CHAGALL, LISSITZKY, MALÉVITCH ...
L'avant-garde russe à Vitebsk

Article publié dans la Lettre n° 454
du 9 mai 2018


 
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CHAGALL, LISSITZKY, MALÉVITCH ... L'avant-garde russe à Vitebsk. Vivant à Petrograd, Marc Chagall est témoin direct de la révolution bolchevique qui bouleverse la Russie en 1917. Une loi abrogeant toute discrimination nationale et religieuse lui confère, à lui l’artiste juif, un statut de citoyen à part entière. Voulant offrir aux jeunes de Vitebsk, sa ville natale, aujourd’hui en Biélorussie, un enseignement artistique de qualité, il propose d’y créer une école d’art révolutionnaire, ouverte à tous, sans restriction d’âge, et gratuite, ainsi qu’un musée. Son projet est accepté et il est nommé commissaire aux beaux-arts de la province de Vitebsk avec pour première mission d’organiser les festivités du premier anniversaire de la Révolution d’Octobre.
La présente exposition, qui célèbre le centenaire de la nomination de Chagall à ce poste, retrace l’histoire de cette école avec quelque 250 œuvres et documents provenant des grandes institutions russes et des collections européennes et américaines.
Elle s’ouvre sur une première salle où l’on trouve quelques-uns des chefs-d’œuvre de Chagall peints à cette époque. Ceux-ci, comme Le Double Portrait au verre de vin (1917) ou Au-dessus de la ville (1918) témoignent du bonheur de Chagall et de sa femme Bella. On y voit aussi des esquisses qu’il réalisa pour les décorations de l’anniversaire de la Révolution, le 7 novembre 2018, telles que En avant, en avant ou Paix aux chaumières - guerre aux palais.
L’École populaire d’art ouvre le 28 janvier 1918 avec 120 élèves, essentiellement des garçons juifs issus de familles ouvrières. Chagall a fait venir des professeurs couvrant tous les styles, aussi bien figuratifs (Iouri Pen, son ancien professeur, Robert Falk, Ivan Pouni …) qu’abstraits (El Lissitzky …). Pour l’atelier de sculpture, il fait appel au jeune David Iakerson. Nous voyons des toiles et des sculptures de tous ces artistes ainsi que de certains de leurs élèves comme Lazar Khidekel.
Il est clair que les confrontations entre les tenants d’une peinture réaliste, comme Chagall, et ceux qui défendaient l’art abstrait comme El Lissitzky et Kazimir Malévitch, fondateur du suprématisme, invité à Vitebsk par Lissitzky, étaient vives. Néanmoins, les deux formes d’expression furent toujours enseignées conjointement. Chagall se plaisait à expliquer « qu’un carré sur la toile est un objet, ni plus ni moins qu’une chaise ou une commode ». Lui-même, face aux tenants du suprématisme qui défendaient l’œuvre collective, écartant d’elle toute dimension trop personnelle, signait ses toiles de manière ostentatoire et multipliait les autoportraits ! Finalement, désabusé, il quitte Vitebsk en juin 1920, conservant une certaine rancœur à l’encontre de Lissitzky (un traître) et de Malévitch (un usurpateur) !
Architecte de formation, Lissitzky joue un rôle capital dans la transmission de ces idées nouvelles. Il crée les Prouns, acronyme signifiant « projets d’affirmation du nouveau en art », qui propose de déplier le volume architectural pour l’adapter au plan pictural. Lui-aussi quitte Vitebsk, durant l’hiver 1920, pour rallier le jeune mouvement constructiviste, puis s’installe en Allemagne en 1922 où il fait évoluer ses Prouns vers la troisième dimension.
C’est justement en février 1920 que professeurs et étudiants de l’école forment un collectif qui prend pour nom Ounovis, littéralement « les affirmateurs du nouveau en art ». Ils souhaitent fonder un « parti du suprématisme » et, plein d’enthousiasme, conçoivent pour la ville des affiches, des revues, des banderoles, des tribunes d’orateurs (nous pouvons voir la reconstitution de l’une d’entre elles) et même des cartes d’alimentation. Ils organisent des expositions collectives à Vitebsk et à Moscou et ouvrent des sections locales dans d’autres villes.
Nous avons vu que le projet de Chagall incluait un musée. Peu à peu, des œuvres sont envoyées de Moscou à Vitebsk. En décembre 1919, Chagall organise la « Première exposition d’État d’œuvres de peintres locaux et moscovites » réunissant 241 œuvres de 41 artistes. Cette manifestation se veut une introduction aux principaux courants russes depuis le réalisme jusqu’à l’art abstrait, via l’impressionnisme, le cézannisme et le cubisme. On y trouve des tableaux de Pen et Lissitzky et aussi de Kandinsky et Olga Rozanova. Quelques-unes de ces toiles ont été rassemblées dans cette exposition.
Après 1921, le climat politique change progressivement. Les autorités commencent à évincer les courants artistiques qui ne servent pas directement leurs intérêts. En mai 1922, la première promotion de l’école de Vitebsk est aussi la dernière. En juin, Malévitch part pour Pétrograd avec certains de ses étudiants pour y poursuivre ses réflexions sur un suprématisme volumétrique. Lissitzky est en Allemagne et Chagall travaille pour le théâtre juif Kamerny à Moscou, où il vit depuis son départ. L’aventure de Vitebsk n’aura même pas duré quatre ans mais laissera un profond souvenir dans l’histoire de l’art. Cette exposition nous le rappelle brillamment. R.P. Centre Pompidou 4e (01.44.78.12.33). Lien : www.centrepompidou.fr.


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