CAILLEBOTTE. Peindre les hommes. Le Musée Jacquemart-André nous avait proposé en 2011 une exposition sur les frères Caillebotte: Gustave, le peintre, et Martial, le photographe (Lettre 327). Pour célébrer le 130e anniversaire de la mort précoce de Gustave Caillebotte (1848-1894) et le fameux legs de sa collection de peintures impressionnistes à l’État, que Renoir, son exécuteur testamentaire, eu bien du mal à faire accepter, le musée d’Orsay nous présente une rétrospective prodigieuse de Caillebotte axée sur sa prédilection pour les figures et les portraits d’hommes. Pour cela ce ne sont pas moins de 144 œuvres qui sont exposées, dont 65 peintures à l’huile et 4 pastels.
À la fois chronologique et thématique, l’exposition retrace la carrière de Caillebotte en 10 salles qui explorent ses grands sujets de prédilection. Après une introduction où les commissaires nous montrent l’intérêt que l’artiste portait aux portraits masculins, à l’inverse des autres peintres impressionnistes, le parcours commence par un rappel de la vie militaire de Caillebotte. Tiré au sort pour faire son service militaire il y échappa, son père payant un «remplaçant». Par contre, sous la IIIe République, il est versé dans la réserve active et effectue deux périodes d’exercice. Sur ce sujet, nous voyons un portrait en pied de Soldat (1881) et deux petites peintures pittoresques, des pochades aux dires des commissaires, peintes en 1870 dans la villégiature de ses parents à Yerres où des soldats bivouaquaient.
La deuxième salle « Gustave et ses frères », nous présente la famille Caillebotte. On y voit le remarquable portrait de René, l’un de ses petits frères, Jeune homme à sa fenêtre (1876), dans une de ces poses inédites qu’affectionne l’artiste, de dos, regardant par la fenêtre. René mourra, peut-être par suicide, quelques mois après la réalisation de ce tableau. Nous y trouvons aussi une peinture inachevée, Le Billard (vers 1875), une activité réservée aux familles fortunées, et une photographie de Martial et Gustave Caillebotte dans The Philatelic record, rappelant que les deux frères avaient une importante collection de timbres. Parmi les autres toiles, nous avons un portrait de Céleste (Portrait de Madame C..., 1877) sa mère, d’un cousin germain de celle-ci (Portrait de M.E.D. [Portrait d'Eugène Daufresne lisant], 1878) et surtout d’une scène intime, Déjeuner (1876) où l’on voit son frère découper sa viande tandis que sa mère est servie par son maître d’hôtel. En revanche, nous ne connaissons aucun portrait de son père.
La section suivante, «Au travail et à l’œuvre» nous montre l’une de ses toiles les plus célèbres, Raboteurs de parquets (1875) ainsi que Peintres en bâtiments (1877). Ce qui est intéressant ce sont aussi toutes les études préparatoires, faites selon l’enseignement de l’époque, qui accompagnent ces deux toiles. Il en est de même avec «La ville est à nous» où l’on voit les non moins célèbres Le Pont de l’Europe (1876) et Rue de Paris, temps de pluie (1877) avec les études préparatoires, dont une grande partie sont exposées dans la section suivante. Celle-ci est consacrée au costume masculin, depuis la blouse d’ouvrier jusqu’au très chic costume du Portrait de Paul Hugot (1878).
Caillebotte se singularise avec des cadrages dont certains n’apparaîtront qu’avec la photographie. Nous avons vu le portrait de dos de son frère. Dans la section «Hommes au balcon», Caillebotte peint la ville en contre-plongée avec sur certaines toiles des hommes qui regardent la rue dans un terrible isolement. Ce sont les mêmes que l’on retrouve dans tous ces «Portraits de célibataires» présentés dans la salle suivante. Caillebotte rompt avec les portraits académiques. Ses personnages ne semblent pas poser, voire regardent ailleurs. Caillebotte était célibataire et sans enfant. Il vécut avec une certaine Charlotte Berthier, que l’on voit sans doute dans le tableau Intérieur [Intérieur, femme lisant] (1880), à qui il légat une petite maison et une rente. La plupart de ses amis sont eux aussi célibataires. Nous les retrouvons dans son unique tableau de groupe masculin La Partie de bésigue (vers 1881). On voit également dans cette salle son Autoportrait au chevalet (1879) où il se représente, à rebours des conventions du genre, avec un homme en arrière-plan lisant son journal sous Bal du moulin de la Galette de Renoir, le fleuron de sa collection.
Avec «Peindre le corps nu», nous avons trois grandes toiles de nus représentés sans concession ni idéalisation. Ce sont les rares tableaux de ce genre peints par Caillebotte, tous les trois au début des années 1880. À côté d’un nu féminin, Nu au divan (vers 1880), dont le système pileux est visible, sont présentés Homme au bain (1884) et Homme s’essuyant la jambe (vers 1884), deux sujets s’apparentant aux tableaux de Degas mais avec des hommes.
Les deux dernières sections, «Caillebotte et les sportsmen» et «Les plaisirs d’un amateur» sont consacrées aux loisirs de l’artiste. Ce sont tout d’abord des scènes de baignade et de promenade en périssoire, une embarcation à une seule place qu’affectionnait particulièrement l’artiste, sur l’Yerres, la rivière qui bordait la résidence de villégiature de sa famille. Puis des scènes de promenade au bord de la mer ou de la Seine, ou encore sur de petits chemins. Des tableaux de potager ou de roses au Petit-Gennevilliers, où Caillebotte avait une maison dans laquelle il aimait jardiner. Et l’on finit avec des voiliers sur la Seine. L’artiste, vu son statut social, était vice-président du Cercle de la Voile de Paris. Il faisait des régates à Argenteuil et au Havre et dessinait des bateaux. Cette exposition exceptionnelle sera reprise à Los Angeles et à Chicago en 2025. Surtout ne la manquez pas. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 19 janvier 2025. Lien : www.musee-orsay.fr.