemande »


Scénographie

Eugène Dutuit se passionne très tôt pour les estampes d’Albrecht Dürer (1471-1528), qu’il acquiert à partir des années 1830, majoritairement dans les grandes ventes publiques. Il parvient ainsi à rassembler la quasi-totalité de l’œuvre gravé de l’artiste allemand, en se focalisant sur des épreuves de très bonne qualité et d’origine prestigieuse, comme le célèbre Rhinocéros, La Grande Fortune ou encore les séries de L’Apocalypse et des Entrelacs, issues de la collection du comte Harrach.
Collectionneur érudit, Dutuit était très au fait des dernières recherches sur Dürer, qui fit l’objet de plusieurs publications au cours des années 1860 et 1870. Le critique d’art et amateur Émile Galichon publie notamment, en 1860, dans la Gazette des beaux-arts, une série d’articles dans laquelle il explique que les gravures de l’artiste ne sont pas extrêmement rares, mais qu’il est difficile de trouver de belles épreuves. On mesure ainsi l’intérêt de la collection Dutuit, dont tous les tirages se caractérisent par leur excellence. Eugène possédait d’ailleurs quelques feuilles ayant appartenu à Galichon, dont le fameux Le Chevalier, la Mort et le Diable (1513).

 
Texte du panneau didactique.
 
Albrecht Dürer. Némésis (La Grande Fortune), 1501-1502. Burin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Longtemps considérée comme une allégorie de la Fortune, cette monumentale figure en lévitation sur une sphère correspond en fait à une personnification de Némésis, déesse grecque de la Vengeance et de la Justice. La divinité tient une coupe d’orfèvrerie et un mors, respectivement symboles de récompense et de châtiment. Dans la partie inférieure se déploie un magnifique panorama à vol d’oiseau vraisemblablement inspiré de la célèbre Vue de Venise de Jacopo de Barbari, publiée en 1500.>
 
Albrecht Dürer. Adam et Eve, 1504. Gravure sur bois. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Cette estampe d'une virtuosité éblouissante témoigne des recherches de Dürer sur les proportions du corps humain. L'influence des maîtres italiens est sensible, notamment Pollaiolo : Dürer a emprunté aux Gladiateurs le contraste des deux figures claires se détachant sur un fond sombre, ainsi que l'inscription latine proclamant la paternité de l’œuvre. La planche se distingue aussi par sa richesse symbolique, avec la représentation des quatre tempéraments (chat, lapin, élan et bœuf).
 
Cartel pour le jeune public.

est l'un des plus grands artistes de la Renaissance, à la fois peintre, graveur et théoricien. Originaire de Nuremberg, ville prospère d'Allemagne du Sud, il se forme d'abord dans l'atelier de son père, orfèvre. Il entre ensuite en apprentissage chez un peintre allemand réputé, Michael Wolgemut, qui l'initie à la maîtrise picturale des primitifs flamands ainsi qu'à la gravure sur bois. Dürer complète sa formation par deux séjours en Italie, où il se nourrit de l'étude de l'art antique et des apports de la Renaissance italienne.
Cette synthèse des influences nordiques et italiennes trouve son aboutissement dans sa pratique de graveur : sur bois comme sur cuivre, Dürer produit des estampes d'une perfection technique jamais atteinte avant lui.

 
Légende.
 
Albrecht Dürer. Les Armoiries de la Mort, 1503. Burin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Dans ce chef-d’œuvre graphique «où le souffle macabre d’Holbein se double du sceptique sourire d’Érasme» (Jules Momméja), Dürer s’essaye avec brio à l’art du blason, une pratique courante chez les graveurs dès le début du XVe siècle. Le casque à la texture brillante rappelle que sa ville natale, Nuremberg, fut l'un des principaux centres de production de l’armurerie autour de 1500. Dans son manuscrit, Dutuit se targue de posséder cette «très belle épreuve d’une des plus belles pièces du maître».
Albrecht Dürer (1471-1528).
1. Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse.
2. Saint Michel terrassant le dragon.
3. La Prostituée de Babylone.
L'Apocalypse (édition allemande), suite de 15 pièces. Gravure sur bois, vers 1496-1497.
Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

En 1498, Dürer publie le premier de ses grands livres gravés, L'Apocalypse, suite de quinze planches sur bois illustrant le texte éponyme de saint Jean et son récit de la fin des temps. L'artiste innove en accordant aux estampes, placées au recto, la préséance sur le texte, rejeté au verso. L'artiste a su donner admirablement corps aux visions fantastiques de l'évangéliste, à travers ses gravures au souffle épique portées par une exceptionnelle calligraphie. La cohorte déferlante et hallucinée des Quatre Cavaliers de l'Apocalypse (la Mort, la Famine, la Guerre et la Peste) a durablement marqué l'imaginaire occidental.
 
Albrecht Dürer. Melencolia I, 1514. Burin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

L’une des œuvres les plus célèbres de Dürer, Melencolia I, s’affirme comme un véritable autoportrait spirituel de l’artiste confronté à ses propres limites créatives et à sa finitude. Incarnant tout à la fois la Mélancolie – tempérament le plus noir de la théorie antique des quatre humeurs – et la Géométrie – considérée comme l’un des sept arts libéraux –, cette figure monumentale témoigne des aspirations humanistes de Dürer, imprégné des théories néoplatoniciennes.
 
Albrecht Dürer (1471-1528). Le Chevalier, la Mort et le Diable, 1513. Burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Il s'agit de l’une des trois gravures sur cuivre magistrales créées par Dürer au cours des années 1513 et 1514, dans lesquelles il démontre sa maîtrise éblouissante de l'art du burin, tant dans la restitution des textures que dans le traitement subtil du clair-obscur. Le fier cavalier, monté sur un cheval inspiré des modèles antiques, semble indifférent aux hideuses figures qui le menacent: la Mort, armée de son sablier, et le Diable monstrueux à cornes de bouc et groin de porc.
Scénographie
 
Albrecht Dürer (1471-1528). Hercule à la croisée des chemins, dit aussi Les Effets de la jalousie, vers 1498-1499. Burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Albrecht Dürer (1471-1528). Les Quatre Femmes nues, dit aussi Les Quatre Sorcières, 1497. Burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Premier burin daté de Dürer, cette œuvre présente une iconographie encore débattue. Le hideux démon visible à gauche de la composition et le crâne au pied de la femme de dos suggèrent une scène de sorcellerie. La posture des trois corps nus, qui s'inspirent littéralement du groupe antique des Trois Grâces, évoque davantage une lecture mythologique: l'affrontement de Vénus, Minerve et Junon sous les yeux de la Discorde. Ce sujet érudit témoigne en tous les cas de la culture humaniste de Dürer.
Antonio Pollaiolo. Les Gladiateurs. Combat d’hommes nus, vers 1460-1475. Burin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Au cours de son premier voyage de formation, qui le mène de Colmar à Bâle, en passant par l’Italie, Dürer se nourrit de l’art des grands burinistes du Quattrocento, tels Andrea Mantegna et Antonio Pollaiolo. L’assimilation de leurs œuvres empreintes de l’art antique se ressent dans les estampes réalisées par Dürer au cours des années 1496-1499. Ainsi, dans Hercule, la musculature très étudiée du héros vu de dos rappelle l’anatomie puissante des Gladiateurs de Pollaiolo. Dutuit était fier de cette «superbe et très rare épreuve [issue] de la collection Brizard de Gand».
Marcantonio Raimondi (v. 1480- v. 1530) ou Agostino Veneziano (v. 1490-1540), d’après Girolamo Genga (v. 1476-1551).
La Carcasse
, dit aussi Lo Stregozzo, vers 1520-1530. Eau-forte et burin, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Le succès des estampes de Dürer se reflète dans l'impressionnante scène macabre intitulée La Carcasse, qui reprend littéralement le motif de La Sorcière de l'artiste allemand à une échelle monumentale. Si l'attribution de l'œuvre est aujourd'hui incertaine, Dutuit considérait «cette pièce fort belle et digne d'être attribuée à Marc Antoine», «d'après un dessin de Michel-Ange où de Raphaël». Originaire de Bologne, Marcantonio Raimondi s'affirme comme le graveur attitré de Raphaël. Il est aussi accusé de contrefaçon par Dürer, ayant copié soixante-neuf gravures du maître, en utilisant son monogramme
 
Albrecht Dürer (1471-1528). Saint Jérôme dans sa cellule, 1514. Burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Exemple parfait du chrétien érudit tel que le concevaient les humanistes proches de Dürer, saint Jérôme est une figure récurrente dans l'univers du graveur. Il est ici représenté dans sa dimension contemplative, absorbé par sa traduction de la Bible en latin (la Vulgate), dans l'intimité de son cabinet baigné d'une lumière douce et apaisante, conférant une impression de temps suspendu. Dürer a particulièrement soigné la construction de sa composition, démontrant sa pleine maitrise de la perspective.
 
Albrecht Dürer (1471-1528). Le Monstre marin, dit aussi L’Enlèvement d'Amymoné, 1498. Burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Cette estampe, centrée sur un nu féminin, témoigne du goût de Dürer pour la culture humaniste et la statuaire antique. Comme souvent pour ses sujets profanes, l'iconographie reste débattue. Si, dans son Journal de voyage aux Pays-Bas, Dürer intitule la gravure «Le Monstre marin», Dutuit la désignait comme «L'Enlèvement d'Amymoné», en référence à un épisode mythologique mettant en scène Poséidon et la fille du roi Danaos. La planche se distingue par l'un des premiers paysages gravés de Dürer.
 
Gravure sur bois

Sur une planche de bois dur, coupée dans le sens du fil (sens vertical de l'arbre), le graveur creuse à l'aide d'un canif, de ciseaux à bois et de gouges (ciseau à bois dont le fer est concave) autour des traits de son dessin, en les «épargnant», et évide le fond. Il encre la planche au rouleau, et seul le motif en relief reçoit l'encre. L'impression se fait à l'aide d'une presse typographique
Explications sur la technique de la gravure sur bois.
 
Texte du panneau didactique.
Outils, produits et matériaux utilisés pour la gravure sur bois.


JACQUES CALLOT
« le poète des fêtes populaires »

Scénographie

À l’époque d’Eugène Dutuit, le graveur lorrain Jacques Callot (1592-1635) occupait une place de choix dans les cabinets des collectionneurs, aux côtés de Rembrandt et de Dürer, dont il était considéré comme le successeur et le prédécesseur direct. Homme de son temps, Eugène Dutuit ne pouvait qu’être séduit par les estampes de Callot, qui partageait une communauté d’inspiration avec son graveur fétiche, Rembrandt. L’ensemble réuni par Eugène à partir des années 1830 est proche de l’exhaustivité : à l’exception des Bossus, on y trouve les suites et planches emblématiques de Callot : Gueux, Bohémiens, Balli di Sfessania … Toutes les épreuves se caractérisent par leur pedigree, leur qualité et leur rareté, permettant d’apprécier la virtuosité de l’aquafortiste, qui perfectionna la technique de l’eau-forte par le recours au vernis dur.
Dutuit s’enorgueillit, dans son manuscrit du Manuel de l’amateur d’estampes, de détenir les deux séries des fameux Caprices, l’une gravée à Florence, la seconde à Nancy. Il possédait en outre de très rares épreuves du premier état des Grandes Misères de la guerre, ainsi que de La Tentation de saint Antoine, de La Foire de Gondreville et de La Foire d’Impruneta.

 
Texte du panneau didactique.
 
Martin Schongauer. La Tentation de saint Antoine, vers 1470-1475. Burin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Martin Schongauer est l’un des plus grands artistes rhénans de la fin du XVe siècle. Formé dans l’atelier de son père, orfèvre, il en retient une grande précision et un souci du détail inégalable. Dürer lui-même le considérait comme un maître. La Tentation de saint Antoine, avec sa composition tournoyante dramatisant la lutte aérienne du saint et des démons qui l’assaillent, connaît un succès immédiat et durable, et se diffuse rapidement au-delà des frontières germaniques, comme en témoigne l’interprétation de Callot.
 
Jacques Callot (1592-1635). La Vieille au chat. Les Gueux, suite de 25 pièces, vers 1622-1623. Eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

«Toutes les fois que des graveurs eurent à mettre en scène la misère en haillon des grandes villes, les mendiants affreux, ils firent des emprunts à Callot» (Henri Bouchot). C'est le cas de Rembrandt, qui reprit en contrepartie, dans son Gueux assis se chauffant les mains, la posture de La Vieille au chat. De fait, si Callot fut le grand interprète du monde du spectacle, il immortalisa également les «mendiants en guenilles» à travers sa suite en vingt-cinq pièces des Gueux (Baroni). Si le thème irriguait les arts et la littérature du XVIIe siècle, Callot s’en fit le plus acerbe chroniqueur.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). Gueux assis se chauffant les mains, 1630. Eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot. Les Deux Pantalons, vers 1616-1617. Eau-forte.
Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Jacques Callot. Les Trois Pantalons, Le Pantalon ou Cassandre, Premier numéro d’une suite de 3 pièces, vers 1618-1619. Eau-forte. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Jacques Callot. Les Trois Pantalons, Le Zani ou Scapin, Troisième numéro d’une suite de 3 pièces, vers 1618-1619. Eau-forte. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

L’univers de Jacques Callot est peuplé de figures issues du monde de la Commedia dell’arte, dont il avait pu voir des spectacles au cours de son séjour florentin. Plusieurs séries mettent ainsi en scène des comédiens et danseurs dans des postures virevoltantes, telles Les Balli di Sfessania, Les Deux Pantalons et Les Trois Pantalons. Cette dernière suite, composée de trois estampes, s’inspire du recueil des «Mascarades» de Robert Boissard (1597), mais Callot insuffle à ses personnages une verve irrévérencieuse inégalable.
 
Jacques Callot (1592-1635). 1. Les Bohémiens en marche : l'arrière-garde ou le départ. Les Bohémiens, suite de 4 pièces, 1621-1625. Eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Jacques Callot (1592-1635). 2. La Halte des bohémiens : les apprêts du festin. Les Bohémiens, suite de 4 pièces, 1621-1625. Eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Les Bohémiens est l'une des séries les plus populaires de Callot. Cette suite de quatre pièces met en scène, à travers de multiples détails pittoresques, le quotidien d'une famille de bohémiens. Callot avait lui-même expérimenté cette vie errante, ayant suivi une troupe alors qu'il se rendait en Italie. Cet épisode picaresque a particulièrement séduit la génération romantique, qui s'empara de la figure de Callot. Baudelaire écrivit un poème inspiré de cette suite dans Les Fleurs du Mal (XIII, «Bohémiens en voyage»).

Scénographie
 

est un graveur majeur du XVIIe siècle. Dès son vivant, les amateurs s'arrachaient ses planches pleines de verve et de fantaisie, grouillant de petits personnages et parvenant à retranscrire l'infiniment grand dans l'infiniment petit. Issu de la noblesse lorraine, Callot quitte précocement Nancy pour Rome, où il se forme au burin, puis se rend à Florence, où il entre au service des Médicis et se convertit à l'eau-forte. Il est à l'origine d'une innovation technique essentielle, consistant à remplacer le traditionnel vernis mou, mélange de cire et de bitume, par le vernis dur des luthiers, à base d'huile de lin ou de noix, qui autorise une incroyable finesse de détails et de traits. Il inaugure cette trouvaille en 1617, dans la suite des Caprices qui lui vaut la célébrité.

Jacques Callot (1592-1635).
- 1. Les Danseurs à la flûte et au tambourin.
- 2. Les Danseurs au luth.
- 3. Les Deux Pantalons se tournant le dos.
- 4. Les Deux Pantalons se regardant.
- 5. Le berger jouant de la flûte.
- 6. L'Hospice.
Les Caprices, suite de 50 pièces gravée à Florence, 1617. Eau-forte.
Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Chef-d'œuvre de la période florentine de Callot, Les Caprices (Capricci di diverse figure) se composent de quarante-huit vignettes, un frontispice et une dédicace à Laurent de Médicis. Ils constituent un manifeste de l'esthétique du graveur lorrain, tant dans l'échelle microscopique que dans l'univers pittoresque des vignettes mettant en scène gueux, nobles, paysans et comédiens. Ils se distinguent enfin par la maîtrise technique de l'eau-forte, Callot expérimentant plusieurs innovations. Face à son succès considérable, l'artiste en grava une seconde suite à Nancy. En bon collectionneur, Dutuit possédait les deux.
 
Texte du panneau didactique.
Scénographie
Jacques Callot (1592-1635). La Foire d'Impruneta, 1620. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Offerte au grand-duc de Toscane, Cosme II de Médicis, le 25 mars 1620, lors de la fête de l'Annonciation, La Foire d'Impruneta est l'une des estampes les plus ambitieuses de Callot, tant par son format que par l'incroyable restitution d'une kyrielle de plus de 1300 personnages et animaux. Très célèbre dès sa publication, cette planche suscita la convoitise des collectionneurs. Dans son manuscrit, Eugène Dutuit qualifie son exemplaire de «première épreuve de la plus grande rareté».
Jacques Callot (1592-1635). La Foire de Gondreville, vers 1625. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Cartel pour le jeune public (relatif à la gravure ci-dessus).
 
Jacques Callot (1592-1635). La Tentation de saint Antoine, 1635. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

La Tentation de saint Antoine est l'œuvre la plus spectaculaire de Callot. Tel Martin Schongauer avant lui, il parvient à créer un nouveau type, qui s'impose comme un modèle pour plusieurs générations. Si la composition en de multiples plans structurée par des architectures s'inspire de l'univers du théâtre, le grouillement des démons s'inscrit dans la filiation nordique de Jérôme Bosch. Callot réalisa deux versions de La Tentation: celte estampe correspond à la seconde, la première étant rarissime.
Jacques Callot (1592-1635). 
- 1. La Roue.
- 2. Dévastation d’un monastère.
- 3. La Pendaison.
- 4. L'Attaque de la diligence.
- 5. Le Pillage d’une ferme.
Les Grandes Misères de la guerre, suite de 18 pièces, 1633. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

«Lugubre odyssée» en dix-huit tableaux, Les Grandes Misères de la guerre est un récit «de la vie du soldat dans les camps, de ses débordements et de ses crimes, mais aussi de ses souffrances propres». Callot procède à un changement d'échelle, avec des compositions beaucoup plus grandes que ses vignettes précédentes. Il ne masque rien de la barbarie engendrée par les conflits, à l'image de cette «planche inimitable des pendus», avec «cet arbre isolé où pendent des grappes humaines», «page effrayante de réalisme». «Nul n'avait jamais peint la guerre avec cette énergie et cette puissance », écrira Henri Bouchot (1889).
 
Jacques Callot (1592-1635). 1. La Roue. Les Grandes Misères de la guerre, suite de 18 pièces, 1633. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Jacques Callot (1592-1635). 3. La Pendaison. Les Grandes Misères de la guerre, suite de 18 pièces, 1633. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Jacques Callot (1592-1635). 4. L'Attaque de la diligence. Les Grandes Misères de la guerre, suite de 18 pièces, 1633. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Jacques Callot (1592-1635). 5. Le Pillage d’une ferme. Les Grandes Misères de la guerre, suite de 18 pièces, 1633. Eau-forte, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Eau-forte

Le graveur dessine sur une plaque de cuivre enduite de vernis avec une pointe métallique pour mettre le métal à nu. La plaque est plongée dans un acide qui creuse le métal non protégé par le vernis et forme des traits aux bords irréguliers, plus ou moins profonds selon la durée de la morsure. Après avoir enlevé le vernis, le graveur enduit la plaque d'encre qu'il fait pénétrer dans les creux à l'aide d'un tampon de tissu. Puis il l'essuie avec un chiffon de tarlatane (mousseline) pour ne laisser d'encre que dans les tailles; il peut alors imprimer le résultat sur une presse à taille-douce.
Explications sur la technique de l'eau-forte.
 
Texte du panneau didactique.
Outils, produits et matériaux utilisés pour les eaux-fortes.


REMBRANDT,
« la magie du clair-obscur »

Scénographie

Eugène Dutuit considérait l’oeuvre de Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1606-1669) comme le joyau de sa collection. Avec des œuvres de qualité exceptionnelle rassemblées au fil des ans, la collection de plus de 350 estampes de l’artiste était réputée comme l’une des plus remarquables de son temps. Dutuit découvre les eaux-fortes de Rembrandt lors d’un voyage en Hollande à l’âge de 19 ans et depuis lors, achète de nombreuses estampes aux enchères et chez des marchands d’estampes renommés. Ses achats spectaculaires, parmi lesquels le huitième et dernier exemplaire existant sur le marché de La Pièce aux cent florins, étaient connus de tout le milieu des amateurs. Sa collection était souvent mentionnée dans les journaux de l’époque. Collectionneur passionné, Eugène Dutuit a grandement contribué à la connaissance de l’artiste en France. Lors de l’exposition de sa collection, en 1869 au palais de l’Industrie, il présente cinquante œuvres de Rembrandt sur 467 estampes exposées. Son nom est resté associé à l’étude de l’œuvre de l’artiste. En 1883, à l’âge de 76 ans, l’amateur publie un catalogue de l’œuvre gravé de Rembrandt en deux volumes illustrés d’héliogravures, considéré comme une référence pour les études sur l’artiste.

 
Texte du panneau didactique.
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). Portrait de l’artiste en costume oriental, vers 1631. Huile sur bois. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, collection Dutuit, 1902. © Paris Musées / Petit Palais.

À l’âge de 20 ans, lors d’un voyage en Hollande, Eugène, accompagné de son frère Auguste, est impressionné par plusieurs chefs-d’œuvre de Rembrandt. En 1840, Auguste achète ce tableau à Gand pour 16 709 francs, soit l’équivalent de presque neuf ans de revenus pour un couple d’ouvriers parisiens. Il s’agissait alors d’une extraordinaire découverte, le tableau étant méconnu des historiens. L’œuvre provient de la collection du comte de Vaudreuil, gouverneur du Louvre. Le catalogue de vente mentionne que l’artiste avait 26 ans lorsqu’il exécuta cet autoportrait en costume d’Arménien, soulignant les «surprenants effets de clair-obscur, dont l’intelligence semble avoir été innée chez Rembrandt».
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). Autoportraits. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). Rembrandt appuyé, 1639. Eau-forte sur papier filigrané. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Habillé comme un gentilhomme de la Renaissance italienne, l’artiste a puisé son inspiration dans les œuvres de Balthazar Castiglione de Raphaël (v. 1515) et de L’Arioste de Titien (v. 1510) qu’il a vus chez un collectionneur d’Amsterdam. Cet autoportrait, considéré comme le plus beau de ceux qu’on lui doit, le représente au point culminant de sa carrière, alors qu’il était âgé de 33 ans. Rembrandt, célèbre portraitiste mondain, a choisi de se dépeindre en artiste accompli.
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). Rembrandt fronçant les sourcils, 1630. Eau-forte, papier européen. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). Rembrandt aux cheveux hérissés, 1630. Eau-forte, papier européen. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz Van Rijn, dit). Rembrandt «aux trois moustaches», 1634, eau-forte, papier européen. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Rembrandt est célèbre pour ses innombrables autoportraits, dont vingt-huit ont été gravés. Il se sert ici de son propre reflet pour capturer émotions et sentiments humains de manière saisissante. La série se distingue par sa grande expressivité. Pour Dutuit, Rembrandt aux trois moustaches est une «petite tête pleine d'expression et de la plus grande beauté».
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). Rembrandt gravant à la fenêtre, 1648. Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier Japon de couleur ivoire clair. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Cet autoportrait montre Rembrandt en train de dessiner ou de graver, à l’âge de 42 ans, après la mort de sa femme Saskia. L’artiste dévoile ici son propre état d’âme. Il cherche ainsi à mettre en avant son talent et sa capacité à créer de manière expressive et authentique. L’estampe, remarquablement travaillée, combine habilement la pointe sèche et l’eau-forte pour souligner les formes du corps. Cette pièce rare a été exposée pour la première fois en 1869 au Palais de l’Industrie par Eugène Dutuit.

est un célèbre peintre et graveur de l'âge d'or hollandais. En 1626, il ouvre son propre atelier à Leyde avec Jan Lievens, qui l'initie à la gravure. En 1641, il déménage à Amsterdam et reçoit sa première grande commande, La Leçon d'anatomie du docteur Tulp (La Haye, Mauritshuis). En 1634, il épouse Saskia, nièce de son marchand d'art, qui lui offre un nouveau statut social et devient son modèle préféré. Après la mort de celle-ci, en 1642, sa situation financière se dégrade. Collectionneur passionné, Rembrandt dépense des sommes considérables en ventes publiques, comme l'indique l'inventaire de sa faillite de 1656. Il est connu pour son utilisation de la lumière et du clair-obscur, laissant derrière lui une vaste production d'estampes, principalement à l'eau-forte.

 
Légende.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). La Grande Résurrection de Lazare, 1632. Eau-forte et burin sur papier Japon, 6e état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Cette première eau-forte de grandes dimensions inaugure une série de grands sujets d'histoire et cherche à rivaliser avec les peintures en grisaille alors très prisées. Dans cette œuvre théâtrale, inspirée des grandes compositions baroques de Rubens, la lumière inonde l'entrée du tombeau et contraste avec la figure imposante du Christ, plongé dans la pénombre, main levée, et qui ordonne: Lazare, sors ! Rembrandt a suscité l'engouement des collectionneurs pour cette estampe qui a connu jusqu'à 9 états successifs. Dans le 6e état, l'artiste a notamment ajouté un bonnet à la figure de l'homme terrifié près de Marthe, qui assiste au miracle en cours.
Scénographie
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). La Femme devant le poêle. Eau-forte, burin et pointe sèche sur papier filigrané. 3e état, 1658. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Cette estampe a fasciné les collectionneurs. Rembrandt utilise des effets de lumière et d'ombre pour mettre en évidence le corps de cette femme âgée, partiellement dénudée, et la blancheur de sa chemise dans l'obscurité, révélant ainsi sa condition de manière réaliste et sans artifice. Il a retravaillé la plaque de cuivre à sept reprises, apportant des modifications à chaque étape. Dans le septième état, la femme ne porte plus de bonnet, créant un équilibre harmonieux entre les éléments lumineux et sombres de la composition. Cette estampe provient de la collection de Karl Eduard von Liphart et a été achetée par Eugène en 1876 pour 487 francs et 50 centimes, une somme notable. Elle montre la maîtrise artistique de Rembrandt et son habileté à capturer la vie quotidienne avec réalisme.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). Clément de Jonghe, 1651. Eau-forte, pointe sèche et burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Clément de Jonghe (1624-1625), célèbre marchand d'estampes d'Amsterdam, possédait une importante collection de gravures et de cuivres de l'artiste. L'inventaire de sa succession en 1679 a permis d'identifier des œuvres précieuses. Cette estampe existe en quatre états et la collection Dutuit possède un exemplaire de chaque, ce qui est exceptionnel. Ce portrait de De Jonghe, de face, observant le spectateur, s'inspire d'une estampe d'après Van Dyck, représentant l'artiste Maaren Ryckaert, que Rembrandt possédait. Les quatre états comportent des marques de collection. Celui-ci a été acheté à la vente du comte Harrach, en 1867, par son homme de confiance, Clément, pour la somme de 240 francs.
Scénographie
 
Jacobus Neffs (1604-1667) d’après Anton van Dyck (1599-1641). Le Peintre Martin Ryckaert, 1636. Burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). Le Vendeur de mort-aux-rats,  1632. Eau-forte sur papier européen, 3e état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). Gueux assis sur une motte de terre, 1630. Eau-forte sur papier, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). L'homme qui pisse, 1631. Eau-forte sur papier européen, 2e état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). La Pièce aux cent florins, 1649. Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier Japon. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

La Pièce aux cent florins doit son nom au fait que Rembrandt l’échangea contre plusieurs pièces du graveur Marc-Antoine Raimondi, pour une valeur totale de cent florins. L’achat par Dutuit de cette eau-forte rare au prix exceptionnel de 27 500 francs a été pour lui source d’une grande fierté. Seules huit épreuves de ce premier état ont été conservées. Son exemplaire, remarquable par ses grandes marges, a une origine prestigieuse, ayant appartenu à Jan Zoomer, ami de Rembrandt, et à Vivant Denon, ancien directeur du Louvre. Cette estampe, dont le sujet est Jésus guérissant les malades, est un chef-d’œuvre admiré pour son utilisation experte du clair-obscur, décrit ainsi par Eugène Dutuit : «L’une des parties, très travaillée, est presque dans l’ombre, et l’autre, presque sans travaux, resplendit de la plus vive lumière».
Lucas de Leyde (v. 1494-1533). Le Golgotha dit aussi Le Grand Calvaire, 1517. Burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Dans ses collections, Rembrandt possédait des gravures sur bois et sur cuivre de Lucas de Leyde, dont Le Grand Calvaire. Son biographe, Joachim von Sandrart et son élève, Samuel van Hoogstraten, nous apprennent que le maître avait acheté 14 estampes de Lucas de Leyde en ventes publiques pour 1400 florins, parmi lesquelles celle-ci. Bien que les estampes de Rembrandt et de Lucas de Leyde présentent des similitudes dans la composition des groupes de figures, il existe une différence significative entre les deux artistes : Rembrandt simplifie, tandis que Lucas de Leyde est connu pour son souci du détail. La Pièce aux cents florins témoigne de l'intérêt de Rembrandt pour les maîtres allemands et néerlandais du XVIIe siècle, tout en reflétant sa propre synthèse artistique.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). Les Trois Croix, 1653. Pointe sèche et burin sur papier filigrané, 3e état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Cette estampe, réalisée presque entièrement à la pointe sèche, représente La Crucifixion du Christ. Rembrandt dépeint le moment où les ténèbres couvrent la Terre, l'instant où l'éclipse commence et crée un effet de demi-jour des plus saisissant. Si le procédé de la pointe sèche donne une liberté et une rapidité d'exécution, il ne permet pas de très grands tirages. Les impressions au-delà de cinquante épreuves entraînent un écrasement des tailles et nécessite de les recreuser sur la plaque de cuivre. Eugène Dutuit considérait ce troisième état comme l'un des plus rares, marquant l'expression la plus aboutie de l'estampe. La planche a connu cinq versions, avec des modifications notables entre les trois premiers et le quatrième état.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). Les Trois Arbres, 1643. Eau-forte et pointe sèche sur papier filigrané, état unique. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). La Chaumière et la Grange à foin, 1641.
Eau-forte sur papier filigrané, état unique. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Pour Eugène Dutuit, ce grand paysage est l'un des plus remarquables du maître. Au centre, se dresse une chaumière, avec sa grange à foin qui sert de remise pour un chariot. Devant, deux jeunes pêcheurs absorbés par leur activité ajoutent une touche de vie à cette scène paisible. Une paysanne suivie d'un chien passe sur un petit pont, avec, en arrière-plan, l'ancien manoir Kostverloren, sujet de prédilection des artistes. Le lointain offre une vue panoramique d'Amsterdam, avec ses moulins et ses tours imposantes.
 
Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669). Jupiter et Antiope. La grande planche, 1659. Eau-forte, burin et pointe sèche sur papier Japon, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
 
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit). Le Coquillage, 1650. Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier filigrané. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.


GOYA
« des rêves obscurs »

Scénographie

Eugène Dutuit était fasciné par les techniques de gravure à l’eau-forte et à l’aquatinte utilisées par Francisco de Goya (1746-1828). C’est pourquoi la série sur la tauromachie, qui réunit ces deux techniques, constitue l’essentiel de son fonds. Sur les soixante-quatre estampes qu’il possédait, soixante et une appartenaient à cette suite. Dutuit était fier de posséder des tirages faits par Goya lui-même, ainsi que des épreuves d’essai qui différaient par la coloration de l’aquatinte. Elles lui permettaient de suivre les essais de Goya pour obtenir l’effet souhaité et pénétrer le processus créatif de l’artiste. Dans son Manuel de l’amateur d’estampes, Dutuit décrit trente-trois estampes de la série, dont de très rares épreuves d’eau-forte pure, des épreuves d’essai, des variantes et huit pièces inédites. L’amateur n’a pas cherché à réunir l’ensemble de l’œuvre gravé de Goya, mais il possédait des estampes rares, comme Les Ménines d’après Vélasquez et des pièces uniquement tirées par Goya lui-même, tel que l’album des Caprices.


 
Texte du panneau didactique.
 
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Le Garroté, 1778-1785. Eau-forte et brunissoir, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

En 1869, Eugène Dutuit achète à la vente Lefort une première épreuve avant la lettre du Garroté de Goya, exceptionnelle pour la grandeur de ses marges, qu'il expose la même année au palais de l'Industrie. Cette exposition a pour objectif de retracer l'histoire de la gravure en montrant ses progrès et sa décadence. Il est possible que Dutuit ait acquis cette seconde estampe de Goya spécifiquement pour l'événement. Goya aborde à nouveau ce thème dans Les Désastres de la guerre (1810-1815).
 
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Tous tomberont. Série Les Caprices, planche 19, 1796-1799. Eau-forte, aquatinte et lavis d'aquatinte. Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999.

Selon un texte manuscrit transcrit par Paul Lefort (1829-1904), plusieurs planches des Caprices ont été gravées spécifiquement pour la duchesse d'Albe, amie de Goya. «La planche XIX, par exemple, où l'on voit des femmes occupées à emplumer de petits personnages, qui aussitôt s'élèvent en l'air et retombent un moment après, que peut-elle signifier autre chose que cette longue suite d'amants qui, depuis ou même avant don Juan Pignatelli jusqu'au prince de la Paix, se sont succédé auprès de la reine, et rendus plus ou moins ridicules par le scandale de leur sottise et de leur vanité ?»
 
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Ils s'envolèrent. Série Les Caprices, planche 61, 1796-1799. Eau-forte, pointe sèche et aquatinte. Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999.

Une jeune femme élégante en tenue de Maja plane dans les airs, portée par un groupe de figures lui servant de faire-valoir. Sur sa tête, des ailes de papillon symbolisent l'inconstance féminine. Le peintre ironise : «Il y a des têtes tellement pleines de gaz inflammable qu'elles n'ont besoin ni de ballons ni de sorcières pour voler.» Certains y voient une référence à la duchesse d’Albe, amie de Goya, admirée par trois toreros célèbres la portant en piédestal, tandis que d'autres y voient une allusion à la destinée tragique des courtisanes.

est un peintre, dessinateur et graveur espagnol. Il a étudié à l'académie de dessin de Saint-Louis, à Saragosse, avant de travailler sur des cartons de tapisserie pour les princes des Asturies à Madrid. En 1780, il est élu à l'académie de San Fernando et nommé peintre du roi d'Espagne six ans plus tard. Sa position à la cour se renforce avec l'arrivée de Charles IV, qui le nomme peintre de la Chambre en 1787. Goya tombe malade et devient sourd en 1793. L'artiste cherche à instruire la société de son temps à travers ses peintures comme ses estampes, dénonçant sans concession les vices de la nature humaine. Adepte de l'eau-forte, il utilise l'aquatinte pour donner plus de profondeur et de nuance à ses estampes, à l'instar de ses séries sur Les Caprices ou La Tauromachie.

 
Texte du panneau didactique.
 
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Les Ménines, 1778-1785. Eau-forte, pointe sèche et retouches à la pierre noire, 1er état. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Les œuvres de Diego Vélasquez (1599-1660) ont eu une influence décisive sur le travail de Goya. En 1778, celui-ci réalise dix-sept eaux-fortes d'après les tableaux de son prédécesseur, dans le but de les diffuser largement par la gravure. Il apprend alors à maîtriser l'eau-forte et l'aquatinte pour ajouter des effets picturaux à ses estampes. L'aquatinte, destinée à assombrir l'arrière-plan des Ménines, encore mal maîtrisée par Goya, altérera l'effet de la composition. L'épreuve avant la lettre, achetée par Eugène Dutuit en 1845 à la vente du peintre Giandomenico Tiepolo, est l'un des rares premiers états à l'eau-forte avant l'ajout de l'aquatinte. L'artiste a également apporté des retouches à la pierre noire sur les visages des personnages et la tête du chien.
 
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Autre de ses folies dans la même arène. Série La Tauromachie, planche 19, 1815-1816. Eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier vergé filigrané « SERRA ». Traits d'encadrement à la pierre noire en bas et sur les côtés. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Cette série de trente-trois estampes nous transporte dans l'univers cruel de la corrida. Organisée sous la forme de véritables spectacles à Saragosse, la tauromachie a vu des matadors de renom, dont le célèbre Martincho, se distinguer en prenant des risques sans précédent pour provoquer le taureau. Cette scène représente l'un de ces exploits : assis sur une table, les fers aux pieds, il devait sauter par-dessus les cornes de l'animal. Goya utilise habilement la lumière et l'ombre pour créer une atmosphère dramatique et restituer la tension palpable de cette scène.
 
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Les Banderilles de feu. Série La Tauromachie, planche 31, 1815. Eau-forte, pointe sèche, burin, aquatinte et lavis d'aquatinte sur papier vergé. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.

Dans Les Banderilles de feu, l'effet conjugué de l'aquatinte et du lavis restitue avec exactitude la fumée qui s'échappe des banderilles venant de toucher le taureau. Celles surplombant la tête du toréador sont gravées à la pointe sèche, créant un contraste astucieux avec l'aquatinte qui met leur présence en valeur. Goya simplifie ses compositions en les réduisant à l'essentiel, insistant sur la tension physique et psychologique des toreros et du taureau représentés.
Scénographie
 
Francisco de Goya y Lucientes. Disparate de cheval rapteur, série Les Disparates, planche 10, 1816-1823. Eau-forte, pointe sèche et aquatinte sur vélin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Francisco de Goya y Lucientes. Manière de voler, série Les Disparates, planche 13, 1816-1823. Eau-forte et aquatinte sur vélin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Les Disparates de Goya fascinent les artistes par leur fraîcheur et leur force d’invention. La revue L’Art de 1877 publie quatre estampes de Goya qu’elle considère comme inédites, parmi lesquelles figure Manière de voler. Cette estampe témoigne de la profondeur de la pensée de Goya, ainsi que de sa capacité à explorer de nouveaux moyens techniques. On pense ici aux travaux de Léonard de Vinci, en quête de machines permettant à l’homme de dominer les airs.
 
Francisco de Goya y Lucientes. Disparate de frayeur, série Les Disparates, planche 2, 1816-1823. Eau-forte, pointe sèche et aquatinte brunie sur vélin. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Francisco de Goya y Lucientes (1746-1828). Disparate de niais. Série Les Disparates, planche 4, 1816-1823. 1re édition, 1864. Eau-forte et aquatinte brunie sur vélin. Petit Palais, achat sur les arrérages du legs Dutuit, 1999.

Composée de vingt-deux planches inachevées, cette suite est restée méconnue jusqu'à sa réapparition en 1854, à la mort de Javier, le fils de Goya. Éditée au XIXe siècle sous le titre Proverbes, la série témoigne des années noires de la restauration de Ferdinand VII et donne à voir le meilleur comme le pire de l'humanité, mélangeant réalité et fantastique. Les visions sombres des Disparates complètent le fonds consacré à Goya, où l'artiste, en observateur, tente de rendre le monstrueux vraisemblable.


SECTION 2 - LE MUSÉE DE L'ESTAMPE MODERNE





Scénographie

Les frères Dutuit ont assuré la place de l’estampe ancienne au Petit Palais dès 1902, mais pas celle de la création contemporaine. C’est Henry Lapauze (1867-1925), conservateur puis directeur du Petit Palais, qui s’en fait le champion. Le 27 juin 1908, il inaugure le «musée de l’Estampe moderne». Ce nouvel espace est aménagé au rez-de-chaussée du Petit Palais, le long de l’avenue des Champs-Élysées, face à la galerie du Cours-la-Reine qui accueille les estampes de la collection Dutuit. Que cette entreprise soit initiée par un musée révèle un fort regain d’intérêt pour l’estampe contemporaine à la fin du XIXe siècle. Quelques jours après l’ouverture, plusieurs revues annoncent que sur les 3000 estampes modernes réunies, pas moins de 1500 sont exposées. La constitution en un temps record d’un tel ensemble est un véritable tour de force. C’est une collecte qui en est à l’origine. Lapauze sollicite en effet les artistes eux-mêmes, leurs familles et amis, les collectionneurs ainsi que les marchands et éditeurs d’estampes. La démarche est une réussite. Grâce à la force de conviction de Lapauze et à la bonne volonté de tous, une somme considérable d’estampes variées, d’artistes célèbres ou depuis oubliés, est réunie. Ce fonds s’enrichit d’un lot d’estampes éditées par la Ville de Paris, puis par des libéralités et des achats ultérieurs. Il constitue encore aujourd’hui le noyau des collections d’estampes modernes du Petit Palais.


 
Texte du panneau didactique.
 
Félix Bracquemond (1833-1914). Edmond de Goncourt, 1881. Eau-forte sur papier, 2e état. Petit Palais, don Félix Bracquemond, avril 1908.
Félix Bracquemond (1833-1914). Edmond de Goncourt, 1881. De gauche à droite :
1. Eau-forte sur papier Japon, 1er état.
2. Eau-forte sur papier, 2e état.
3. Eau-forte, pointe sèche et roulette sur papier Japon, 3e état.
4. Eau-forte, pointe sèche, roulette et brunissoir sur papier Japon, 6e état.

Petit Palais, don Félix Bracquemond, avril 1908.

Cofondateur de la Société des aquafortistes, Félix Bracquemond est l'un des principaux acteurs de la renaissance de l'eau-forte dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le premier état de son portrait d'Edmond de Goncourt est reproduit par Henry Lapauze dans Le Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris (1910) pour en illustrer la partie consacrée au musée de l'Estampe moderne. Ce choix souligne la volonté de Lapauze d'y présenter des états successifs d'une même estampe afin de montrer le long travail des graveurs. Au fil de quatre états de ce portrait, donnés par Bracquemond au musée, émerge la figure de l'écrivain, dans son cabinet de travail et entouré d'objets de sa collection: un bronze japonais, un bas-relief de Clodion et un portefeuille d'estampes de son frère, Jules de Goncourt.


DON D'UN COLLECTIONNEUR
La galerie des portraits d'Henri Béraldi

Scénographie

Henri Béraldi (1849-1931) est le premier donateur du musée de l’Estampe moderne auquel Henry Lapauze rend hommage. Historien de la gravure, auteur notamment de l’ouvrage de référence Les Graveurs du XIXe siècle. Guide de l’amateur d’estampes modernes (1885-1892) et l’un des plus grands collectionneurs d’estampes et bibliophiles de son temps, il est en effet une personnalité remarquable.
Béraldi offre cent portraits de grands noms du XIXe siècle pour le musée de l’Estampe moderne. Cet ensemble considérable est mis en avant au centre de la grande salle, alors réservée au musée de l’Estampe moderne. Il y constitue une petite galerie de personnalités, particulièrement appréciée des visiteurs qui se plaisent à y reconnaître d’illustres visages. Les œuvres ainsi réunies sont pour l’essentiel des estampes d’interprétation comprenant quelques gravures d’après de très célèbres portraits peints par des grands noms de l’histoire de l’art, tels Maurice-Quentin de La Tour et Jean-Auguste-Dominique Ingres. S’y ajoutent de nombreuses gravures d’après des portraits de grands artistes du XIXe siècle, essentiellement français, qui offrent un panorama artistique partiel de cette période.

 
Texte du panneau didactique.
 
Charles-Albert Waltner (1846-1925) d’après John Everett Millais (1829-1896). Portrait de John Everett Millais, entre 1881 et 1885. Eau-forte sur papier Chine appliqué. Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908.
 
Louis-Pierre Henriquel-Dupont (1797-1892) d’après Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867). Portrait de Monsieur Bertin, 1844. Burin sur papier Chine appliqué. Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908.

Parmi les cent portraits qu'Henri Béraldi sélectionne pour le musée de l'Estampe moderne, dix-neuf sont des estampes d'après des peintures où des dessins de Jean-Auguste-Dominique Ingres. Outre l'importance de cette figure pour l'histoire de l'art, l'ampleur de ce sous-ensemble pourrait tenir à la prédilection qu'avait pour lui Henry Lapauze, natif, comme Ingres, de Montauban. Le conservateur du Petit Palais consacre en 1911 une monographie au peintre qu'il collectionne personnellement par ailleurs.>
 
Luigi Calamatta (1801-1869) d’après Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867). Portrait d'Ingres, 1839. Gravure à la roulette sur papier Chine appliqué. Petit Palais, don Henri Béraldi, avril 1908.

L'autoportrait d'Ingres interprété par Luigi Calamatta témoigne des liens forts qui unissaient le peintre et le graveur. Fidèle collaborateur de Jean-Auguste-Dominique Ingres, Calamatta s'illustre comme virtuose buriniste d'interprétation. À propos de ses gravures reproduisant des dessins d'Ingres, Béraldi parle de «portraits en fac-similé» traduisant le plus fidèlement possible ces œuvres graphiques. Le velouté du trait de crayon est ainsi restitué par l'emploi de la roulette.<


DONS D'ARTISTES
Paris 1900

Scénographie

La majorité des dons pour le musée de l’Estampe moderne consiste en de petits lots, voire en des feuilles isolées. Ces « dons personnels », comme les appelle Henry Lapauze, émanent souvent d’artistes, d’amis d’artistes, de veuves ou autres ayants droit. Ils témoignent de l’intérêt de ceux-ci pour un musée qui consacre l’estampe contemporaine en lui accordant un espace d’exposition conséquent. Y placer une ou plusieurs œuvres est donc un moyen de se faire connaître et de construire sa postérité.
Dépendants de la bonne volonté des participants, ces dons dessinent un visage nécessairement incomplet de l’estampe contemporaine. Pour autant, de nombreux noms importants y figurent : Edgar Chahine, Jules Chéret, André Devambez et Théophile Steinlen donnent eux-mêmes, Félix Buhot entre dans les collections grâce à sa veuve Henrietta Johnston, Henri de Toulouse-Lautrec est présenté grâce au don de son ami, le peintre et graveur Adolphe Albert.
Ces artistes sont chacun à leur manière les chroniqueurs d’un Paris en pleine métamorphose, aussi effervescent et fantasmatique qu’inégalitaire. La capitale, qui regorge de lieux de divertissement, devient elle-même un spectacle à part entière, où Parisiennes et Parisiens – vedettes, trotteuses, terrassiers, chiffonnières et laissés-pour-compte – tiennent les premiers rôles.


 
Texte du panneau didactique.
 
Théophile Alexandre Steinlen. Vagabond sous la neige, 1902-1903. Eau-forte sur zinc tirée sur papier vergé. Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Henri de Toulouse-Lautrec. Répétition générale aux Folies Bergère (Emilienne d’Alençon et Mariquita), 1893. Lithographie au crayon, pinceau et crachis tiré en noir. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Jouant des techniques offertes par la lithographie, Henri de Toulouse-Lautrec offre une image pleine de vie d’une répétition aux Folies Bergère. D’amples traits de crayon accompagnent l’élan des corps, quelques coups de pinceau esquissent les cordes qui tiennent le fond de scène de la mythique salle de spectacle. De la pénombre, restituée par un dense crachis d’encre, se détachent les visages de la blonde Mariquita, directrice du corps de ballet des Folies Bergère, et de la brune Emilienne d’Alençon.
 
Henri de Toulouse-Lautrec. Nicolle à la Gaieté-Rochechouart, 1893. Lithographie au crayon, au pinceau et au crachis, tirée en noir sur papier vélin. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Henri de Toulouse-Lautrec. Une redoute au Moulin Rouge, 1893. Lithographie au crayon et au crachis tirée en noir. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Henri de Toulouse-Lautrec a représenté à plusieurs reprises le Moulin-Rouge, mythique salle de spectacle où les bourgeois parisiens rejoignaient les classes populaires pour vivre un morceau de bohème montmartroise. Il montre ici une redoute, chaotique cortège de silhouettes extravagantes et de trognes grimaçantes, où l’on reconnaît quelques figures célèbres chères à l’artiste : Valentin le Désossé en tête du groupe, la danseuse et clownesse Cha-U-Kao en costume noir, ou encore la Goulue chevauchant un âne.
 
Edgar Chahine. Le Tombereau, 1905. Eau forte, vernis mou, pointe sèche et aquatinte sur papier japon. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Edgard Chahine, artiste français d’origine arménienne, offre trente-huit estampes au Petit Palais pour le musée de l’Estampe moderne. Cet ensemble conséquent réunit des représentations de parisiennes élégantes, d’attractions de rue ou encore de vues de la capitale en pleine métamorphose – ici, des travaux aux pieds du pont Louis-Philippe. La ville en chantier devient elle-même un spectacle rythmé par les clameurs de la foule, les coups de pioche des terrassiers et les passages des tombereaux charriant terre et pavés.
Edgar Chahine. Les Poids, 1902. Eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur japon. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Edgar Chahine fait entrer le spectateur dans un cercle de badauds qui entoure un spectacle de rue : une femme forte soulevant des haltères. L’arrière-plan urbain, traité à la pointe sèche, se fond dans la lumière, tandis que l’assistance compacte est restituée à l’eau-forte et rendue plus dense par un essuyage irrégulier de la matrice. Certains points fortement essuyés et sans aquatinte focalisent l’attention sur d’autres membres de la troupe, comme un Pierrot au tambour et une acrobate en tunique claire.
 
Félix Buhot (1847-1898). Une matinée d'hiver au quai de l'Hôtel-Dieu, 1876. Eau-forte et point sèche, aquatinte sur papier vélin. Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), 1908.
 
Félix Buhot (1847-1898). La Place Pigalle, 1878. Eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier. Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), 1908.
Félix Buhot (1847-1898). L’Hiver à Paris, 1879. Eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette sur papier.
Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), avril 1908.


Félix Buhot saisit dans les rues de la capitale le spectacle du quotidien. Ses remarques marginales très travaillées, qu'il appelle «marges symphoniques», sont parfaitement adaptées à cet exercice. Ici, ces aperçus complémentaires gravés autour du motif central de l'estampe, tantôt tragiques (des chevaux gisant sur la chaussée, morts de froid), tantôt amusants (de minuscules silhouettes de patineurs sur la Seine gelée), permettent à l'artiste de restituer plusieurs facettes de Paris en hiver.
 
Cartel pour le jeune public (relatif à la gravure ci-dessus).
 
Jules Chéret (1836-1932). Carnaval. Éventail ou abat-jour, 1889. Lithographie en couleurs sur papier. Petit Palais, don Jules Chéret, 1908.

Cette lithographie que Jules Chéret offre au Petit Palais est imprimée en deux couleurs, évoquant une sanguine rehaussée de blanc, alors qu'on le connaît davantage pour ses grandes affiches aux teintes vives. Chéret y voit peut-être un aspect de sa production plus approprié pour un musée des Beaux-Arts. Un dynamisme typique de son art se dégage de cette farandole joyeuse et bondissante où se mêlent les pierrots, polichinelles et danseuses-colombines, déployés en arc de cercle pour ce projet d'éventail.
 
Lithographie

L'artiste dessine à l'encre ou au crayon gras sur une pierre calcaire poreuse préalablement grainée. Il traite la pierre avec une préparation acide pour la rendre perméable à l'eau et y fixer le gras du dessin. Après avoir ôté le dessin à l'essence, il humidifie la pierre avec une éponge et applique l'encre au rouleau. Celle-ci, repoussée par l'eau, n'adhère qu'à l'empreinte grasse du dessin. L’impression se fait avec une presse lithographique. L'estampe présente un aspect légèrement grainé, comme un dessin au crayon.
Explications sur la technique de la lithographie
 
Texte du panneau didactique.
Outils, produits et matériaux utilisés pour la lithographie.


LES COMMANDES DE LA VILLE DE PARIS
Le processus créatif

Scénographie

Les estampes éditées par la Ville de Paris avaient pour objectif d’encourager et de soutenir les graveurs contemporains. Elles interprètent des œuvres appartenant à la Ville, par exemple des décors peints de l’Hôtel de Ville ou des mairies d’arrondissement. En 1912, soit quatre ans après l’inauguration du musée de l’Estampe moderne, le Petit Palais reçoit en dépôt le stock de ces estampes. Il conserve également les matrices correspondantes afin de les faire retirer si besoin. Dès lors, c’est par son intermédiaire que ces estampes sont données ou vendues au profit de la direction des Beaux-Arts et des Musées de la Ville de Paris. Elles sont surtout réservées à des cadeaux et à des opérations caritatives.
Le Petit Palais intègre certaines de ces œuvres à la présentation du musée de l’Estampe moderne. Si les matrices elles-mêmes ne sont pas montrées à côté des gravures correspondantes, Henry Lapauze accorde une grande attention à la démonstration du complexe processus créatif de l’estampe. Des tirages d’état ont ainsi été présentés dès les débuts de ce musée, dans une démarche pédagogique. Aujourd’hui, les matrices aussi peuvent être montrées afin de retracer les étapes de la réalisation de l’estampe, du dessin préparatoire que le musée conserve parfois, jusqu’au tirage définitif.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jules Jacquet. Le Triomphe de l'art d'après Bonnat, vers 1898. Burin. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Cette gravure d’interprétation d’après un décor de l’Hôtel de Ville, Le Triomphe de l’Art de Léon Bonnat (1894), qui orne le plafond du salon des Arts, est typique des sujets choisis par la Ville de Paris pour son programme d’édition. Le Petit Palais conserve de ce projet de Jules Jacquet son dessin préparatoire d’après le décor peint de Bonnat, sa matrice en cuivre gravée au burin, couverte d’une couche de bitume protectrice, et plusieurs tirages, dont un donné par l’artiste.
 
Cartel pour le jeune public.
 
Jules Jacquet (1841-1913) d’après Léon Bonnat (1833-1922). Le Triomphe de l'Art, 1898. Matrice, plaque de cuivre vernie. Petit Palais, achat après commande, 1898.
 
Burin

Le graveur utilise une tige d'acier taillée en biseau, de section carrée ou losangée. Emmanché dans une poire de buis tenue dans le creux de la main, le burin est poussé vers l'avant sur la plaque de cuivre, ainsi creusée d'un trait net. Le buriniste maintient sa plaque sur un coussin de cuir et la tourne pour former des courbes. Pour corriger une taille (trait), il utilise un brunissoir. La plaque est encrée à l'aide d'un tampon de tissu qui fait pénétrer l'encre dans les tailles (traits) puis essuyée à l'aide d'un chiffon de tarlatane (mousseline) qui permet d'en nettoyer les surfaces, avant d'être imprimée sous la presse à taille-douce.
Explications sur la technique de la gravure au burin.
 
Texte du panneau didactique.
Outils, produits et matériaux utilisés pour la gravure au burin.


DON D'UN MARCHAND ET ÉDITEUR
Georges Petit et l'estampe en couleurs

Scénographie

Henri Lapauze s’engage d’emblée à valoriser l’estampe en couleurs au sein du musée de l’Estampe moderne. Il défend ainsi l’intérêt d’œuvres que l’on associait encore facilement à une production commerciale et non artistique. Il est soutenu en cela par un autre profil de donateur, en la personne du marchand et éditeur Georges Petit (1856-1920). Ce dernier développe dans ses catalogues d’éditions un véritable plaidoyer pour la couleur. Il y reprend l’argumentaire défendant l’estampe originale, conçue et exécutée par le même artiste, imprimée en un nombre de tirage limité, signée, parfois rehaussée à la main : autant d’éléments qui lui confèrent une rareté et qui l’affirment comme œuvre d’art à part entière.
Les paysages sont très bien représentés dans le don des Galeries Georges Petit pour le musée de l’Estampe moderne. Ils occupent une place importante dans le catalogue de cet éditeur, présentant un intérêt autant artistique que commercial. Ces sujets au fort potentiel décoratif sont immédiatement séduisants et démontrent merveilleusement la virtuosité des artistes et des imprimeurs qui les accompagnent. En une forme d’imitation sinon d’émulation, ces eaux-fortes et aquatintes prennent des allures d’huiles éclatantes, d’aquarelles en fin lavis ou de pastels pulvérulents.

 
Texte du panneau didactique.
 
Frits Thaulow. Hiver en Norvège, 2e moitié du XIXe siècle. Eau forte en couleurs sur papier vélin. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Le peintre norvégien Frits Thaulow s’est fait connaître pour ses paysages de bords de mer et de rivière. Influencé par l’impressionnisme, ami notamment de Claude Monet, il peint avec virtuosité les effets de l’eau et son interaction lumineuse et vaporeuse avec l’air. Des reflets ondoyants et une brume légère animent cette vue d’une rivière partiellement couverte de glace aux abords d’un village enneigé. Une unique matrice est encrée à la poupée en plusieurs couleurs, conférant au paysage une atmosphère brouillée par le froid.
 
Arsène Chabanian. Pêcheuses de crevettes, XIXe-XXe siècle. Eau forte en couleurs sur papier. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Arsène Chabanian, artiste français d’origine arménienne, est apprécié pour ses talents de peintre et pastelliste de paysages, surtout de marines. Il exploite aussi ce genre dans son travail gravé qui reprend souvent les mêmes motifs, à l’image de ces pêcheuses de crevette. Ses œuvres révèlent une recherche d’effets atmosphériques forts, ciels gris nacrés de couleurs délicates ou rougeoyants couchers de soleil, qui éclipsent souvent les figures, et sont obtenus grâce à de subtils jeux d’aquatinte et d’encrage.
 
Arsène Chabanian (1864-1949). Le Coup de filet sur la plage ou Les Pêcheurs, entre 1900 et 1910. Eau-forte en couleurs sur papier. Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908.
 
Alphonse Lafitte (1863-?). Barques au soleil couchant, entre 1900 et 1910. Eau-forte et aquatinte en couleurs sur papier. Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908.
 
Johannes-Martin Grimelund. Rue de village sous la neige au soleil couchant, 1er quart du XXe siècle. Eau forte en couleurs sur papier vélin. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

Peintre et graveur de paysages norvégien, Johannes Grimelund s’installe à Paris en 1875. Ce paysage enneigé reprend sa peinture Village de pêcheur au crépuscule, Norvège (1904, château-musée de Nemours). Les couleurs flamboyantes laissent éclater la splendeur du coucher de soleil. L’artiste emploie la technique d’encrage à la poupée, mêlant les encres de couleur sur la même matrice. L’estampe prend l’aspect d’un pastel, poudreux et fondu, qui s’accorde bien avec le cotonneux du paysage neigeux.
 
Louis Abel-Truchet (1857-1918). Le Grand Canal à Venise près du Rialto,  entre 1900 et 1910. Eau-forte en couleurs sur papier. Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908.

Le peintre et graveur Louis-Abel Truchet se spécialise dans les représentations de scènes de la vie moderne et de paysages, notamment de villes italiennes. Georges Petit en édite, entre autres, deux vues de Venise. Celle-ci représente le Grand Canal, ses gondoles et le pont du Rialto à l'arrière-plan. L'œuvre frappe par son imitation de la peinture, particulièrement visible dans le rendu des ombres des poteaux d'amarrage: l'aquatinte posée au pinceau reprend la touche impressionniste adoptée par le peintre.
 
Henri Jourdain (1864-1931). Le Chemin par temps de pluie ou Sous l’averse, entre 1900 et 1910. Vernis mou, eau-forte et aquatinte en couleurs sur papier. Petit Palais, don Galeries Georges Petit, avril 1908.
 
Eau-forte en couleurs

L'artiste grave sa matrice en cuivre à l'eau-forte et à l'aquatinte, une technique dérivée de l'eau-forte qui permet d'obtenir des nuances plus ou moins foncées. L'encrage en plusieurs couleurs est effectué «à la poupée»: on juxtapose les différentes encres colorées sur la plaque à l'aide de tampons de mousseline ou avec le doigt entouré d'un linge. L'essuyage à la tarlatane (mousseline) pour retirer l'encre des surfaces est très délicat, car il s'agit de ne pas mêler les couleurs. Le tirage se fait en un seul passage sous la presse à taille-douce. La répétition de cette minutieuse opération à chaque impression rend le tirage plus long.
Explications sur la technique de l'eau-forte en couleurs.
 
Texte du panneau didactique.
Outils, produits et matériaux utilisés pour l'eau-forte en couleurs.


SECTION 3 – NOUVELLES ACQUISITIONS





Scénographie

Si le noyau des collections d’estampes du Petit Palais s’est formé dans les sept ans suivant l’ouverture du musée, autour du legs de la collection des frères Auguste et Eugène Dutuit puis de la collecte instiguée pour la création du musée de l’Estampe moderne, il s’est continuellement enrichi depuis. Le fonds s’accroît en effet régulièrement, grâce à de nouvelles généreuses libéralités et par des achats qui visent à le compléter. Entre 2013 et 2023, ce sont 1 289 estampes qui ont rejoint le Petit Palais – dont 1 136 issues du fonds d’atelier de Pierre Roche (1855-1922), offert par la petite-fille par alliance et l’arrière-petite-fille de l’artiste en 2015. La diversité des œuvres ainsi acquises accompagne celle du fonds déjà existant : techniques variées, artistes reconnus ou redécouvertes … Voici un infime aperçu de ces centaines de belles feuilles, par ailleurs consultables en ligne sur le portail des collections de Paris Musées et accessibles aux chercheurs sur rendez-vous.


 
Texte du panneau didactique.
 
Anders Zorn. Albert Besnard et son modèle, 1896. Eau-forte sur papier. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

La gravure d’Albert Besnard a été achetée presque immédiatement après celle du peintre et graveur suédois Anders Zorn afin de reconstituer la paire formée par ces deux œuvres. En effet, Zorn représente à l’eau-forte son ami en train de graver sa propre eau-forte, La Femme au vase. Dans une mise en abyme amusante, on voit ainsi l’autre artiste assis, de dos, dans un atelier, devant le modèle qu’il est en train de représenter : une femme à la toilette, aux cheveux lâchés et au buste dénudé, se tient devant une vasque, un vase entre les mains.
 
Odilon Redon. La cellule auriculaire, lithographie publiée dans «l’Estampe originale» - Deuxième livraison (avril-juin 1893), 1893. Lithographie en manière noire sur papier. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
 
Auguste Renoir. Fillette à l’orange, 1895. Contre-épreuve de pastel sur papier. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
Scénographie
 
Henri Rachou (1856-1944). Panneau décoratif, pour la deuxième livraison de L’Estampe originale, 1893. Lithographie en couleurs sur papier. Petit Palais, don Nicole Massignon, 2015.
 
Paul-Elie Ranson (1861-1909). Tigre dans les jungles, pour la première livraison de L’Estampe originale, 1893. Lithographie en couleurs sur papier vélin. Petit Palais, don Nicole Massignon, 2015.
 
Félix Bracquemond (1833-1914). Planche d'essais de motifs pour le service Rousseau: feuillages, bambous, coq, perdrix, raie et fleur, 1866. Eau-forte rehaussée à l'aquarelle sur papier. Petit Palais, achat galerie L'Horizon chimérique, 2020.

Le «service Rousseau», édité par la manufacture de Creil-Montereau de 1866 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, est le plus grand succès de la céramique japoniste. Les motifs qui l'ornent ont été imaginés et gravés à l'eau-forte par Bracquemond. Ces deux feuilles sont des documents de travail destinés à la fabrication des pièces du service. Elles n'ont probablement pas été mises en couleurs par Bracquemond lui-même: il s'agit davantage d'essais de la manufacture pour la mise au point des modèles qui étaient  transférés sur la faïence. Ces œuvres rares révèlent le processus de fabrication de ce célèbre service dont le Petit Palais conserve un bel ensemble. Une sélection est présentée dans le parcours permanent du musée; on y retrouve quelques-uns des motifs de ces deux planches d'essai.
 
Henri de Toulouse-Lautrec. La lithographie, couverture pour la première année de «L’Estampe originale», 1893. Lithographie au crayon, pinceau et crachis tiré en noir. Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.

L’Estampe originale, luxueuse publication trimestrielle éditée par André Marty de 1893 à 1895, réunit des planches d’artistes divers. L’initiative promeut l’estampe originale, conçue et exécutée par le peintre-graveur qui la signe et la numérote, défendant son statut d’œuvre d’art. Toulouse-Lautrec conçoit la couverture du premier numéro comme une véritable mise en abyme de la lithographie en couleurs. Jane Avril, célèbre danseuse du Moulin-Rouge et modèle récurrent de l’artiste, examine une lithographie fraîchement tirée par le père Cotelle, l’imprimeur attitré de l’artiste, qui s’affaire derrière la grande presse.