JEAN HÉLION. La prose  du monde.  Si Jean Hélion (1904-1987) a bénéficié de nombreuses expositions dans les  galeries et institutions françaises et étrangères, son œuvre est encore peu  connu du public. La présente rétrospective, avec plus de 150 œuvres (103  peintures, 50 dessins, des carnets et une abondante documentation) nous offre  un aperçu exhaustif de cet artiste.
                Jean  Hélion est né en Normandie. Il s’oriente tout d’abord vers des études  d’architecture à Paris et gagne sa vie comme dessinateur chez un architecte. En  1930 il se lie à Théo van Doesburg et Piet Mondrian et se lance, sans formation  en peinture, dans l’abstraction géométrique. Il participe au groupe Art Concret  ainsi qu’à la création du collectif Abstraction-Création qui rassemblera les  meilleurs représentants de l’art abstrait entre les deux guerres. En 1934 il  s’installe aux États-Unis où il se lie d’amitié avec Marcel Duchamp et devient  une figure éminente de la vie artistique américaine. Il conseille également de  grands collectionneurs. Alors que l’abstraction commence à s’imposer sur la  scène internationale, Hélion s’en détourne, en 1939, pour s’intéresser  davantage à la figure humaine et au «réel», créant l’incompréhension parmi ceux  qui le soutenaient. 
                Mobilisé  à cause de la guerre, il rentre en France. Fait prisonnier, il s’évade en 1942  et publie aux États-Unis They Shall Not  Have Me (Ils ne m’auront pas !)  qui devient un best-seller. Après le décès de sa deuxième épouse, il se remarie  avec Pegeen Vail, fille de Peggy Guggenheim, et retourne définitivement en  France en 1946. Il s’installe près du jardin du Luxembourg, un quartier qu’il  ne quittera jamais. Alors que l’art abstrait connaît un très grand succès,  Hélion, à contre-courant, réinvente donc la figuration en abordant différents  styles et de nombreux sujets. Incompris, il peine à trouver sa place sur la  scène parisienne. C’est ainsi qu’en 1962 la galerie Louis Carré n’expose que  ses œuvres abstraites. Plus tard, en 1970, une première rétrospective de son  œuvre est présentée au Grand Palais. Tandis qu’il commence à connaître des  problèmes de vue, il est salué par la nouvelle génération de peintres.  Aujourd’hui il est considéré comme le précurseur des Nouveaux Fauves allemands  des années 1970 et des figuratifs des années 1980. Toutefois, on retient  généralement avant tout son œuvre des années 1930-1950. C’est ainsi qu’un grand  magazine artistique regrette que la présente rétrospective expose beaucoup plus  de tableaux figuratifs que de tableaux abstraits. Nous ne partageons pas ce  point de vue et apprécions beaucoup la vivacité des couleurs et le rythme de  ses compositions figuratives.
                Le  parcours en six grandes parties de la présente rétrospective est chronologique,  ce qui permet de bien comprendre l’évolution du style et des thèmes de Jean Hélion.
                Après  une brève introduction et deux tableaux figuratifs de 1928, «De la forme à la  figure, 1929-1939» nous montre son évolution dans l’art abstrait. Aux lignes  droites de ses toiles de 1929 à 1932, telle Composition  orthogonale, succèdent ses «équilibres» avec la réapparition de  courbes et la modulation de la couleur (Tensions  rouges, 1933; Équilibre sur fond  blanc, 1933). Peu à peu, à partir de 1936, apparaissent des formes  verticales évoquant des formes anthropomorphes. C’est la période dite des  «figures» (Figure rose, 1937) qui se  termine en 1939 avec Figure tombée.
                Le  changement est brutal dans la partie suivante «Entre réel et imaginaire,  1939-1951». On y voit tout d’abord des scènes de rue new yorkaise telles Au cycliste, 1939; Homme au parapluie et femme à la fenêtre,  1944 ; Les Salueurs, 1945. On y  voit aussi des portraits: Émile,  1939; Édouard, 1939; L’homme à la joue rouge, 1943.  Viennent ensuite des nus: Nu  renversé, 1946; À  rebours, 1947; Trois  nus et le gisant, 1950, ainsi que des «Allumeurs» (1944), des  «Journaliers» (Grande scène journalière,  1948; Journalier gris,  1947) et des «citrouilles» (La Belle  Étrusque (le porteur de citrouille), 1948).
                Ce  renouveau du style et des motifs se poursuit dans les sections suivantes. C’est  tout d’abord «Le parti pris des choses, 1950-1967)» où apparaissent les motifs  des «mannequineries» (Grande  mannequinerie, 1951), des paysages (Marronniers, 1954; Le Grand  Brabant, 1957) ; des natures mortes (Chrysanthème, 1951; Nature morte aux harengs, 1952) et  de grandes compositions très élaborées telle L’Atelier,  1953, que vient d’acquérir le Musée d’art moderne de Paris. Cette section se  termine par le premier des trois grands triptyques présentés ici, Le Triptyque du Dragon, de près de dix  mètres de long, où il déploie les thèmes qui ont façonné son œuvre. 
                Dans  «Quartier libre, 1968-1980» nous voyons tout ce que les manifestations de Mai  1968 apportent à Jean Hélion. Il traduit tout d’abord cet événement dans un  grand triptyque présenté à la sortie de l’exposition, Choses vues en mai, 1969. Il s’en  prend également aux monuments du 11 novembre qu’il caricature dans Suite pour le 11 novembre, 1976. Paris lui  offre aussi de nouveaux thèmes, plutôt amusants, comme cette Escalade  chapelière, 1978 ou cette Suite pucière, 1977. Cette période se  termine avec un troisième triptyque, Jugement  dernier des choses, 1978-1979, curieusement  exposé dans la section suivante. Dans celui-ci, il réunit l’ensemble de ses  thèmes et objets fétiches, présentés sous la forme d’un étal de marché aux  puces.
                La  dernière partie, «À perte de vue, 1981-1983», nous montre des toiles peintes  alors qu’Hélion est presque aveugle. Il y recycle tous les thèmes de sa vie (Suite vaniteuse à l'atelier, 1982; Trombone pour un peintre, 1983) et  montre le combat qu’il mène face à la toile (Le  Peintre piétiné par son modèle, 1983; Chute libre, 1983; Les  Relevailles, 1983). On y voit aussi plusieurs autoportraits  particulièrement émouvants. Une exposition grandiose, colorée et distrayante. R.P. Musée d’Art Moderne de Paris 16e. Jusqu’au 18 août 2024.   Lien : www.mam.paris.fr.