AUX FRONTIÈRES DE L'HUMAIN

Article publié dans la Lettre n°542 du 2 mars 2022



 
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AUX FRONTIÈRES DE L’HUMAIN.  C’est une exposition conçue avec l’assistance d’une vingtaine de scientifiques : anthropologues, ethnologues, éthologues, primatologues, naturalistes, biologistes, juristes, philosophes, médecins, spécialistes du sport, etc. Il y a donc un grand nombre de tableaux et de panneaux didactiques mais aussi toutes sortes de documents, d’objets et de vidéos.
Nous sommes accueillis par Quadrum (2021), une œuvre de Samuel Yal, conçue spécialement pour l’exposition. Elle évoque une silhouette humaine éclatée, faite avec des fragments de porcelaine suspendus à des fils de nylon. L’artiste a voulu montrer une humanité en suspens, incertaine de son avenir.
Viennent ensuite cinq sections aux titres provocateurs : « Je suis un animal d’exception », « Je suis un champion », « Je suis un cyborg », « Je suis un mutant », « Je suis immortel ». Dans chacune d’entre elles, les commissaires justifient et relativisent ces affirmations. Pour illustrer l’animal d’exception, l’artiste Marcus Coates a conçu Kinship, une autre commande du musée de l’Homme (2021). Elle représente une famille avec deux enfants, grandeur nature, hybridée avec des animaux (cerf, blaireau, lièvre, cheval) pour illustrer les relations physiques ou imaginaires entre l’homme et la nature. On note qu’il y a peu de caractéristiques propres à l’homme. La bipédie, la fabrication d’outils, la collaboration, les capacités mentales (mémoire, résolution de situations complexes), langage, conscience de soi, émotions, se retrouvent chez des animaux. Finalement, il ne reste que le redressement du premier gros orteil du pied ( !), un langage articulé complexe et une capacité d’abstraction artistique qui nous permettent de se poser la question de la frontière entre l’Homme et l’animal. Parmi les illustrations de ces propos, nous avons une vidéo qui montre l’habileté d’un poisson-ballon traçant une superbe rosace dans le sable pour séduire les femelles ou encore Sans titre (1957), une peinture à l’huile du singe Congo.
« Je suis un champion », mais Usain Bolt, l'homme réputé le plus rapide du monde au sprint, ne se déplace en réalité qu'à la vitesse d'un chat, tandis que le guépard est capable de pointes à 100 km/h. Même chose pour Michael Phelps, le nageur aux 23 titres olympiques, le premier à avoir nagé 50 m en moins de 50 secondes (36 km/h) qui est moins rapide qu’une carpe, sans parler de l’espadon, capable d’atteindre les 90 km/h. Tout le monde ne peut pas devenir un champion. Chaque sport nécessite un certain morphotype, repéré aujourd’hui par des organismes comme l’INSEP, l’institut du sport, de l’expertise et de la performance. Des photos grandeur nature de trois champions, Marie-Amélie Le Fur, Teddy Riner et Mélanie de Jesus Dos Santos, nous permettent de comparer notre silhouette à la leur. Mais le morphotype ne suffit pas. Il faut aussi de l’entraînement, des gestes particuliers comme le saut en hauteur de Dick Fosbury, le service de John McEnroe ou la roulette de Zidane, dont on voit la marionnette des « Guignols de l’info », et des matériaux adaptés pour prétendre à des records. Une installation faite de chaussures illustre cette exigence.
« Je suis un cyborg » est la section la plus spectaculaire, avec une sculpture de Lee Bull, Cyborg W3 (1998), des équipements de toutes sortes dans des vitrines, un grand nombre de photographies, des vidéos, etc. L’homme se rapproche du héros de science-fiction grâce aux prothèses, aux greffes, aux exosquelettes, aux implants et même au corps connecté. Tout cela existe déjà. Les prothèses permettent de prolonger ou de remplacer un organe. On arrive aujourd’hui à faire des prothèses bioniques, c’est-à-dire connectées au système nerveux. L’industrie utilise des exosquelettes, par exemple pour permettre le maniement de charges lourdes. Il y a aussi toutes sortes d’implants comme les cristallins, les prothèses du genou ou les pacemakers. Certains utilisent ces moyens pour faire de leur corps une œuvre d’art (Lukas Zpira) ou se différencier du commun des mortels tel le mannequin sans avant-bras Kelly Knox.
On franchit une nouvelle étape avec « Je suis un mutant ». Cette fois on ne sélectionne pas un humain, on ne l’améliore pas non plus, on le conçoit grâce à la PMA (procréation médicalement assistée), la GPA (gestation pour autrui), la FIV (fécondation in vitro), le DPN (diagnostic prénatal), voire le DPI (diagnostic préimplantatoire). Ces techniques permettent donc non seulement de compenser des déficiences physiques mais aussi de sélectionner les « bons » embryons. Mais on va déjà plus loin avec la modification du génome grâce aux ciseaux moléculaires comme cela a été fait en Chine en 2018. On atteint les limites de la science sur le plan éthique.
Cette section présente une œuvre contemporaine sidérante, The Bond (2016), de Patricia Piccinini. Il s’agit d’une mère tenant affectueusement dans ses bras un enfant transgénique monstrueux. Ainsi, son dos imite la semelle d’une chaussure de sport. On a aussi un tableau illustrant les différentes techniques ci-dessus et un jeu interactif de la PBC, la Perfect Baby Company, permettant de configurer l’enfant que l’on désire. Les résultats sont parfois inattendus.
Grâce à tout cela « Je suis immortel » comme le proclame la cinquième section. En 2020, 20 000 français ont plus de 100 ans et Jeanne Calment a vécu 122 ans. Mais un requin du Groenland a vécu 392 ans et Ming la palourde 507 ans. Depuis plus de 100 000 ans, sur tous les continents, l’Homme a procédé à des rituels funéraires pour préparer le défunt à son voyage vers l’au-delà ou à sa vie dans un autre monde. Un grand nombre d’objets, urnes funéraires, portraits de tombe, têtes réduites, crânes d’ancêtres, crânes trophées, vanités de toutes sortes, illustrent ces pratiques. On évoque aussi des techniques futuristes comme la cryogénisation ou l’uploading du cerveau, consistant à télécharger son esprit dans une interface digitale !
Mais il faut bien revenir à des considérations plus terre à terre. La section six nous le déclare d’emblée : « On  va tous y passer ! ». Après un passage dans un couloir où sont projetés toutes sortes de films catastrophes où la nature est capable de nous anéantir, on arrive dans une salle où est évoquée, au mieux une crise de la biodiversité, au pire une sixième extinction de masse. Il y en a déjà eu quatre au cours des 500 derniers millions d’années, la plus connue, il y a 65 millions d’années, ayant exterminé les dinosaures. Pourquoi pas une sixième qui serait, cette fois, provoquée par l’Homme ? Une installation avec des animaux et des plantes vivant en France, provenant toutes du Muséum national d’Histoire naturelle, nous montre une vingtaine d’espèces (oiseaux, mammifères, amphibiens, crustacés, conifères,…), en voie de disparition.
En guise d’épilogue, les commissaires nous font dire par Laure Noualhat, une journaliste spécialisée, que tout n’est pas perdu, mais il faudrait pour cela moins de technologie et davantage d’autolimitation, tant au niveau individuel que collectif. Ce n’est pas le constat que l’on peut faire aujourd’hui. Une exposition magistrale, agréable à visiter, porteuse d’interrogations primordiales. R.P. Musée de l’Homme 16e. Jusqu’au 30 mai 2022. Lien : www.museedelhomme.fr.


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