LE MODÈLE NOIR
De Géricault à Matisse

Article publié dans la Lettre n°478 du 1er mai 2019


 
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LE MODÈLE NOIR. De Géricault à Matisse. Cette exposition, la première qui aborde ce sujet encore peu traité, s’appuie sur la thèse que Denise Murrell, co-commissaire, soutint en 2013 à l’université de Columbia. Une première présentation a d’ailleurs été faite à la Wallach Art Gallery de New-York, où Denise Murray est chercheuse postdoctorante de la Fondation Ford. Avec plus de 300 œuvres dont 73 peintures, 17 sculptures et 60 œuvres d’art graphique, cette exposition adopte une approche multidisciplinaire, entre histoire de l’art, histoire des idées et anthropologie, et se penche sur des problématiques esthétiques, politiques et sociales, ainsi que sur l’imaginaire inhérent à la représentation des figures noires dans les arts visuels.
Le parcours, divisé en douze sections, privilégie trois moments forts : le temps de l’abolition (1794-1848), le temps de la Nouvelle peinture (Manet, Bazille, Degas, Cézanne), le temps des premières avant-gardes du XXe siècle. Des tableaux chronologiques ponctuent les principales étapes du parcours. Si de nombreux hommes et femmes noirs ou métis ont croisé la route des artistes au cours des presque deux siècles que parcourt cette exposition, beaucoup sont restés anonymes ou connus par leur seul prénom : Madeleine, Joseph, Aspasie, Laure… Néanmoins, de façon progressive, ces modèles d’atelier, de même que des personnalités noires du monde du spectacle, ont pris une part active dans la vie artistique parisienne, contribuant ainsi à affirmer une identité noire.
La première section s’intéresse à l’abolition de l’esclavage en France, tout d’abord durant la Révolution, en 1794, puis, celui-ci ayant été rétabli par Napoléon, par la Deuxième République en 1848. On y voit le fameux portrait de Madeleine par Marie Guillemine Benoist (1800) ainsi qu’un portrait de Thomas Alexandre Dumas attribué à Louis Gauffier (1790-1800). Une inconnue voisine ainsi à côté du Général Dumas. Parmi les artistes abolitionnistes, Géricault est l’un des plus actifs comme on le voit avec son Étude d’homme d’après le modèle Joseph (vers 1818-1819) et plus tard avec Le Radeau de la Méduse. De celui-ci on voit la première esquisse, sans personnage noir, alors qu’il en a mis trois dans le tableau final ! Chassériau (Étude d’après le modèle Joseph, 1838) et Delacroix (Étude d’après le modèle Aspasie, vers 1824-1826) sont également présents. Mais c’est dans la section suivante, « L’Art contre l’esclavage », que l’on prend véritablement la mesure de l’engagement de certains artistes contre l’esclavage. C’est le cas avec l’impressionnant Le Châtiment des quatre piquets dans les colonies (1843) de Marcel Verdier, refusé au Salon. Plus tard, François-Auguste Biard, qui avait fait sensation au Salon de 1935 avec La Traite des noirs, se voit confier en 1849 la célébration de L’Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, une immense toile où noirs et blancs fraternisent dans la liesse sous le drapeau tricolore.
Nous arrivons maintenant dans une section, « Métissages littéraires », principalement consacrée à deux figures clés de l’époque, Alexandre Dumas et Jeanne Duval. On ne présente plus le premier dont on voit un grand nombre de portraits et des caricatures plus ou moins bienveillantes. La seconde était la maîtresse et la muse de Baudelaire. Elle a été immortalisée par Manet (Jeanne Duval, 1862) et d’une certaine manière par Matisse dans ses illustrations des Fleurs du mal.
Avec « Dans l’atelier », nous mesurons l’importance dans la peinture des modèles noirs des deux sexes, contribuant à un nouvel univers esthétique. Parmi tous ces portraits intimistes, nous remarquons surtout Le Noir Scipion (1866-1868) de Cézanne et L’Attente (1894) d’Édouard Maxence.
Vient ensuite une section « Autour d’Olympia » dont le thème reviendra plus tard dans le parcours. À côté du tableau de Manet (Olympia, 1863), sont exposés, entre autres, La Toilette (1870) de Frédéric Bazille, refusée au Salon et Une moderne Olympia (1873-1874) où Cézanne introduit la présence d’un client de cette courtisane de haut rang. D’autres œuvres font référence à la Bible, comme Esther (1844) de François-Léon Bénouville, ou à la prostitution comme les photos d’Albert Brichaut.
Dès le début du XIXe siècle, la présence de personnalités noires est notable dans les milieux du spectacle et du cirque. La section « En scène » nous présente un grand nombre d’affiches où apparaissent, parmi d’autres, les noms de Miss Lala, de Kaira, de Delmonico et de Chocolat, associé à son compère blanc Footit, tous artistes de cirque. Avec la première guerre mondiale, des noirs arrivent sur le front. Ceux des colonies d’abord, puis des américains qui apportent avec eux le jazz. Beaucoup d’autres viendront ensuite dans les années 1920 dont la célèbre Joséphine Baker à qui est consacrée la quasi-totalité de la section « La « Force »noire ».
Au tournant du siècle, le rapport au « modèle noir » se transforme. Les colonies sont vues comme des paradis perdus. Gauguin part en Martinique (1887) et fait une Copie de l’Olympia de Manet (1891). Derain, Picasso et Matisse découvrent la statuaire africaine et l’introduisent dans leurs toiles. « La Négritude à Paris » met en exergue les revendications des poètes noirs, comme Aimé Césaire et Léopold Senghor, et le soutien qu’ils reçoivent  d’artistes  tels que André Breton, Man Ray, André Masson ou Wilfredo Lam.
Parmi tous les artistes, Matisse, quant à lui, est enthousiasmé par le jazz qu’il découvre en passant par New York lors d’un voyage à Tahiti en 1930. À partir de là, il fait poser des modèles noirs et peint ou découpe des figures concises, à l’image de la ligne improvisée du jazz.
L’exposition se termine avec « J’aime Olympia en noire », où l’on voit une autre Olympia, dont la couleur des personnages, même celle du chat, est inversée ! Une exposition remarquable tant par sa scénographie que sa richesse iconographique et documentaire et ses grands panneaux didactiques sur les principaux artistes ou modèles exposés. À ne pas manquer. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 21 juillet 2019. Lien : www.musee-orsay.fr.


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