Parcours en images de l'exposition

PASTELS
De Millet à Redon

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°572 du 14 juin 2023





Entrée de l'exposition. © Sophie Crépy.
Scénographie

Ni véritablement dessin, ni peinture, le pastel est une technique graphique à part unissant la ligne et la couleur. La vibration de la « fleur » des pigments formée à la surface du support offre un rapport direct à la matière et à la couleur pure qui stimule l’œil et en appelle aux sens.
L’art du pastel est multiforme, le trait se faisant ondulation, zébrure, strie, hachure, lorsque le pigment n’est pas concentré en aplat ou fondu par l’estompe. Sa souplesse d’utilisation le rend particulièrement apte à rendre les effets de matière ou le velouté de la peau et à créer des effets de trompe l’œil.
Triomphante au XVIIIe siècle avec Rosalba Carriera, Maurice Quentin de la Tour ou Chardin, qualifiés de «peintres au pastel», la technique passe de mode avant de connaître une véritable renaissance au milieu du XIXe siècle. Elle s’affranchit du portrait et s’étend à tous les sujets, comme le montre cette exposition de quatre-vingt-quinze œuvres parmi les plus importantes de la collection du musée d’Orsay.

 
Texte du panneau didactique.
 
Jean-Marie Faverjon (1823-1873). Autoportrait en trompe l'œil, vers 1868. Pastel, graphite, peinture dorée sur papier gouaché.

Cet autoportrait, saisissant de vérité, surgit d'un cadre fictif qui renforce l'effet de trompe-l'œil. Les doigts salis de pigments, Faverjon se représente montrant l'une de ses œuvres à sujet mythologique, suggérant peut-être par cette mise en abyme que le comble de l'art est l'illusion du réel.
Scénographie
 
Jean-François Millet. Le Bouquet de marguerites, vers 1871. Pastel sur papier beige et châssis entoilé. Musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi.

Millet est l’un des grands initiateurs du renouveau du pastel, qu’il utilise de manière graphique, sans chercher à imiter la peinture par le biais de l'estompe, qui consiste à «fondre» le pastel en l'étendant. Il joue ici sur la capacité du médium à créer l'illusion et à tromper l'œil, le rebord de la fenêtre accentuant l'impression d'entrer dans l'espace du pastel. Le visage souriant de sa fille Marguerite s'efface derrière l'éclatant bouquet, dont la vibrante intensité rappelle que le terme de «fleur de pastel» pour désigner les pigments affleurant à la surface du papier est bien choisi.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
Scénographie avec, entre autres, un ensemble de 12 nuanciers de pastels Henri Roché, 1900-1901. © Sophie Crépy.

La gamme de pastels s'étend considérablement entre 1850 et 1914, et la résistance des pigments à la lumière s'améliore. Le pharmacien Henri Roché, qui reprend la maison Macle (devenue la Maison du Pastel en 1879), est à la pointe de ces développements et collabore avec de nombreux artistes. Degas, Redon, Vuillard et Ker-Xavier Roussel sont notamment ses clients. Alors que moins de 50 couleurs étaient disponibles au XVIIIe siècle, elles passent d'environ 500 à 1000 entre 1880 et 1914.
LE PASTEL

Le pastel se présente sous forme de bâtonnets composés de pigments mélangés à une charge blanche comme de l'argile ou du kaolin, et à un liant, généralement de la gomme arabique, qui permet d'amalgamer cette poudre de couleur. Le type de liant utilisé et sa quantité déterminent le degré de dureté du pastel. Les pigments, d’origine minérale, végétale ou synthétique, sont à quelques exceptions près les mêmes qu'en peinture.
Le pastel est une technique dite «propre» ne nécessitant ni préparation, ni temps de séchage. Léonard de Vinci, probablement initié par le français Jean Perréal en 1499, est l'un des premiers à utiliser ce «mode de colorier à sec».

Ce médium, fragile dans le temps, pose des problèmes de conservation: certains pigments se dégradent à la lumière, il est sujet aux moisissures, et la poussière est son ennemi. Très sensible aux vibrations, le moindre choc, la moindre éraflure, peut endommager la «fleur du pastel» Il doit donc être protégé par un verre, et exposé à une lumière réduite.
 
Texte du panneau didactique.
 
Boîte de 80 pastels demi-durs Henri Roché, fin XIXe-début XXe.
 
Échantillons de pigments assemblés par Margaret Zayer de La Maison du Pastel, XIXe-début XXe (un des quatre plateaux).
 
Ensemble de 6 nuanciers de pastels Henri Roché, 1900-1901.


1 - SOCIABILITÉS

Scénographie. © Sophie Crépy.

Le pastel prend son essor au XVIIe siècle et gagne ses lettres de noblesse au XVIIIe, traditionnellement considéré comme son âge d’or. Médium sans égal pour rendre les effets de matière et le velouté de la carnation, le pastel est alors presque exclusivement appliqué au portrait. Délaissé sous la révolution française, il revient en force pendant la seconde moitié du XIXe siècle qui renoue avec le genre du portrait dont la bourgeoisie, soucieuse d’asseoir sa nouvelle position dans la société, se montre particulièrement friande.
Des pastellistes comme Émile Lévy, Jacques-Émile Blanche, ou encore Louise Breslau s’inscrivent dans la tradition du portrait aristocratique avec de grands formats voués à rivaliser avec la peinture. Ils déploient l’extraordinaire souplesse de la technique pour mettre l’accent sur la richesse des intérieurs ou le raffinement des étoffes, tandis qu’un Manet, par exemple, privilégie les portraits en buste et les lignes épurées pour saisir le type de la «parisienne».


 
Texte du panneau didactique.
 
Antonio de La Gandara (1861-1917). Portrait de Marie-Louise Revillet, dite Sarah Valanoff, vers 1888. Pastel sur papier marouflé sur toile.

Sarah Valanoff (1862-1949) était une comédienne renommée pour sa blondeur, vénitienne à en juger par ce pastel d’Antonio de La Gandara. L'artiste était alors sensible à la sobriété des portraits peints par Whistler, jouant beaucoup du noir et de ses superpositions. La Gandara utilise quant à lui la matité et le velouté du pastel pour obtenir cette profondeur dans le portrait de Sarah Valanoff. Artiste et modèle eurent à cette époque une liaison dont naquit une fille à qui revint ce portrait.
 
Emile Lévy. Portrait de Marie de Heredia, en 1887. H. 118,5 ; L. 86,0 cm. Musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Lévy est un grand pastelliste des années 1880. Son ami le poète parnassien José-Maria de Heredia, père de Marie, louera son aptitude à manier le «bâton versicolore… sans ternir sa fleur, son duvet velouté, sa brillante poussière d’aile de papillon». Marie de Heredia, que Levy représente ici avec la sagesse attendue d’une jeune fille de bonne famille, est la première femme à obtenir le prix de littérature de l’Académie française en 1918, sous son nom de plume, Gérard d'Houville. Épouse d'Henri de Régnier, elle fut une femme indépendante, intimement liée à Pierre Louÿs et Gabriele d'Annunzio.
 
Karl Bennewitz von Löfen (1856-1931). Portrait d'Yvette Guilbert, 1899. Pastel sur carton.

Yvette Guilbert fut une chanteuse de café-concert à l'immense popularité. Elle a été portraiturée par de nombreux artistes, notamment par Toulouse-Lautrec dont elle n'appréciait pas toujours l’image que le peintre renvoyait d'elle. En revanche, elle aimait tout particulièrement ce portrait par von Löfen qui trônait chez elle au-dessus d’une cheminée.
 
Edouard Manet. Portrait d'Irma Brunner, vers 1880. Pastel sur toile et châssis. H. 53,5 ; L. 44,1 cm. Musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean-Gilles Berizzi / DR.

Manet se tourne vers le pastel au tournant des années 1880, principalement pour des portraits de femmes en buste. On invoque ses difficultés à se tenir debout, conséquences de la syphilis, pour justifier le choix de ce medium. Pourtant, ce n’est pas que par «facilité» ou nécessité qu’il l’adopte, mais aussi par esprit d'émulation, en voyant les œuvres de Degas et d'Eva Gonzalès, son élève, qui excelle dans cet art. Manet utilise souvent le pastel sur des toiles préparées pour la peinture, qui retiennent mal les pigments et posent de véritables défis de conservation.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
Scénographie
 
Louise Breslau (1856-1927).  La petite fille au chien blanc ou portrait de Mlle Adeline Poznanska, 1891. Pastel sur papier.

Louise Breslau, artiste suisse, rencontre un grand succès avec ses pastels, jugés plus doux que ses peintures. Cette petite fille modèle est bien dans la tradition du portrait aristocratique, mais son exécution révèle aussi une admiration de Breslau pour Renoir. Les femmes sont nombreuses à s'imposer comme pastellistes au XIXe siècle, et exposent en force au Salon, le pastel étant longtemps perçu comme un art d'agrément. Mais la création de la société des pastellistes de France en 1885, avec de nombreux hommes parmi les sociétaires, signale la vogue de cette technique renouvelée.
 
Jacques-Émile Blanche (1861-1972). Portrait de femme, 1887. Pastel sur toile. Achat, 1893.
 
Berthe Morisot (1841-1895). Portrait de Madame Edma Pontillon, née Edma Morisot, 1871. Pastel sur papier.

Berthe Morisot réalise ce portrait alors que sa sœur Edma est confinée, peu avant l'accouchement de son deuxième enfant. Il s'agirait seulement de son troisième pastel sur près de deux cents. Il révèle déjà son aisance avec ce medium et sa capacité à en varier les effets. Elle l'utilise ici mouillé, en épaisseur sur le visage, et brosse les pigments qui forment les motifs fleuris du canapé. Le fond est traité en aplat de pigments gris pâle, un procédé qu'affectionne aussi son ami et futur beau-frère Edouard Manet.
 
Panneau didactique pour le jeune public.


2 - TERRE ET MER

Scénographie

Au mitan du XIXe siècle, l’usage du pastel s’étend à tous les genres. Jean-François Millet l’utilise pour représenter la noblesse de la vie rurale, comme dans ses peintures. Certains critiques, comme Joris-Karl Huysmans, préfèrent d’ailleurs ses pastels à ses huiles : «dans le pastelliste, peignant la solitude, on trouve un suggestif et douloureux artiste, un maître terrien qui a senti la nature à certaines heures et l’a … gravement, éloquemment rendue.»
S’il est un pionnier, Millet n’est toutefois pas seul à s’intéresser aux paysans. Le choix de ces sujets nouveaux coïncide avec une période d’accélération de l’exode rural dans le sillage de la révolution industrielle. Émerge alors la nostalgie d’un mode de vie ancestral qui jusqu’alors semblait éternel. Le travail des moissonneurs et des pêcheurs est tantôt héroïsé, tantôt traité avec pittoresque. Les costumes des bretonnes et leurs coiffes frappent de nombreux pastellistes, qui chercheront à les immortaliser dans tout leur éclat de bleu roi, de jaune vif, et de blanc.

 
Texte du panneau didactique.
 
Odilon Redon (1840-1916). Portrait de jeune femme au bonnet bleu, entre 1840 et 1916. Pastel. H. 53,0 ; L. 39,5 cm. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Redon joue ici du trompe-l’oeil. En dessinant des cadres qui semblent s’emboîter mais se chevauchent, il introduit différents niveaux de représentation. Comme à son habitude, il se laisse guider par le medium, ou ce qu’il nomme les « incitations de la matière ». Après avoir abandonné une autre composition, un profil également, Redon a tourné cette feuille à 180° pour faire le portrait de son fils Arï, transformé ensuite en portrait de jeune femme à la coiffe bretonne d’un bleu profond et éclatant.
 
Fernand Legout-Gérard. Port de pêche, entre 1856 et 1924. Pastel sur papier et collé sur châssis entoilé. H. 53,0 ; L. 65,0 cm. Musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy.

Artiste normand, Legout-Gérard est rattaché au «groupe de Concarneau», du nom de cette ville bretonne qu’il découvre et fréquente dès 1890, avant de s’y installer en 1903. Représenter sa communauté de pêcheurs et les bretonnes en costume traditionnel devient son sujet de prédilection. Dans ce pastel, l'artiste rassemble toutes les générations au bord de l’eau, au début de l'heure bleue qui module le blanc des coiffes et le noir des robes. Il emploie un surprenant turquoise tirant sur le vert pour figurer le ciel dans l'or du soir.
 
Léon Lhermitte (1844-1925). Moissonneurs,  s.d. Pastel sur carton. Legs de Mme Jeantet-Violet, 1997.
 
Charles Milcendeau (1872-1919). Bretonne devant l'église de Pont-l'Abbé, 1897. Crayon et pastel sur papier gris-beige. Achat, 1897.
 
Jean-François Millet (1814-1875). La Femme au puits, vers 1866-1868. Pastel et crayon noir sur papier beige chamois. Legs d'Alfred Chauchard, 1910.
 
Piet Mondrian (1872-1944). Départ pour la pêche, vers 1900. Pastel, aquarelle et fusain sur papier. Achat, 1987.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
 
Jean-François Millet (1814-1875). La Baratteuse, vers 1866. Pastel et crayon noir sur papier brun et châssis entoilé.

Millet adopte un grand format pour représenter une jeune paysanne barattant la crème de lait pour obtenir du beurre. La lumière tamisée provenant de la cour et d'une fenêtre, que l'on devine à gauche, poétise cette scène, qui évoque l'art hollandais et flamand du XVIIe siècle. La solidité de la figure est à l'opposé du «vaporeux» si souvent reproché au pastel. Comme à son habitude, Millet part d'un dessin au crayon noir avant de le rehausser et de le construire au pastel, avec une palette de tons chauds volontairement réduite.
 
Paul Gauguin (1848-1903). La Petite Gardeuse de porcs, 1889. Pastel sur papier beige. Donation de Mlle Huc de Monfreid, 1951.


3 - MODERNITÉS

Scénographie

Le XIXe siècle est pour le poète Émile Verhaeren celui des «Villes tentaculaires», qui se développent à mesure que les campagnes se vident. La population et le paysage urbains, la vie ouvrière, la société de loisirs et le monde du spectacle offrent autant de nouveaux sujets aux impressionnistes. Rejetant la peinture d’Histoire, leur quête du vrai en fait des observateurs du quotidien. Le pastel devient une technique privilégiée pour saisir ce monde en mouvement. Eugène Boudin, dont Monet dira qu’il lui a ouvert les yeux, leur montre la voie avec ses études en plein air, «si rapidement et si fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur», selon Charles Baudelaire.

Degas, s’il a laissé des paysages au pastel, s’intéresse plus encore au travail des femmes, ce qui fait dire aux frères Goncourt, dans leur Journal, que cet «enamouré du moderne» a jeté «[…] son dévolu sur les blanchisseuses et les danseuses». Il les observe inlassablement dans leurs activités quotidiennes, en retrait, et sans porter de jugement sur leur condition.
 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas. Ludovic Halevy et Albert Boulanger-Cavé dans les coulisses de l'Opéra, en 1879. H. 79,0 ; L. 55,0 cm. Musée d'Orsay. Donation sous réserve d'usufruit de Mme Halévy, 1958. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Degas représente ici deux de ses amis les plus proches à l'Opéra Garnier, inauguré en 1875. À gauche, on reconnaît l'écrivain et librettiste Ludovic Halévy, qui posséda ce pastel, devant un décor, en pleine conversation avec Albert Boulanger-Cavé, employé au ministère de l'Intérieur. Degas adopte un cadrage inattendu et une vue en plongée sur les coulisses. Il rehausse les tons foncés des costumes grâce aux deux points rouge vif des légions d'honneur et conçoit un cadre vert qui fait ainsi écho aux tons du décor.
 

Le pastel est fondamental pour Degas: il utilise presque exclusivement ce médium à partir de 1888-1890, comme un aboutissement de ses recherches assidues sur le dessin et la couleur. Le pastel lui permet également de reprendre ses compositions de manière plus aisée que la peinture. Degas avait abordé la technique dans le respect des traditions avant de l'employer de manière radicale: le pastel est utilisé à sec ou délayé à l'eau, écrasé ou travaillé à la vapeur, par gommage, et avec des types de tracés multiples.
L'un de ses principaux apports au renouveau du pastel réside dans les techniques mixtes. Il n’est pas rare que Degas combine pastel et détrempe, ou peinture à l'huile. À partir du milieu des années 1870, il rehausse de pastel ses monotypes, qu'il décrit comme «des dessins faits à l'encre grasse [sur une plaque de métal] et imprimés». Il emploie aussi des supports très variés tels que des papiers colorés ou préparés, mais aussi des calques, afin de reporter rapidement des motifs qui lui sont chers.

Edgar Degas (1834-1917). Danseuses, entre 1884 et 1885. Pastel sur papier. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Degas saisit sur le vif un groupe de danseuses en pleins préparatifs avant le ballet. Derrière elles, une fenêtre s'ouvre sur les toits de Paris. Leurs visages sont abstraits. L'artiste privilégie les effets de lumière en contre-jour sur le tulle blanc des tutus et la peau laiteuse des dos et des cous gracieux des jeunes femmes. Comme il le faisait souvent, Degas a rajouté des bandes de papiers en les «raboutant» pour permettre à sa composition d'évoluer.
 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834-1917). Danseuse assise: penchée en avant, elle se masse le pied gauche, vers 1881-1883. Pastel sur papier marron contrecollé sur carton. Legs Gustave Caillebotte, 1894.
 
Edgar Degas (1834-1917). Chez la Modiste, vers 1905-1910. Pastel sur papier. Achat, 1979.
 
Edgar Degas (1834-1917). La Repasseuse,  1869. Fusain, craie blanche et pastel sur papier beige.

Degas traite pour la première fois dans ce pastel le sujet moderne de la repasseuse, qu’il explorera jusqu'en 1895. Il observe le monde du travail avec acuité, sans idéalisation de ses modèles. Si ce thème est concomitant du naturalisme de Zola, Degas ne cède pas au misérabilisme. Il utilise ici le pastel de manière graphique et tire profit du papier beige laissé en réserve pour modeler la repasseuse au fusain et à la craie blanche et dénoter la robustesse de la jeune travailleuse.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
 
Claude Monet. Le pont de Waterloo à Londres, vers 1899. Pastel sur papier beige rosé. H. 31,3 ; L. 48,5 cm. Musée d'Orsay. Legs de baronne Eva Gebhard-Gourgaud, 1965. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Gérard Blot.

Les pastels de Monet sont relativement rares. Il recourait ponctuellement à ce médium pour travailler sur le motif avec une grande rapidité d’exécution. Ici, à Londres, alors qu’il attend la livraison de sa caisse de matériel et de ses toiles, il se montre impatient de capturer les effets de brouillard sur la Tamise, plutôt que l’architecture du pont de Waterloo. Il y parvient avec une remarquable économie de moyens et une gamme restreinte de bleus et de blanc.
 
Eugène Boudin (1824-1898). Plage, 1862-1870. Pastel sur papier.

Boudin se montre précurseur de l’impressionnisme dans son ambition de saisir la mouvance des nuages dans ses études en plein air: «Nager en plein ciel. Arriver aux tendresses du nuage. Suspendre ces masses au fond, bien lointaines dans la brume grise, faire éclater l’azur». Il croque également ici en quelques traits les silhouettes de ses contemporains qui goûtent aux joies de la vie en bord de mer dans cette nouvelle société de loisirs.
 
Gustave Caillebotte (1848-1894). Le Nageur, 1877. Pastel sur papier.

Les critiques du XIXe siècle ont longuement débattu du mérite de l'inclusion du costume contemporain dans la peinture moderne, souvent jugé sans intérêt dans le cas des costumes noirs, voire disgracieux. Le costume rayé de ce nageur au bord de l’Yerres, dans ce cadrage audacieux, apparaît comme un clin d'œil à ces critiques.
 
Panneau didactique pour le jeune public.


4 - ESSENCE DE LA NATURE

Scénographie

Le faible encombrement du pastel le rend facilement transportable et adapté au travail en plein air.
Réunissant, dans un même outil, la possibilité de la ligne et de la couleur, il est idéal pour transcrire les changements atmosphériques et les effets de lumière en toute rapidité. Le paysage au pastel trouve sa source au début du XIXe siècle. Lors d’un voyage en Suisse en 1807, charmée par ce pays, Élisabeth Vigée Le Brun, dit y avoir réalisé «environ deux cents paysages au pastel». Delacroix fera lui aussi des pochades de ciels au pastel, et Eugène Boudin, que Corot appelait le «roi des ciels», se placera dans son sillage. Toutefois, à leurs yeux, ces œuvres ne sont pas vouées à être exposées : elles ont valeur d’études ou de souvenirs.
Des pastellistes comme Pierre Prins, Ernest Duez, ou encore Henri Gervex se mettent à l’école de la nature, sur le motif, dans un même souci de vérité que Boudin et les impressionnistes. Ils produisent des pastels très enlevés, traités avec vigueur. Mais la matière même de ce médium, fragile, éphémère, et sa propension à créer des surfaces aériennes peut aussi conférer au paysage un caractère étrange et éthéré qu’exploitent les artistes symbolistes comme Lévy-Dhurmer et Rippl-Ronaï.

 
Texte du panneau didactique.
 
Maria Botkina (1875-1952). Paysage d'automne, vers 1900. Pastel sur papier collé sur carton.

Maria Botkina, dite Marie Botkine en France, est une artiste issue d’une famille de collectionneurs russes. Elle est moins connue pour ses pastels que ses céramiques et ses portraits réalisés par son ami Odilon Redon, Valentin Serov et Paul Troubetskoy. Les couleurs embrasées de ce pastel et la scansion des arbres décimés au premier plan évoquent l'esthétique nabi.
 
Henri Gervex (1852-1929). Paysage marin (Dieppe), vers 1885. Pastel sur papier. Achat, 1988.
 
Ker-Xavier Roussel (1867-1944). La Barrière, vers 1892. Pastel sur papier.

Les pastels de Roussel des années 1890 sont rares, mais ils reflètent les recherches des nabis et sont parmi les plus audacieux de son œuvre. C'est tout particulièrement le cas pour La Barrière, une composition sans lignes de fuite et à la perspective aplatie, à la manière des estampes japonaises. Cette barrière ouverte semble paradoxalement verrouiller l’espace.
 
Lucien Lévy-Dhurmer. La Calanque, vers 1936. Pastel sur papier et châssis entoilé. H. 79,0 ; L. 63,0 cm. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Lévy-Dhurmer réalise des croquis au crayon bleu des formations rocheuses, in situ, sur la Côte d'Azur. Il insère des notations de couleurs pour faciliter son travail en atelier. Malgré le réalisme de la calanque, les couleurs intenses et acides utilisées irradient le paysage d'une lumière surnaturelle et lui confèrent une aura mystique. Il réalise un «quatuor» de pastels d'un même paysage à différents moments de la journée (Matin, 6 heures du soir, Crépuscule, Nocturne), sans doute en écho aux séries de Monet.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
André Devambez. Procession au crépuscule (vers 1902). Dessin; pastel sur toile. Avec cadre H. 81 ; L. 130 ; EP. 5 cm. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy.

Devambez s’essaya à toutes les techniques et à tous les genres mais les pastels sont rares dans son œuvre. Celui-ci date du début de sa carrière et représente une procession aux chandelles, peut-être à l’occasion des célébrations de l’Assomption de la Vierge. Devambez joue sur le contraste entre les tonalités bleutées que prend le paysage au crépuscule et le feu des derniers rayons de soleil sur le bouquet d’arbres au premier plan.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
 
Edgar Degas (1834-1917). Un îlot en pleine mer, vers 1890. Achat, 1994.
 
Pierre Prins (1838-1913). Ciel breton au Pouldu, 1892. Pastel sur papier gris.

Pierre Prins, qui était proche de Manet, a fait de nombreux pastels révélant son intérêt tout particulier pour la lumière diffuse et les effets de soleil dans la brume marine. Il se montre toutefois ici le digne héritier de Boudin en prenant pour sujet les nuages cotonneux de Bretagne reflétés sur la mer.
 
József Rippl-Rónai (1861-1927). Un parc la nuit, vers 1892-1895. Pastel sur papier beige, marouflé sur toile.

Rippl-Rónai, très lié à Vuillard, est surnommé le nabi hongrois; mais il est aussi proche du symboliste James Pitcairn-Knowles, qui lui fait découvrir Whistler. Cette influence s'observe dans ce nocturne qui joue sur le mystère et l’évanescence dans une gamme de couleurs réduite. Rippl-Rónai exploite la phosphorescence verte des arbres dans la lumière des réverbères. Il crée un paysage fantomatique faisant écho à la photographie pictorialiste, mouvement qui tend à rivaliser avec la peinture ou la gravure.


5 - INTÉRIEURS

Scénographie

Parmi les nouveaux sujets investis par les pastellistes dans les dernières décennies du XIXe siècle figure l’univers domestique. Le portrait devient aussi plus intime, plus informel, reflétant un état d’âme. Le foyer et la vie familiale étant au cœur des valeurs bourgeoises, les artistes se tournent vers les scènes de genre et les intérieurs. Ces sujets semblent particulièrement privilégiés par les artistes femmes qui, dans le contexte de l’époque, restent encore largement associées à cette sphère. Ce phénomène est accentué par la réputation de «propreté» et de facilité d’usage du pastel, considéré encore comme un art d’agrément convenant tout particulièrement aux femmes, jusqu’aux années 1880 – moment où il jouit d’une popularité sans précédent chez les artistes, tous sexes confondus : «Le pastel peut se prendre et se quitter, gardant tout au long du travail toute la fraîcheur de son éclat et la fleur de son velouté» (la Grande Encyclopédie, 1885). Il devient le médium de choix pour créer des instantanés de la vie quotidienne.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edouard Vuillard. La Table servie, vers 1915. Pastel sur papier beige. H. 26,7 ; L. 31,9 cm. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

L'univers pictural de Vuillard est dominé par les scènes d'intérieur mettant en scène son cercle intime et familial. Le cadrage audacieux de ce pastel ne permet pas d’identifier formellement la femme au centre de la composition, même s’il s'agit sans doute de la mère de l'artiste, que Vuillard a représentée plus de cinq cents fois en quarante ans, et avec qui il habitait. Les petites touches vives de pastel sur le papier beige suffisent à empreindre de gaieté cette scène du quotidien.
 
Mary Cassatt. Mère et enfant sur fond vert ou Maternité, en 1897. Pastel sur papier beige collé sur châssis entoilé. H. 55,0 ; L. 46,0 cm. Musée d'Orsay. Don de Mary Cassatt, 1897. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Le thème privilégié de l’impressionniste Mary Cassatt est celui de l'enfance et de la maternité. Il n’est pourtant pas toujours certain que les femmes représentées soient mères ou nourrices, comme dans cette œuvre dont le titre n'a pas été choisi par l'artiste. Cassatt donne un nouveau souffle à ce sujet. Les visages sont très travaillés, alors que les contours graphiques des silhouettes et les vigoureux zigzags de pastel rouge et vert sur la robe de la femme confèrent une grande spontanéité à cette scène qui semble saisie sur le vif.
 
Mary Cassatt (1844-1926). Femme et enfant devant une tablette où sont posés un broc et une cuvette, 1889. Pastel sur papier beige collé sur châssis entoilé. Don de M. Jean-Pierre Hugot et de Mlle Louise Hugot, 1968.
 
Eva Gonzalès. La Matinée rose, en 1874. Pastel sur papier et châssis entoilé. H. 93,8 ; L. 74,3 cm. Musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Décédée à 34 ans, Eva Gonzalès s’est distinguée durant sa courte carrière dans l’art du portrait et des intérieurs. Elle fut la seule élève officielle de Manet. Le pastel est l’une de ses techniques de prédilection avant que Manet ne l’adopte lui-même plus systématiquement à partir de 1879. Les deux artistes ont en commun une gamme de gris perle, rose pâle et blanc, qu’Eva Gonzalès exploite ici dans cette œuvre très aboutie qu’elle expose au Salon de 1874.
 
Daniel de Monfreid (1856-1929). Portrait de sa fille Agnès à trois ans, 1902. Pastel sur papier vergé.

Daniel de Monfreid, comme Mary Cassatt, apporte un regard renouvelé sur l'enfance, loin des codes du portrait aristocratique ou mondain. Il ne représente pas sa fille avec décorum, comme un membre d’une lignée vouée à se perpétuer, mais plutôt comme une enfant perdue dans ses rêveries, dans sa robe de tous les jours, sa  poupée sur les genoux, dans l'attente de reprendre ses jeux l'instant suivant.
Paul-César Helleu (1859-1927). Portrait de Madame Paul Helleu, 1894. Pastel sur papier bleu.

L'écrivain Edmond de Goncourt avait noté dans son journal à propos d'Alice Helleu: «Elle ne pouvait faire un mouvement qui ne fût de grâce et d'élégance et dix fois par jour il [Helleu] s’essayait à surprendre ces mouvements dans une rapide pointe sèche». Il le fit aussi dans ses dessins et ses pastels. Helleu avait un penchant certain pour les chevelures rousses, qu'il prisait particulièrement chez ses modèles, son préféré demeurant Alice.
 
Armand Guillaumin (1841-1927). Intérieur, 1889. Pastel sur papier vergé crème. Achat, 1916.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
Scénographie
 
Eugène Loup (1867-1948). Mélancolie, vers 1901. Pastel sur toile. 

Eugène Loup fut très prisé pour ses scènes d'intérieur aux tons feutrés ou en grisaille, sur le thème de la solitude et de la mélancolie. Le pastel lui permet ici de créer une lumière tamisée faisant ressortir le visage doux et pâle et les mains blanches de son modèle, qui se détourne de sa tapisserie d'un air las. Les tons en sourdine des tentures et de sa robe kaki se marient dans des harmonies subtiles, mais contribuent aussi à intégrer la jeune femme à cet intérieur dont elle semble prisonnière.
 
Odilon Redon (1840-1916). Camille Redon brodant, 1880. Pastel sur papier.

Redon, figure phare du symbolisme et maître de l’indéterminé, rechignait à donner des titres à ses œuvres ou à les dater. Ainsi, le titre du portrait de son épouse a sans doute été apposé ultérieurement, même si Redon a enfreint ses propres règles en le datant de l'année de leur mariage. S'il n’est pas certain que Camille Redon s’adonne ici à la broderie, activité toute domestique, il semble en revanche que la chaleur de leur foyer soit signifiée par la lueur orangé qui embrase ce pastel, d'autant plus intense qu’elle contraste sur un fond vert.
 
Auguste Renoir (1841-1919). Portrait de jeune fille brune, assise, les mains croisées, 1879. Pastel sur papier.

Renoir ne recourt que rarement au pastel, et le réserve en règle générale à des portraits informels. Ce portrait de petite fille, réalisée en pleine période impressionniste, témoigne de l'intérêt de Renoir pour la lumière et la couleur. La robe blanche de l'enfant se strie de vert, gris et bleu pour rendre compte des reflets de la lumière sur le tissu, alors que la tenture et le fauteuil sont traités de manière impressionniste sous forme de vigoureuses hachures multicolores.
 
Étienne Moreau-Nélaton (1859-1927). Portrait de Raymond Koechlin, 1887. Pastel et crayon noir sur papier.

Moreau-Nélaton, historien de l’art, était l’un des plus grands collectionneurs de son temps. Il fit don à l’État français d’une multitude de chefs d'œuvre, dont le Déjeuner sur l'herbe de Manet. Il était également un artiste de talent à ses heures perdues. Le modèle de ce pastel est Raymond Koechlin, posant vraisemblablement dans la bibliothèque de son appartement du boulevard Saint-Germain. Koechlin, fondateur de la Société des Amis du Louvre, fut également un grand amateur qui légua toute sa collection aux musées.


6 - INTIMITÉ

Scénographie. © Sophie Crépy.

Le pastel semble plus apte que tout autre médium à rendre le velouté de la peau et les teintes subtiles de sa carnation. Cette qualité explique naturellement sa grande popularité dans l’art du portrait, mais aussi dans celui du nu. Édouard Manet, Maurice Denis et Émile-René Ménard jouent de l’estompe pour donner un aspect poudreux et lumineux à la chair de leurs modèles, tandis que Degas utilise une grande variété de traits et des couleurs franches pour donner du relief à ses baigneuses aux postures prosaïques, sans idéaliser de leur corps.
Degas entre dans l’intimité de ces femmes à leur toilette sans qu’elles se sachent observées, ce qui l’amène à les comparer à des consœurs modernes de Suzanne au bain, cette héroïne de l’Ancien Testament secrètement regardée par des vieillards. Si certaines de ses baigneuses semblent observées par une porte entrouverte, d’autres font l’objet d’hardies plongées. Les nus en buste de Manet et d’Aman-Jean sont tout-autre, soutenant notre regard dans le premier cas, et ayant conscience d’être observé pour le second.

 
Texte du panneau didactique.
 
Edgar Degas (1834-1917). Après le bain, femme nue s'essuyant la nuque, 1898. Pastel sur papier vélin fin collé sur carton. Legs du comte Isaac de Camondo, 1911.
 
Émile René Ménard. Étude de nu dans un intérieur, entre 1862 et 1930. Pastel sur papier collé sur châssis entoilé. H. 76,0 ; L. 59,0 cm. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Les nus dans l’œuvre de Ménard trouvent habituellement leur place dans des scènes mythologiques comme Le Bain de Diane ou Le Jugement de Pâris. Ici, son modèle est situé dans un intérieur du XIXe siècle, mais l’Antiquité reste centrale dans la conception de son œuvre. Ménard joue en effet au Pygmalion dans ce pastel qui semble donner vie et chair à la statuaire grecque, tout particulièrement au célèbre torse en marbre d’après la Vénus de Cnide de Praxitèle (Louvre, copie romaine d’après Praxitèle, Ve siècle av. J.-C.).
 
Edouard Manet. Buste de femme nue, vers 1875. Pastel sur toile et châssis. H. 53,5 ; L. 44,6 cm. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Cette œuvre, comme un certain nombre de nus de Degas rassemblés ici sous le thème de l'intimité, a appartenu au grand collectionneur Isaac de Camondo. Monet y adopte la même approche que dans ses portraits au pastel. Il privilégie le portrait en buste et les harmonies de blanc et de gris, relevées de noir, et se concentre sur le regard de son modèle, de sorte qu'il n'est pas immédiatement apparent qu'elle est dévêtue.
 
Maurice Denis (1870-1943). Nu, femme assise, de dos, 1891.Pastel et fusain sur papier. Legs d’Isidore Chevreau, baron de Christiani, 1928.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
Scénographie.
 
Edgar Degas. Femme à sa toilette essuyant son pied gauche, en 1886. Pastel sur carton. H. 54,3 ; L. 52,4 cm. 1911, legs, comte Isaac de Camondo. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Degas présente ce pastel à la huitième et dernière exposition impressionniste, en 1886, au sein d’une série intitulée «suite de nus de femmes se baignant, se lavant, se séchant, s'essuyant, se peignant ou se faisant peigner». L'approche sans fard de Degas sur le nu féminin lui vaut des accusations de misogynie, alors que le critique Huysmans perçoit au contraire la valeur de ce regard naturaliste et loue «la suprême beauté des chairs bleuies ou rosées par l'eau» et «la chair déshabillée, réelle, vive».
 
Edmond Aman-Jean (1858-1936). Farniente dit aussi Étude de femme drapée les mains levées, vers 1895. Pastel sur papier gris-beige collé sur toile. Legs Jules Maciet, 1911.
Edgar Degas (1834-1917). Baigneuse allongée sur le sol, vers 1886. Pastel sur papier beige.
Œuvre récupérée après la Seconde Guerre mondiale et confiée à la garde des musées nationaux; remise au
cabinet des Dessins du Louvre par la commission de Récupération artistique le 23 décembre 1949 (REC 50).
 
Edgar Degas (1834-1917). Femme nue debout, vers 1880-1883. Pastel et fusain sur papier bleu-vert.

Degas est porteur de la grande tradition du dessin, des anciens maîtres italiens qu'il copie assidûment jusqu'à Ingres, qui reste un modèle pour lui. Il ne déroge pas à cette tradition en préparant ses compositions en partant de figures nues, même si elles sont vouées à être vêtues dans les œuvres finales, Tout comme La danseuse en maillot, accrochée à côté, cette étude de nu est en lien avec des représentations de danseuses. Degas revient souvent aux mêmes motifs et cette posture de danseuse apparaît à plusieurs reprises, et ce dès 1873.
 
Edgar Degas (1834-1917). Femme se coiffant, 1887-1890. Pastel sur papier beige collé sur carton. Achat à la vente du Dr Viau, 1942.


7 - ARCADIES

Scénographie

Le XIXe est un siècle d’instabilité politique et de profonds changements sociétaux. La révolution industrielle et l’expansion rapide des chemins de fer bouleversent le rapport au temps et à l’espace. Vers la fin du siècle émerge la crainte d’un effondrement de la civilisation, comparable à celui de l’Empire Romain. En réponse à cette crise des valeurs et en réaction contre le matérialisme ambiant, certains artistes rejettent les sujets contemporains pour se tourner vers un idéalisme arcadien, rêve antique d’une vie simple, en harmonie avec la nature, hors du temps.
Un artiste comme Osbert, qui souhaite «arriver à la Simplicité même, au grand Silence», développe une vision panthéiste et mystique peuplée de muses sur laquelle s’édifie son œuvre. Dans l’art de Degas, au contraire, le thème des baigneuses dans l’herbe et d’une possible symbiose avec la nature est une véritable rareté. Enfin, chez Desvallières et Rothenstein, la terre idyllique de l’Arcadie n’est pas sans présenter un caractère étrange voire menaçant, comme ébranlée par les secousses du XXe siècle approchant.


 
Texte du panneau didactique.
 
Henri Fantin-Latour (1836-1904). Les Filles du Rhin ou L'Or du Rhin, 1876. Pastel et fusain sur lithographie sur papier.

Fantin-Latour ressentit une révélation en 1876 au festival de Bayreuth, lors de l'ouverture de L'Or du Rhin de Wagner: «C'est de la sensation, pas de la musique, pas le décor, pas le sujet, mais un empoignement du spectateur». Il trouve alors les moyens de s'affranchir du principe de fidélité au réel, ce qu’il cherchait à faire depuis de nombreuses années. Cette libération passe par les arts graphiques, Fantin-Latour partant d’une lithographie qu'il recouvre entièrement de pastel dans cette scène enchantée.
 
Édouard Vuillard (1868-1940). Deux femmes dans un bois, vers 1890. Pastel sur papier. Achat, 2012.
 
William Rothenstein (1872-1945). Femme nue assise, 1892. Pastel et peinture dorée.

Ce dessin est en lien avec un grand pastel également sur fond doré, Parting at morning («la séparation au matin», 1891, Tate). Il représente le même modèle, dont l'artiste anglais aimait la «beauté cadavérique». L'or et l'azur dans cette œuvre ne suffisent pas à contrebalancer l’inquiétante étrangeté de cette Arcadie désertée.
 
Alphonse Osbert (1857-1939). Muse allongée sous les arbres, vers 1910. Pastel sur papier gris.

La rencontre d'Osbert avec Puvis de Chavannes joua un rôle déterminant dans l'orientation idéaliste qu’allait prendre son art. Osbert est à la recherche d’un art spirituel, en retrait du monde. Cette spiritualité passe chez lui par la lumière qui irradie ses paysages peuplés de muses et que la «fleur du pastel» lui permet de diffuser.
 
Edgar Degas (1834-1917). Deux baigneuses sur l'herbe, 1896. Pastel sur papier brun.

Les baigneuses en plein air de Degas sont rares dans son œuvre. Elles apparaissent tardivement, à une époque où la reprise de thèmes antérieurs, y compris du début de sa carrière, devient quasi-systématique. Ces baigneuses paisiblement alanguies dans l'herbe vert vif sont toutefois loin de la macabre Scène de guerre au temps du Moyen-Âge (vers 1865, musée d'Orsay), où des nus féminins jonchent le sol.
George Desvallières. Les Tireurs à l'arc, 1895. Pastel sur papier gris-beige. H. 137,5 ; L. 227,5 cm.
Don de Paul Simon et de ses sœurs, 1951. ADAGP, Paris 2021 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.


Cet imposant pastel mêle idéalisme et académisme dans le traitement des nus masculins à la fois virils et gracieux. Les oiseaux menaçants et les silhouettes athlétiques des tireurs à l’arc évoquent invariablement le mythe des Douze travaux d'Hercule, dont l’un consistait à tuer les oiseaux maléfiques du Lac de Stymphale. Cette référence est toutefois brouillée par les multiples figures présentes dans cette scène de chasse antique.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
 
Léon Lhermitte (1844-1925). Deux baigneuses au bord d’un étang, vers 1893. Pastel et fusain sur papier brun.

Lhermitte commence à utiliser le pastel vers 1885. À l'été 1893, il prend pour sujet des baigneuses au bord de la Marne. Le paysage idyllique dans lequel s’insèrent ici les deux femmes rappelle le naturalisme d'un Corot et ses harmonies bleutées. Leurs vêtements modernes escamotés, et le chignon à l'antique du modèle au premier plan donnent à cette scène un caractère intemporel évoquant le bain de la déesse Diane.
 
Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898). Le Berger ou L'Orage, 1887. Pastel sur papier beige collé sur châssis entoilé. Don de M. Gabriel Cognac, 1938.
 
Ker-Xavier Roussel (1867-1944). Scène mythologique, dit aussi Silène et l'Enfant, vers 1916. Pastel sur papier. Don de M. Jean-Pierre Hugot et de Mlle Louise Hugot, 1968.


8 - ÂMES ET CHIMÈRES

Scénographie

La voie menant à une Arcadie utopique n’est pas la seule qu’aient empruntée les artistes peu enclins à tendre un miroir au monde transfiguré du XIXe siècle. Odilon Redon et Lucien Lévy-Dhurmer, tous deux en quête d’une réalité intérieure, adoptent le pastel pour donner corps à un imaginaire foisonnant, avec un vocabulaire visuel propre à chacun. Après Millet et Degas, ce médium «caméléon» est une nouvelle fois renouvelé par ces deux grands pastellistes symbolistes à la fin du siècle.
Pour Lévy-Dhurmer, l’exploration de la vie intérieure passe souvent par le portrait et la figure humaine, y compris dans la représentation d’êtres hybrides comme sa célèbre Méduse. Redon exploite quant à lui l’extraordinaire plasticité du pastel pour donner forme à son imaginaire et insuffler une dimension personnelle au mythe, loin de l’allégorie. Son art repose sur l’indéterminé, avec une volonté de se laisser guider par le matériau.


 
Texte du panneau didactique.
 
Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953). Florence, vers 1898. Pastel sur papier.

L'artiste personnifie ici la ville de Florence, visible en arrière-plan, avec à gauche, le palais de la Seigneurie, et à droite, la cathédrale et son campanile. Son modèle, couronné de lauriers, serait la comtesse Raymond de Beauchamp, née Thérèse Vitali. Le lys rouge qu’elle présente est l'emblème de la cité, alors qu’elle tient dans sa main droite les armes des Médicis. La ville de Florence reflète ici moins un état d’âme qu’elle ne souligne et glorifie les origines de la comtesse.
 

Lucien Lévy-Dhurmer commence sa carrière artistique en tant que céramiste, sa pratique du pastel restant dans l’ombre jusqu’en 1896. Son talent dans cette technique éclate au grand jour lors d’une exposition qui lui est dédiée à la prestigieuse galerie Georges Petit à Paris.
L'art de Lévy-Dhurmer repose sur une grande maîtrise du dessin et sur une ligne pure, aux contours très nets. Il lui arrive d'utiliser l’estompe pour traduire le grain de la peau et modeler ses visages, notamment dans le Portrait de Georges Rodenbach et La Femme à la médaille, mais il emploie également d’infimes traits de pastel imperceptibles de loin, de manière très graphique, pour modeler ses figures. La vibration de la matière qui en résulte participe à l’aura de mystère de ses pastels. Dans ses œuvres plus tardives, comme La Calanque, il juxtapose une multitude de hachures ou de stries aux teintes vives et souvent complémentaires pour créer de surprenantes ondes de lumière.

Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953). La Sorcière, 1897. Pastel sur papier.

Ce pastel resté inachevé est une œuvre préparatoire à un relief en bronze réalisé par Lévy-Dhurmer, aux dimensions quasiment identiques; relief dans lequel il enlaidit considérablement son modèle, sans doute pour se conformer au stéréotype de la sorcière. Les esquisses de chauve-souris et du hibou montrent la manière gestuelle avec laquelle Lévy-Dhurmer construit son pastel.
 
Texte du panneau didactique.
 
Lucien Lévy-Dhurmer. Portrait de Georges Rodenbach, vers 1895. Pastel sur papier. H. 36,0 ; L. 55,0 cm. Musée d’Orsay. Don de Mme veuve Rodenbach, 1899. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

L'écrivain belge Rodenbach découvre les pastels de Lévy-Dhurmer en 1895 et une amitié se noue entre les deux hommes. Portrait et paysage ne font ici qu'un, tant les épaules de Rodenbach semblent se fondre dans les canaux de sa ville, à laquelle il consacra un roman, Bruges-la-Morte (1892). La Venise du Nord y est décrite «comme un personnage essentiel, associé aux états d'âme», un principe que Lévy-Dhurmer semble reprendre dans son pastel.
 
Lucien Lévy-Dhurmer. La Femme à la médaille, 1896. Pastel et rehauts d'or sur papier contrecollé sur carton. H. 35,0 ; L. 54,0 cm. Musée d'Orsay. © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Cette œuvre témoigne de l’intérêt de Lévy-Dhurmer pour les portraits de profil des XVe et XVIe siècles, de Piero della Francesca à Pollaiuolo et Holbein. L’artiste détourne cependant leurs codes en «coupant» sa composition et en l’orientant horizontalement. La coiffe noire de son modèle évoque celles des pays germaniques du XVIe siècle. Le modèle montre sa médaille frappée d’un motif qui reste invisible au spectateur et effectue le signe de bénédiction symbolisant l’Incarnation, ajoutant ainsi au mystère.
 
Lucien Lévy-Dhurmer. Méduse, 1897. Pastel et fusain sur papier contrecollé sur carton. H. 59,0 ; L. 40,0 cm. Musée d'Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Ce pastel est l'un des plus audacieux et visionnaires de Lévy-Dhurmer. Son imagerie dépasse le mythe de la Gorgone pour exprimer la terreur et le désespoir d'une créature sur le point d'être engloutie par les flots sous les algues et le corail. Les mains crispées par les dernières convulsions, son sang se mêle aux rouleaux qui déferlent, alors que son visage gris semble se pétrifier. Selon Geneviève Monnier, spécialiste de Lévy-Dhurmer, «cette vision est celle d'une mutation: passage de l'état d'un être humain à l'état d'un monstre ou... passage de la vie à la mort».
 
Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953). Le Silence, 1895. Pastel sur papier.

Lévy-Dhurmer, très attaché à ce pastel, ne s'en séparera qu'à la toute fin de sa vie. Le Silence est inspiré d'un masque sculpté d'Auguste Préault partageant le même titre, et destiné à une tombe. Si Lévy-Dhurmer reprend lui aussi l'iconographie traditionnelle du silence, les doigts posés sur les lèvres, la signification de cette œuvre reste mystérieuse. En 1899, le critique Achille Ségard écrit: «L'impression générale est la même que celle que donnent les sphinx accroupis depuis des milliers d'années dans le désert immense et vague».
Scénographie

Redon s'illustre avec ses «noirs», fusains pénétrants et fantasmagoriques, avant de se tourner résolument vers la couleur à partir de 1890. Il privilégie toujours la matité, notamment grâce au pastel, qui partage la pulvérulence du fusain, «poudre volatile, impalpable et fugitive sous la main» dont l'absorption de la lumière créé un effet de profondeur comparable.
Redon utilise souvent des techniques mixtes. Dans ses œuvres, la transition des noirs à la couleur s’opère de manière progressive, et le fusain reste souvent présent dans ses pastels. Il rehausse aussi fréquemment ses peintures de pastel et fait usage également de crayons conté et de crayons de pastel pour créer des effets de superposition. Pour faire vibrer et animer la couleur dans sa plus grande intensité, il emploie la hachure et la strie. Après 1912, Redon se passe de fixatif, qui affecte souvent la couleur et aplatit la fleur des pigments. Il accorde toutefois un grand soin à l'encadrement de ses pastels pour les préserver.


 
Texte du panneau didactique.
 
Odilon Redon (1840-1916). La Visitation ou Entretien mystique, s.d. Pastel sur papier beige, mise au carreau partielle à la mine de plomb. Legs de René Philippon, 1939.
 
Odilon Redon (1840-1916). Parsifal, 1912. Pastel sur papier. Acquis de Mme Arï Redon, 1977.
 
Odilon Redon. Le Bouddha, entre 1906 et 1907. Pastel sur papier beige. H. 90,0 ; L. 73,0 cm. Musée d’Orsay, 1971, achat. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Redon revient plusieurs fois au thème bouddhique dans son œuvre sans pour autant faire profession de foi. Craignant la méprise, il rappelle que son art se veut ouvert et indéterminé: «J'ai fait quelquefois Vénus ou Apollon sans vouloir que l'on soit païen; j'ai aussi fait le Bouddha; et cette image, en son symbole, émeut encore les cœurs d’une part innombrable de l’humanité, et ces sujets (si sujets il y a) me sont aussi sacrés que les autres».
Scénographie. © Sophie Crépy.
 
Odilon Redon. Le Char d’Apollon, vers 1910. Pastel et détrempe sur toile. H. 91,5 ; L. 77,0 cm. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Redon avait pu admirer, alors qu'il était étudiant, le plafond de la galerie d'Apollon au Louvre par Delacroix. Il dira à propos de ce sujet: «c'est le triomphe de la lumière sur les ténèbres. C'est la joie du grand jour opposée aux tristesses de la nuit et des ombres, et comme la joie d'un sentiment meilleur après l'angoisse». Redon marie ici la peinture mate à la détrempe au pastel, dans l'une de ses compositions les plus solaires.
 
Panneau didactique pour le jeune public.
 
Odilon Redon (1840-1916). Fleur de sang, 1895. Pastel sur papier gris.

Vision aquatique, ce pastel fait écho à l'illustration «The Climax» de l'artiste anglais Aubrey Beardsley pour Salomé d'Oscar Wilde, publiée l’année précédente. Malgré un langage visuel tout à fait singulier, Redon, comme Beardsley d'ailleurs, s'approprie des motifs d'autres artistes en les intégrant à son propre imaginaire.
 
Odilon Redon (1840-1916). La Coquille, 1912. Pastel sur papier.

Ce coquillage des Seychelles, offert par un ami en 1910, trônait sur le manteau de cheminée chez Redon. Il en a fait le sujet de deux autres pastels, qu'il détruira. Ce motif ressurgit autour de 1912 dans des œuvres se référant au thème de la naissance de Vénus. Sortie ici de la pénombre d’un univers sous-marin, cette coquille, souvent interprétée comme une représentation symbolique du sexe féminin et récemment mise en parallèle avec le tableau l'Origine du monde de Courbet, prend alors une tout autre signification.