AU-DELÀ DES ÉTOILES
Le paysage mystique de Monet à Kandinsky

Article publié dans la Lettre n° 419
du 20 mars 2017


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AU-DELÀ DES ÉTOILES. Le paysage mystique de Monet à Kandinsky. Voici un sujet original traité par le musée d’Orsay en collaboration avec l’Art Gallery of Ontario de Toronto qui en a eu l’initiative. Les commissaires posent la question de la présence du mysticisme dans la peinture, y compris à l’insu des peintres. En effet si le mysticisme est l’art de dépasser les réalités matérielles pour approcher les mystères de l’existence et expérimenter l’oubli de soi-même dans l’unité parfaite avec le cosmos, la contemplation de certains tableaux peut y contribuer. C’est justement par ce thème de la « Contemplation » que s’ouvre l’exposition avec quelques-uns des tableaux de Monet issus de ses célèbres séries, comme les Peupliers, les Meules et surtout la Cathédrale de Rouen dont il fit plus de trente toiles entre avril et février 1892, puis durant la même période l’année suivante. Cette série montrant le même sujet à des époques de l’année, des heures de la journée et des conditions climatiques différentes, est propice à provoquer un état contemplatif chez celui qui la regarde car elle exprime ainsi le cycle de la vie. D’autres tableaux peuvent avoir le même effet sur le spectateur. C’est le cas avec certains de Vincent Van Gogh (Les Oliviers, 1889), Odilon Redon (Arbres sur un fond jaune, 1901), Gustave Klimt (Rosiers sous les arbres, 1905), Henri le Sidaner (Le Jardin blanc au crépuscule, 1912). Avec ses Nymphéas, Monet ouvre la voie à l’abstraction, représentée ici par des tableaux de Mondrian (Pommier, version pointilliste, 1908-1909) et surtout Kandinsky (Accord réciproque, 1942).
Dans le prolongement des paysages précédents, la section « Bois sacrés » fait référence aussi bien à Maeterlinck, pour qui la forêt permet à l’homme de renouer avec la nature, qu’à Baudelaire, pour qui les arbres sont comme des piliers qui relient le monde matériel à une réalité supérieure. Le thème du « bois sacré » a été adopté par Gauguin et les peintres Nabis lors de leurs séjours à Pont-Aven. A côté de Maurice Denis dont on voit cinq toiles, en particulier La Lutte de Jacob avec l’Ange (1893), cette section est illustrée par des tableaux d’Émile Bernard (Madeleine au Bois d’Amour, 1888), Georges Lacombe (La Forêt au sol rouge, 1891), Paul Sérisier (L’Incantation, ou Le Bois sacré, 1891) et quelques autres.
Avec « Le Divin dans la nature », les commissaires montrent que certains peintres ont vu dans le paysage le moyen de traduire l’interrogation de l’homme par rapport à la création. Nous avons aussi bien des peintres comme Van Gogh (Le Semeur, 1888) ou Gauguin (Au-dessus de l’abîme, 1888) qui accaparent les métaphores chrétiennes en les inscrivant dans le paysage local, que des peintres qui laissent s’exprimer le paysage pour traduire le divin comme Segantini (L’Ange de la vie) ou Pellizza da Volpedo (Le Miroir de la vie, 1895-1898). Des tableaux de Sérusier, Redon, Puvis de Chavannes, Morbelli, Denis, complètent cette section.
Le thème suivant « L’idée du Nord » est le plus novateur, pour nous Français, car il nous fait découvrir des peintres qui utilisèrent la nature comme moyen d’expression pour traduire leurs questionnements d’ordre mystique. Les premiers sont des scandinaves comme Willumsem dont on voit le célèbre Jotunheim (1892-1893) au cadre magnifique, Strindberg (Vague VI, Vague VIII, 1901-1902) ou Fjaestad (Clair de lune en hiver, 1895) auxquels on a joint le suisse Hodler. Des artistes canadiens les découvrant lors d’une exposition à Buffalo, réalisent combien ces peintres sont proches de leurs propres aspirations. Ils fondent en 1920 le Groupe des Sept (Harris, MacDonald, Lismer, Varley, Carmichael, Johnston, Jackson) et définissent un style de représentation des paysages d’Amérique du Nord, intemporels, vides de présence humaine, avec une dimension sacrée assumée. Emily Carr, autre artiste canadienne dont on voit trois tableaux, milite quant à elle pour les cultures primitives (Eglise amérindienne, 1929).
Les artistes, les symbolistes en particulier, ont toujours été séduits par la nuit, temps du rêve et du mystère. C’est le titre de la cinquième section qui s’ouvre sur le magnifique tableau de Van Gogh, La Nuit étoilée (1888), à côté de deux toiles de Jansson, Hornsgatan, la nuit (1902) et Riddarfjärden à Stockholm (1898). La nuit peut aussi s’exprimer par un aveugle (Nielsen, L’Aveugle. Gjern, 1896-1898) ou par des vues crépusculaires telles celles de Fernand Khnopff (Des souvenirs de la Flandre. Un canal, 1904) ou d’Henri Le Sidaner (La Place Saint-Marc au crépuscule, 1907).
Une petite section est consacrée à Charles-Marie Dulac, un peintre décorateur qui, se sachant condamné, se convertit au catholicisme et devint un artiste des plus novateur en art sacré, s’attachant à représenter le sacré de la nature dans l’esprit de Saint François d’Assise.
Vient ensuite « Paysages dévastés », avec des champs de ruines, des corbeaux, des mares de sang, des attaques au gaz, des squelettes d’arbres, etc. témoignages de la guerre qui fit tant de victimes, y compris pour le Canada, qui envoya des peintres de guerre, futurs membres du Groupe des Sept.
L’exposition se termine en apothéose avec « Cosmos ». La science et le spiritisme se rejoignent lorsqu’il s’agit d’appréhender l’Univers, autre paysage mystique, où errent les âmes des défunts pour certains. Ce thème est illustré par plusieurs toiles de Georgia O’Keeffe et Arthur Garfield Dove, par Watts (Le Semeur d’Univers, 1902), Wenzel Hablick (Nuit étoilée, 1909 et Le Château de cristal en mer, fascinante toile de 1914), Munch (Le Soleil, 1910-1913) et aussi Hilma Af Klint (1862-1944) montrée pour la première fois en 1986, plus de vingt ans après sa mort, conformément à ses volontés car elle voulait s’assurer d’être comprise. Son Groupe X, n°3, Retable (1915), qui fait partie d’un triptyque monumental, est un condensé d’abstraction et d’ésotérisme. Une exposition passionnante et instructive qui nous ouvre des portes sur d’autres artistes. R.P. Musée d’Orsay 7e. Jusqu’au 25 juin 2017. Lien : www.musee-orsay.fr.


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