Parcours en images de l'exposition

LES ARTS EN FRANCE SOUS CHARLES VII (1422-1461)

avec des visuels mis à la disposition de la presse
et nos propres prises de vue

Parcours accompagnant l'article publié dans la Lettre n°592 du 24 avril 2024




Panneau d'accueil de l'exposition
 
Les arts en France sous Charles VII (1422‑1461)

Alors que l’art du XVe siècle en France a fait récemment l’objet de grandes expositions (Paris 1400 : les arts sous Charles VI et France 1500 : entre Moyen Âge et Renaissance), aucune rétrospective n’a éclairé jusqu’à présent la période artistique intermédiaire.
L’exposition entend offrir une synthèse non exhaustive des arts au temps du règne de Charles VII dans les territoires sous obédience royale. Le contexte économique et politique est particulièrement chaotique. Le roi de France est déshérité en 1420 au profit du souverain anglais, la guerre de Cent Ans ne se termine qu’en 1453. Dans le domaine artistique, le royaume de France semble écrasé par ses deux puissants voisins, les Pays-Bas Bourguignons et l’Italie qui connaissent un essor sans précédent. Pourtant, les conditions de création, le statut et la diversité sociale des commanditaires, les foyers de production divers et centrifuges, la circulation des modèles à travers toutes les  techniques donnent à voir un autre visage des arts de cette époque, trop souvent réduite à un âge sombre traversé par la guerre, la famine et la misère.
Loin d’une approche nationaliste, le propos vise à montrer comment l’art du gothique international se transforme, comment les artistes actifs dans le royaume de France tels Barthélemy d’Eyck, Jean Fouquet, André d’Ypres ou bien d’autres anonymes reçoivent et filtrent les nouveautés flamandes (peinture à l’huile, illusionnisme, réalisme) et italiennes (art de la perspective, retour à l’antique), permettant un renouveau qui n’attendra pas le dernier quart du XVe siècle.
Affiche de l'exposition
 
Texte du panneau didactique


Introduction

Scénographie
 
Cartes des territoires et possessions

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LA RECONQUÊTE

Scénographie

Depuis 1420, les Anglais ont la mainmise sur le royaume et le dauphin, réfugié à Bourges, se trouve exclu de la succession. Il faut l’épopée de Jeanne d’Arc pour lui redonner confiance et permettre son sacre à Reims (1429). Après avoir fait la paix avec la Bourgogne (1435), Charles VII se lance dans des réformes militaires et institutionnelles qui lui permettent de reconquérir les territoires aux Anglais (1453) et, progressivement, de mener à bien la réorganisation du royaume. D’une personnalité moins faible et indécise qu’il n’a été dit, il s’est montré amateur de livres et de faste. Autour de lui, ses grands officiers se sont comportés en mécènes éclairés, résolument engagés dans l’avant-garde artistique de leur temps.

 
Texte du panneau didactique
 
- Cotte de mailles provenant du champ de bataille de Formigny. Europe de l’Ouest, XVe siècle. Fer et alliage cuivreux. Caen, musée de Normandie.
- Epée d’arçon et d’estoc. France ?, Angleterre ?, vers 1450. Fer forgé. Prov. épave de la Dordogne, Castillon-la-Bataille.
Paris, musée de l’Armée.
Scénographie
La Reconquête militaire

Le roi Charles VII hérite à la mort de son père d'une situation politique très confuse. Les Anglais occupent la Normandie puis la capitale et, alliés au duc de Bourgogne, s'emparent du gouvernement du royaume (Traité de Troyes, 1420). Au jeune dauphin, retiré à Bourges, Jeanne d'Arc insuffle l'ardeur de reprendre les armes, de libérer Orléans et de se faire sacrer (Reims, 1429). Réconcilié avec Philippe le Bon (traité d'Arras, 1435), Charles VII entre dans Paris.
Sa réforme de l'armée lui assure des troupes disciplinées, équipées, largement pourvues en artillerie, dès lors capables de reconquérir la Normandie (Formigny, 1450), puis la Guyenne (Castillon, 1453) et de mettre fin à la guerre de Cent ans.
 
Texte du panneau didactique
 
Traité de paix entre Charles VII et Philippe le Bon, duc de Bourgogne, ratifié par les ambassadeurs du roi de France, Arras, 21 septembre 1435. Parchemin, cire rouge. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Le meurtre de Jean sans Peur, duc de Bourgogne (1419), est à l'origine de l'alliance anglo-bourguignonne. Après son sacre (1429), Charles VII cherche à faire la paix avec le nouveau duc, Philippe le Bon. Il y parvient en 1435 par le traité d'Arras. L'exemplaire, ici présenté, a été ratifié par les douze ambassadeurs de Charles VII, chacun ayant signé au-dessus de son sceau. Il a été replié et scellé par le connétable Arthur de Richemont.
 
Enseigne politique du parti du Dauphin : dauphin. Début XVe siècle. Plomb étain moulé. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais (Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Jean-Gilles Berizzi.
 
Chambres à poudre de veuglaire. France du Nord ou Flandre, 2e – 3e quart du XVe siècle. Fer forgé. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.
Jeanne d’Arc. Lettre aux habitants de Reims, Sully-sur-Loire, 16 mars 1430. Parchemin. Reims, archives municipales et communautaires du Grand Reims.

Dotée d'une grande hardiesse et d’un réel pouvoir de persuasion, Jeanne d'Arc envoie de nombreux messages. Cinq de ses lettres sont conservées. À peine un an après le sacre du roi à Reims (7 juillet 1429), elle tente ici de réconforter les Rémois qui redoutent un siège (16 mars 1430). La missive est signée mais, elle qui déclare: «Je ne sais ni A ni B», a-t-elle elle-même tracé son nom sur le parchemin ou l'a-t-elle dicté à un secrétaire?
 
Clément de Fauquembergue. Registre du parlement de Paris, Paris, 1428-1436. Parchemin. Paris, Archives nationales de France.
 
Commentaire sur le dessin figurant dans la marge du registre ci-contre.
Scénographie
Scénographie
La Reconquête politique et artistique

Sa couronne recouvrée (1429), Charles VII s'impose progressivement dans son royaume. Pour pallier le manque de ressources, il prend appui sur les villes qui lui assurent des recettes fiscales régulières. Il se rallie le soutien de l'Église (Pragmatique sanction, 1438) et surmonte la coalition des grands (Praguerie, 1440).
Très attaché à la réforme de la justice (Ordonnance de Montils-les-Tours, 1454), il refonde l'État et rétablit son autorité, quitte à organiser quelques procès exemplaires (Jacques Cœur, Jean Il d'Alençon, réhabilitation de Jeanne d'Arc). Homme de réelle culture lui-même, bibliophile, il a laissé ses proches assurer les plus grandes commandes et développer leur penchant pour l'emblématique.
 
Texte du panneau didactique
 
Couple sous un dais (Charles et son épouse Marie, ou Ludovic de Savoie et son épouse Anne de Chypre ?). Pays-Bas du sud (Tournai ?), vers 1455-1460. Tapisserie, laine et soie. Paris, musée des Arts décoratifs. Peintre-verrier anonyme sur un carton de l’atelier d’André d’Ypres.
Arrêt du Parlement renvoyant les conclusions d’un procès pendant entre Charles de Bourgogne, comte de Nevers et de Rethel, et le roi, au sujet des biens d’un bâtard. Paris, 22 février 1455 (n. st.). Parchemin, cire. Paris, Archives nationales de France.

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Charte de Charles VII vidimant la charte de Philippe Auguste (1181) en faveur de l’abbaye Saint-Ambroise de Bourges. Bourges, septembre 1455. Parchemin, cire, soie. Bourges, archives départementales du Cher.

La confirmation d'une charte de Philippe Auguste, son aïeul, est l'occasion pour le roi de souligner la perpétuité de sa dynastie. L'initiale K de Karolus, hypertrophiée, intègre dans son fût fleurdelisé une triple couronne tandis que, sous sa diagonale, gite un cerf ailé à la bannière et à l'écu de France, un emblème emprunté à son père Charles VI. Complété par des lettrines fleurdelisées et florales, l'ensemble du décor glorifie le royaume des lis.
 
Maître de l’Arsenal 2695. Honoré Bouvet, L’Arbre des batailles, Angers, après août 1450. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l’Arsenal.

Dans son Arbre des batailles (vers 1389), Honoré Bouvet expose sa vision de l'ordre naturel du monde. Il dispose sur le registre supérieur les pape, cardinaux et curie pontificale et, sur le registre inférieur, le tiers état et les gens d'Église. C'est au niveau médian qu'il situe le roi - le dauphin - et la noblesse, que conduit ici le connétable de Richemont. Reconnaissable à son épée, Richemont est le commanditaire de ce luxueux exemplaire écrit soixante ans plus tôt.
 
Maître de Marguerite d’Orléans. Grandes Chroniques de France, Bourges, vers 1425-1430 (vers 1429 ?). Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Peintes à Bourges par le Maître de Marguerite d'Orléans, artiste formé à Paris qui va par la suite poursuivre sa carrière à Angers (?), Rennes et Poitiers, ces Chroniques de France ont très vraisemblablement été exécutées pour Charles VII. La présence au frontispice des armes de France et d’une miniature représentant le Baptême de Clovis incite à penser que le volume a pu être commandé dans le contexte de son sacre en 1429.
 
Jean Dauvet. Journal dressant les procès-verbaux des séquestres et de l’adjudication des biens de Jacques Cœur, 29 mai 1453 – 5 juillet 1457. Papier. Paris, Archives nationales de France.

Jacques Cœur, argentier depuis 1438, remet en ordre les finances et les monnaies royales. Engagé dans la draperie, les mines, la fabrication d’armures, le commerce du sel et du luxe, il est accusé en 1451 de prise illégale d'intérêts et de malversation. Si le roi épargne la vie du négociant, il charge Jean Dauvet de la liquidation de ses biens. Le journal de Dauvet est ouvert au jour de la criée qui annonce la vente des biens de Jacques Cœur (Bourges, 17 octobre 1453).
 
Recueil de poésies. Londres, 1439-1440; Blois, vers 1440-1465. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Fils de Louis Ier d'Orléans et de Valentine Visconti, Charles d'Orléans est fait prisonnier lors de la bataille d'Azincourt en 1415. Libéré près de vingt-cinq ans plus tard, il s'installe alors dans son château de Blois où il développe une cour brillante. Il possède une vaste bibliothèque dans laquelle figure ce recueil de poésies, partiellement autographe, commencé en Angleterre et poursuivi en France. On y trouve notamment ses œuvres, Charles d'Orléans étant en effet lui-même poète.
 
Maître du Boccace de Genève. Sanctio pragmatica et Ordonnances royaux pour la réformation de la justice, Paris, vers 1457-1458. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Le Maître de Boccace a représenté le roi en majesté, muni de son sceptre, symbole de justice, et entouré de ses conseillers parlementaires et ecclésiastiques. Ainsi s'ouvre une copie de l'Ordonnance de Montils-les-Tours, à l'origine de la réforme de la justice autour du Parlement de Paris. L'exemplaire comprend également la copie de la Pragmatique Sanction qui garantit les droits de l'Église de France, autre texte majeur du règne de Charles VII.
 
Colin d’Amiens et collaborateur (?). Recueil poétique, Paris, vers 1460-1461. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Français.

Étonnant par son format presque carré, ce recueil de poèmes initialement destiné à Charles VII comporte en fin de volume de grandes armes peintes posées devant un poème à la Vierge dont certaines lettres (sur le pourtour et dans les meubles des armes, ici les fleurs de lys) forment un autre texte: «Vive le très puissant roi de France Charles le septiesme». La mort du roi a entraîné des modifications du manuscrit qui a été finalement offert à Louis XI.
 
Registre ferré ou Livre des ordonnances de la Chambre des comptes de Paris, Paris, vers 1490. Parchemin. Paris, Archives nationales de France, musée.

Placé en tête de l'ordonnance de Bourges du 26 novembre 1447, le roi, figuré en souverain de justice (sceptre, robe et dais fleurdelisés) et entouré de ses principaux conseillers, reçoit le livre des mains d’un trésorier. Le registre rassemble les principales ordonnances de Charles VII qui, à partir de 1440, ont permis le rétablissement des finances royales (règlement, vérification des comptes, réunification de la Chambre des comptes...).
 
Annales des capitouls de Toulouse, Toulouse, 1352-1516. Parchemin. Toulouse, archives municipales.

Quelques mois après le roi, le 26 février 1443, la reine, Marie d'Anjou, et le dauphin, futur Louis XI, entrent dans Toulouse, escortés par les Capitouls en robes mi-parties de rouge et de noir. L'événement est consigné dans le registre des Annales de la cité. Le roi s'est en effet lancé dans un intense voyage en France centrale et méridionale afin de se rallier les villes. En remerciement de son soutien irréprochable, Toulouse obtient la création de son parlement.
 
Pierart Rasoir. Ostensoir offert par le dauphin Louis, futur Louis XI, Valenciennes, vers 1457-1461. Argent et argent doré. Prov.: collégiale Saint-Martin de Hal (aujourd’hui basilique Notre-Dame). Hal, basilique Saint-Martin.

En mauvais termes avec son père Charles VII, le futur Louis XI s'est réfugié sur les terres du duc de Bourgogne avec sa femme, Charlotte de Savoie. Leur fils Joachim mort (1459), ils offrent un ostensoir qui tend à exalter la nature solaire du Christ, avec pour socle, une mappemonde composée des trois parties du monde connues. Prestigieuse et rare pièce d'orfèvrerie, cette œuvre porte le poinçon de Valenciennes et celui de Pierart Rasoir.
Scénographie
Charles VII, un roi en représentation

«Charles VII, les lettres et les arts : un souci marginal». C'est ainsi que Philippe Contamine, spécialiste incontesté de Charles VII, qualifiait l'action du roi dans le domaine artistique. Si le contexte économique et politique n'a pas favorisé une commande royale pléthorique, les œuvres tout comme les archives révèlent une réalité plus nuancée: le roi sait utiliser l'emblématique (les cerfs ailés) et sa devise en trois couleurs (rouge, vert et blanc), dans l’orfèvrerie et le textile, pour mettre en scène son pouvoir. Il s'entoure des meilleurs artistes du temps afin de diffuser son image et affirmer sa légitimité. Ainsi, son portrait par Jean Fouquet et l'élément de dais royal constituent-ils d'éclatantes manifestations de cet intérêt, dont il est difficile de prendre la mesure, tant sont nombreuses les œuvres à avoir disparu.
 
Texte du panneau didactique
 
Jean Fouquet. Portrait de Charles VII, Tours, vers 1450-1455. Peinture à l’huile sur panneau de chêne. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec.

Peint sans doute après les campagnes victorieuses de Formigny (1450) et de Castillon (1453), le portrait de Charles VII de Jean Fouquet condense en une économie virtuose de moyens une symbolique royale nourrie des innovations de l’art flamand et italien. Représenté sans aménité, le roi n’a pour autant nul besoin des insignes de son pouvoir. Sa frontalité monumentale, servie par les rideaux qui le dévoilent telle une image divine suffit à exprimer la dignitas royale. Ce portrait révèle l’attention que le souverain porte aux arts et constitue un modèle du genre, dont le cadrage et les caractéristiques seront repris plus de soixante-dix ans plus tard par Clouet pour immortaliser François Ier.
 
Lissier anonyme, sur un carton de Jacob de Litemont (?). Tapisserie des cerfs ailés. Pays-Bas du sud ou nord de la France (?), entre 1453 et 1461. Tapisserie, laine et soie. Rouen, musée des Antiquités. © Musée-Métropole-Rouen-Normandie - Yohann Deslandes.

Dans son enclos clissé, l’élégant cerf ailé protégé par saint Michel est bientôt rejoint par deux autres. Par son emblématique, directement empruntée à Charles VII, cette tapisserie glorifie le roi de France qui a assuré le retour de la Normandie et de la Guyenne au sein du royaume. Il a été proposé de voir en Jacob de Litemont, l’auteur du carton, sans certitude mais, assurément, cette luxueuse tapisserie relève d’une commande très prestigieuse.
 
Description de la Tapisserie des cerfs ailés, ci-contre.
 
L’un des deux Sceaux de majesté de Charles VII apposés sur une charte datée de 1441 et une lettre d’abolition datée de 1449. Cire verte et lacs de soies rouge et verte. Paris, Archives nationales de France et Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.
 
Fragment de tapisserie aux emblèmes de la famille Jouvenel des Ursins. Tournai, milieu du XVe siècle ? Laine et soie. Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art.

L'ours et l'ursine (acanthe des jardins) sont les emblèmes parlants de la famille Jouvenel des Ursins. Connaissant une ascension sociale remarquable, les Jouvenel servent Charles VII fidèlement sur deux générations: Jean fut prévôt des marchands et président du Parlement de Paris. Ses fils, Guillaume, chancelier du roi, et Jean II, archevêque de Reims exercèrent des fonctions de première importance. Si on ignore pour quel membre de la famille ce fragment de tapisserie fut exécuté, il révèle le désir d'ostentation de son propriétaire qui la destinait probablement à orner son hôtel particulier.
Éléments de tombeau de Charles VII et Marie d’Anjou pour Saint-Denis: bustes du roi et de la reine, Paris, entre 1463 et 1465. Marbre et compléments de plâtre. Paris, musée du Louvre, département des Sculptures.

Dans un souci de légitimité dynastique, Charles VII déshérité par son père, et Marie d'Anjou, son épouse, élisent sépulture dans la chapelle funéraire de Charles V et Charles VI. Les deux gisants furent vandalisés à la Révolution française. Il ne reste aujourd'hui que ces bustes, considérablement repris à la fin du XVIIIe siècle. La véracité des traits des deux souverains est donc sujette à caution, mais l'on sait qu'un masque mortuaire fut réalisé sur le visage de Charles VII. Cette tradition, récente dans l'histoire des Valois, manifeste la mise en place de la théorie du double corps du roi, humain et mortel, politique et immortel.
La commande artistique servie par de grands officiers

Charles VII a été surnommé de son vivant le «bien servi». De fait, il s'entourait comme le voulait la tradition des grands princes de lis restés fidèles, les Orléans, les Anjou ou les Bourbons qui ont maintenu une commande artistique soutenue. Toutefois, la nouveauté de son règne réside dans la participation au gouvernement de grands dignitaires souvent issus de la bourgeoisie qui connaissent grâce au roi une ascension sociale fulgurante. Les Jouvenel des Ursins, Jacques Cœur, Étienne Chevalier, Simon de Varie, Dreux Budé, Laurens Gyrard, Prigent de Coëtivy sont de grands bibliophiles et font travailler les artistes les plus novateurs du temps. Ils constituent pour le roi une source d'émulation.
 
Texte du panneau didactique
 
Jean Haincelin (Maître de Dunois). Heures de Guillaume Jouvenel des Ursins, Paris, vers 1445-1450. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Tout autant que le fragment de tapisserie présenté à côté, les Heures du chancelier Guillaume Jouvenel témoignent de l'importance que le commanditaire accordait à l'emblématique (écu armorié porté par des oursons). Bibliophile accompli et amateur d'art au fait des nouveautés, il fait ici appel au talent de Jean Haincelin, héritier de l'enluminure parisienne des années 1430. Plus tard, il se fera portraiturer dans sa dignité de chancelier par Jean Fouquet (musée du Louvre).
 
Statue présumée de Jean de Dunois en saint Georges. Val-de-Loire, vers 1460-1470. Pierre. Châteaudun, chapelle du château. Classé au titre des Monuments Historiques, le 19 avril 2012.

Jean d'Orléans, fils illégitime du duc Louis d'Orléans, a servi Charles VII comme chef de guerre et mené des campagnes militaires déterminantes. Nommé grand chambellan et lieutenant général du royaume, il décide en 1450 de reconstruire le château de son comté de Dunois, dont la chapelle reçoit un programme de seize grandes statues. On a reconnu dans ce saint militaire un cryptoportrait du commanditaire en saint Georges, taillé par un atelier au fait de la sculpture néerlandaise, dont on peut aujourd'hui apprécier la polychromie tout récemment nettoyée.
 
Jean Haincelin (Maître de Dunois). Heures de Prigent de Coëtivy, Paris, vers 1443-1445. Parchemin. Dublin, Chester Beatty Library, Trustees of the Chester Beatty Library.

Autre grand bibliophile, Prigent de Coëtivy exerçait les fonctions d'amiral du roi. À ce titre, il a joué un rôle déterminant dans la reprise de la Normandie entre 1449 et 1450. Commandé à l’occasion de son mariage avec Marie de Rais en 1443, son livre d'Heures le figure en dévot devant saint Michel, devenu depuis Charles VII le patron du roi de France et pour cet amiral le symbole du Mont-Saint-Michel résistant aux Anglais. D'autres feuillets présentés plus loin démontrent sa profonde dévotion pour la Vierge ainsi que pour Joseph.


DIVERSITÉ DES FOYERS ARTISTIQUES

Scénographie

Malgré le contexte historique, le royaume de France offre un panorama artistique à la fois dynamique et contrasté. Si les années 1420-1440 ont en un sens marqué le pas, sauf dans les régions les plus épargnées, les deux dernières décennies du règne se caractérisent par un vrai renouveau. Paris reste certes un foyer de création actif pendant toute la période mais d’autres centres émergent. La commande artistique y est portée par de grands princes (Bretagne, Anjou, Bourbonnais), par une bourgeoisie montante (Touraine, Champagne) ou par un clergé entreprenant. Les artistes circulent, diffusant ainsi styles et modèles. Tous ces foyers n’offrent cependant ni la même vitalité ni la même perméabilité à la modernité. Les manuscrits enluminés sont omniprésents, mais sans doute faut-il y voir un biais dû à leur meilleure conservation.

 
Texte du panneau didactique
 
Lissier anonyme sur un carton de Jacob de Litemont (?). Dais de Charles VII, France ?, vers 1440-1450. Tapisserie, laine et soie. Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.

Seul exemple médiéval connu d'un dais royal, cette tapisserie exceptionnelle en formait la partie verticale et était installée derrière le roi quand il tenait conseil et rendait justice. L'iconographie du soleil l'assimilait au Christ roi de justice et les deux anges le couronnant sont un véritable manifeste politique : ce dais réaffirme le pouvoir de Charles VII, le couronnement représentant dans l'esprit de ses contemporains un des éléments constitutifs de la royauté. L'auteur du carton de la tapisserie a été identifié à Jacob de Litemont, artiste d'origine néerlandaise, peintre du roi.
 
Médailles de Charles VII dites les Calaisiennes. Emissions entre 1451 et 1460. Or, frappe. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Monnaies, Médailles et Antiques.

Ces monnaies, appelées improprement calaisiennes (Calais ne fut pas repris aux Anglais avant 1558), célèbrent la reconquête politique et militaire du roi. Peut-être commandées par ce dernier ou par un de ses grands officiers, elles constituaient très vraisemblablement des présents de haut prix récompensant alliances et soutiens fidèles. Elles furent frappées pendant la dernière décennie du règne du roi et mettent en avant dans les inscriptions bavardes ses succès militaires, ses réformes et sa légitimité autour de symboles exaltant la majesté royale (roi chevauchant ou trônant, écu armorié, croix).
 
Etienne Bobillet et Paul Mosselmann. Pleurants du monument funéraire de Jean de Berry, Val de Loire, vers 1450. Albâtre, traces de dorure. Paris, musée du Louvre, département des Sculptures.

Si Jean de Berry à choisi dès 1405 de faire élever son tombeau dans la Sainte Chapelle de Bourges et si Jean de Cambrai en a commencé la réalisation, la mort du duc en 1416 a mis un coup d'arrêt à l'entreprise. Duc de Berry, devenu roi de Bourges. Charles VII décide de le faire achever au début des années 1450. L'équipe rassemblée, qui compte les sculpteurs Étienne Bobillet et Paul Mosselmann, a eu à terminer l'architecture de marbre et le cortège des pleurants, véritables statuettes en ronde-bosse, avec de grands manteaux de deuil aux drapés animés, des attitudes variées et des visages expressifs.
Scénographie avec, à gauche, 4 vitraux appartenant à la Rose Sud d'Angers (voir ci-dessous). Celle-ci, exécutée par le peintre verrier André Robin, fait rayonner, autour de la figure de Dieu le Père (restée in situ), d'amples chardons, des rois de l'Apocalypse (ou des signes du zodiaque) et des anges. Tel un lis parmi les chardons, la monumentale Vierge à l'Enfant évoque l'image de la Bien-Aimée du Cantique des cantiques. La restauration de la Rose s’est achevée en 2023, les ajours exceptionnellement présentés ici seront remontés dans la cathédrale après l'exposition
Le Grand Ouest

Territoires restés fidèles au Dauphin devenu roi, l'Anjou, la Touraine et le Berry connaissent une vie artistique relativement importante, en particulier à partir du milieu du siècle. Le peintre et enlumineur Jean Fouquet domine la vie artistique à Tours, mais les sculpteurs travaillent aussi pour de riches commanditaires.
À Bourges, Jacques Cœur construit un hôtel et offre des œuvres à la cathédrale. Angers, capitale du duché de René d'Anjou, connaît également un exceptionnel développement dont témoignent encore de nombreux manuscrits (Maître de Rohan et Maître de Jouvenel) et une importante campagne de vitraux dans la cathédrale.
 
Texte du panneau didactique
 
Médaillon de l’Annonciation. Paris (?), 1er tiers du XVe siècle. Ivoire d’éléphant, traces de dorure et de polychromie. Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art.
 
D’après un modèle du Maître d’Adelaïde de Savoie (?), André Robin, peintre verrier. Branche de chardon, Vierge à l’Enfant, Vieillards de l’Apocalypse, Angers, 1451-1454. Verre, grisaille et jaune d’argent. Prov.: Angers, cathédrale Saint-Maurice, rose sud, ajours.Inférieurs; classée au titre des Monuments historiques en 1862.
 
Saint Symphorien, dit Louis de Châtillon. Bourges, 1420-1440. Pierre polychromée. Classé au titre des Monuments historiques, le 12 janvier 1913. Morogues, église paroissiale Saint-Symphorien.

Conservée dans l'église de Morogues, non loin de Bourges, cette statue reste encore entourée de mystère. Formant un groupe avec une Vierge et un saint Jean, elle a parfois été identifiée comme un portrait du gendre de Jean de Berry. Louis de Châtillon. La simplicité des formes. Son volume compact, mais creusé de fentes profondes ou le tombé vertical de ses drapés la placent néanmoins dans la suite du célèbre sculpteur Jean de Cambrai.
 
D’après un modèle du Maître d’Adelaïde de Savoie (?), André Robin, peintre verrier. Ange, Angers, 1451-1454. Verre, grisaille et jaune d’argent. Prov.: Angers, cathédrale Saint-Maurice, rose sud, ajours. Inférieurs; classée au titre des Monuments historiques en 1862.
 
D’après un modèle du Maître d’Adelaïde de Savoie (?), André Robin, peintre verrier. Ange, Angers, 1451-1454. Verre, grisaille et jaune d’argent. Prov.: Angers, cathédrale Saint-Maurice, rose sud, ajours. Inférieurs; classée au titre des Monuments historiques en 1862.
 
Anges. Val de Loire, avant 1456, vers 1460-1470. Pierre calcaire, traces de polychromie. Tours, musée des Beaux-Arts de Tours.

Portant les armes de Jean V de Bueil et de Jeanne de Montjean, ces deux anges (d une série de quatre) proviennent du tombeau érigé par la famille de Bueil dans la collégiale Saint-Michel de Bueil-en-Touraine (Indre-et-Loire). Amiral de France en 1450, Jean de Bueil a joué un rôle important dans la reconquête du royaume par Charles VII. Stylistiquement proches du gisant d'Agnès Sorel, ces anges montrent cependant une recherche d'animation plus marquée, avec des drapés épais et creusés, ou des cheveux agités de grosses mèches.
 
Maître du Boccace de Genève, Maître du Bèce Francais 809 et Maître de Jouvenel. Heures à l’usage de Rome, Angers, vers 1455-1460. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Exécutées pour un commanditaire inconnu, ces Heures à l'usage de Rome relèvent des productions les plus tardives du Groupe Jouvenel, ensemble d'enlumineurs actifs à Angers au milieu du siècle, autour du Maître de Jouvenel.
Scénographie
Guillaume Vluten. Éléments du tombeau d’Anne de Bourgogne, duchesse de Bedford. Tombeau commandé entre 1436 et 1442, mis en place en 1456. Gisant. Paris, vers 1442. Marbre blanc, marbre noir (dalle). Paris, musée du Louvre, département des sculptures.
 
Anne de Bourgogne, sœur du duc de Bourgogne Philippe le Bon, épouse du duc de Bedford et, en 1422, régent de France et d'Angleterre, est une personnalité du Paris anglo-bourguignon. Elle élit sépulture au couvent des Célestins.
Son frère, le duc, confie la réalisation du tombeau à Guillaume Vluten, tailleur d'images parisien peut-être d'origine flamande, à Jean James, maître des œuvres de la Ville de Paris et du roi, et à Gobin de Livry, «ymageur» à Paris.
Le dessin de Gaignières (vers 1700) nous apprend que le soubassement autour duquel se déroulait le cortège des pleurants avait été remplacé, sous Henri IV, par un enfeu, logé sous une voûte classique.

Érigé au lendemain du traité d'Arras, qui signe la réconciliation de Philippe le Bon avec Charles VII, et alors que le roi est à nouveau maître de Paris, le tombeau d'Anne de Bourgogne a valeur de manifeste politique. Il était à l'origine doté de sept pleurants, dans la lignée des grands tombeaux des ducs de Bourgogne. Mais leur drapé d'une simplicité presque abstraite fait aussi écho aux tombeaux parisiens du début du siècle.

Guillaume Vluten. Éléments du tombeau d’Anne de Bourgogne, duchesse de Bedford. Tombeau commandé entre 1436 et 1442, mis en place en 1456. Gisant (détail). Paris, vers 1442. Marbre blanc. Paris, musée du Louvre, département des sculptures.
 
Texte du panneau didactique
 
Le Bourbonnais

Ce foyer artistique se caractérise par de grandes commandes dans les arts monumentaux et précieux. Le duc de Bourbon Charles Ier joue un rôle déterminant. Il fait travailler Jacques Morel, artiste renommé, à sa sépulture et à celle de son épouse dans la collégiale de Souvigny qu'il fait ériger, en prenant pour illustre modèle les tombeaux des ducs de Bourgogne du début du XVe siècle. Le château de Moulins comme la chapelle de Riom sont les lieux d’une intense activité artistique, musicale et littéraire. Dans l'Armorial de Revel, Charles Ier fait mettre en scène l'héraldique de ses vassaux en une géographie inédite qui matérialise l'étendue de son pouvoir.
Scénographie.
 
Texte du panneau didactique
 
Guillaume Revel. Registre d’armes, dit Armorial Revel, Moulins, vers 1450-1460. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits.

Commandé par le duc de Bourbon Charles Ier avant de le dédier au roi Charles VII, l'Armorial consigne un état des armes des vassaux du duc sur ses terres de Bourbonnais, d'Auvergne et de Forez. Contrairement aux autres armoriaux existants, ne sont pas seulement figurées des armoiries, mais également des vues des territoires (villes, fief) dont elles relèvent. La ville de Moulins, ici vue du sud-ouest est l'occasion de représenter le château des ducs de Bourbons, centre du pouvoir.
 
Maître du Roman de la Rose de Vienne. Boccace, Des cas des nobles hommes et femmes; traduction de Laurent de Premierfait. Bourges (copie) et Lyon (enluminure), vers 1435-1440. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits.

Copié et enluminé pour Jean Paumier, receveur royal des finances à Lyon, l'ouvrage est caractéristique du style du Maître du Roman de la Rose de Vienne (nom de convention donné à partir d'un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale d'Autriche). Aujourd'hui identifié avec l'artiste Jean Hortart, il connaît l'art toscan comme en témoignent les paysages de l'arrière-plan de ce frontispice mettant en scène la  Fortune à cheval dispensant à l'aveugle honneurs et disgrâces.
 
Panneau semé de fleurs de lis. France, 2e tiers du XVe siècle ? Tapisserie, laine et soie. Paris, musée de Cluny-musée national du Moyen Âge.
 
Scénographie
Le Lyonnais

Lyon et ses alentours constituent sous le règne de Charles VII un territoire prospère, aux carrefours des échanges. S'il ne reste quasiment rien des arts précieux, alors que la ville comptait de nombreux orfèvres et brodeurs, architecture et vitraux de cette époque y sont encore visibles: dans la cathédrale Saint-Jean où Jacques Morel fait ses débuts en tant que maître d'œuvre, ou dans l'église de Saint-Nizier et de Saint-Paul. Dans le domaine de l'enluminure, une personnalité se dégage, le Maître du Roman de la Rose de Vienne (Jean Hortart ?). On a reconnu sa main dans une trentaine de manuscrits composés pour une clientèle principalement lyonnaise.
 
Texte du panneau didactique
 
D’après un modèle du Maître du Roman de la Rose de Vienne (?). Les Joueurs d’échecs, Lyon, vers 1450. Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb. Prov.: Villefranche-sur-Saône, hôtel de La Bessée. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Mathieu Rabeau.

Ce couple disposé autour d’un plateau d’échecs représente un rare exemple de décor de fenêtre civile. Le seigneur de la Bessée (Véran ou Humbert), échevin de Villefranche-sur-Saône, a sans doute commandé le carton au Maître du Roman de la Rose de Vienne (Jean Hortat ?). Connu pour sa production d’enluminures à Lyon et repéré un temps à Bourges, l’artiste se rappelle ici d’une des scènes courtoises – sculptées – de la façade de l’Hôtel Jacques Cœur.
Scénographie
La Bretagne

Épargnée par les grands affrontements de la fin de la guerre de Cent ans, la Bretagne connaît une relative prospérité. L'avènement du duc François Ier en 1442 marque un tournant avec son ralliement complet à Charles VII. Ce contexte plutôt favorable et la volonté des ducs d’affermir leur pouvoir expliquent le nombre de chantiers, notamment dans les cathédrales. Nantes et Rennes connaissent toutes deux une vie artistique, encore difficile à cerner, mais dont témoignent notamment de nombreux manuscrits enluminés.
 
Texte du panneau didactique.
 
Maître de Jean de Montauban et anonymes. Heures à l’usage de Rennes, dites Heures de Jean de Montauban, Rennes, vers 1440. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Ce livre d'heures témoigne de la grande inventivité des enlumineurs bretons. Il a été commandé par Jean de Montauban, proche du dauphin Louis (futur Louis XI), nommé maréchal de Bretagne en 1447, puis chambellan de Charles VII. L'enlumineur principal, qui tire son nom de convention de ce volume, se caractérise par son goût pour les couleurs intenses, parfois criardes, l'absence de modelé et les compositions denses, sans respiration.
Baiser de Judas. Portraits de Jean de Saint-Gilles et Jeanne de Tilly, son épouse. Bretagne, vers 1425-1430. Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb. Prov.: église Saint Martin de Betton. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Identifiable à sa cotte d'armes à lis d'argent, Jean de Saint-Gilles, seigneur de Betton, conseiller du duc Jean V de Bretagne et compagnon du connétable du roi Arthur de Richemont, offre deux verrières à l'église de Betton. L'une, consacrée à la Passion du Christ, se détache sur un damas de volubilis (lis). Celle de la chapelle seigneuriale à damassé de trèfles honore des figures de saints. L'ensemble reste très dépendant des modèles parisiens du début du siècle.
 
La Picardie

Située à la frontière des États Bourguignons, la Picardie est au plus près des innovations flamandes du temps. À Amiens, l’art de l’enluminure est florissant, tout comme ceux de la peinture, de l'orfèvrerie et de la sculpture, malgré la disparition quasi complète d'œuvres pour ces deux derniers domaines. Plusieurs artistes vont travailler dans les grandes villes de Flandres, à Bruges, comme le Maître des Heures Collins (Jean Marmion?) ou à Tournai pour André d'Ypres. Ils s'imprègnent directement de l'art de Jan van Eyck, Robert Campin ou Rogier van der Weyden et l'adaptent au style local, très coloré. Certaines de leurs œuvres s'exportent jusqu'en Espagne, telles les Heures Collins.
Scénographie
 
Texte du panneau didactique
 
Maître des Heures Collins. Heures à l’usage de Rome, dites Heures Collins, Bruges (?), vers 1445-1450. Parchemin. Paris, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge.

Le feuillet représentant une donatrice anonyme a appartenu à un livre d’Heures aujourd’hui conservé à Philadelphie (Museum of Art), donné en 1945 par Philip Collins. Il a été sorti de l’ouvrage dès 1575 en Espagne. Le style de l’artiste, minutieux et coloré, a été en effet apprécié à Valence où furent exportés ce livre d’Heures et sans doute certains de ses panneaux peints. Le Maître Collins est peut-être aujourd’hui à identifier avec Jean Marmion, père de Simon Marmion, enlumineur qui travaillera une génération plus tard à Valenciennes.
 
Maître des Heures Collins. Digne vesture au prestre souverain, dit Le Sacerdoce de la Vierge. Panneau pour le Puy d’Amiens. Amiens, 1437. Peinture à l’huile sur panneau de bois. Paris, musée du Louvre, département des Peintures.

C'est le plus ancien panneau conservé réalisé pour le Puy d'Amiens, confrérie littéraire et religieuse qui se réunissait tous les ans en la cathédrale. Il est l'œuvre d'un peintre et enlumineur actif à Amiens et à Bruges, le Maître des Heures Collins qui y démontre sa connaissance de l'art de Jan van Eyck (Vierge dans une église, Berlin, Gemäldegalerie). Le sujet iconographique représente le lien entre l'Ancien Testament, incarné par le vêtement de la Vierge, et le Nouveau Testament, figuré par le Christ en habit pontifical. Il a été inspiré par le métier de marchand mercier qu'exerçait Jean du Bos, commanditaire du tableau.
 
La Champagne

En 1420, c’est à Troyes qu'est conclu le traité livrant la couronne de France au roi d'Angleterre. La région est occupée mais libérée en 1429 par Jeanne d'Arc et ses compagnons. Charles VII est alors sacré à Reims, mais sans les insignes royaux conservés à Saint-Denis, sous contrôle anglais. Les armées sillonnent les campagnes, ce qui limite considérablement les chantiers de construction. On voit cependant émerger une nouvelle classe sociale de bourgeois enrichis, notamment au service du roi. Avides de luxe, ils permettent à des ateliers d'enlumineurs de prospérer au milieu du siècle.
Scénographie.
 
Texte du panneau didactique
 
Peintre et peintre-verrier anonymes, d’après le Maître de Giac ou le Maître de Rohan (?). Crucifixion, Champagne du Nord-Ouest (?), vers 1425-1430. Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Provenant très vraisemblablement de l'Hôtel-Dieu de Provins, ce panneau de vitrail illustre la diffusion en Champagne du style du Maître de Rohan ou de son collaborateur, peut-être un parent, le Maître de Giac, ce dernier ayant exécuté de nombreux manuscrits enluminés pour la bourgeoisie troyenne.
 
Maître du Missel de Troyes. Missel à l’usage de Troyes, dit Missel de Jean Coquet, Troyes, vers 1460. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Copié par Jean Coquet, chanoine régulier de Saint-Quentin pour une église troyenne non identifiée, ce missel est un des principaux volumes peints par l'anonyme Maître du Missel de Troyes (nom de convention donné d'après ce manuscrit). Coloriste affectionnant les teintes émaillées, l'artiste ne cède que très partiellement à la leçon de l'ars nova (avec un traitement timide de l'espace) pour développer de façon extravagante les pics rocheux hérités des frères Limbourg.
 
La Normandie

Conquis par les Anglais en 1417, le duché de Normandie n'est recouvré par le roi de France qu'à partir de 1449. Le 15 avril 1450 a lieu la bataille décisive de Formigny, près de Bayeux. La région semble avoir su tirer parti de l'occupation anglaise, comme en témoignent plusieurs chantiers d'architecture et de vitrerie, notamment à Rouen, avant que le retour dans le giron français n'entraîne une nouvelle vague de commandes artistiques. L'architecture flamboyante y apparaît précocement et des enlumineurs d'origine parisienne s'installent dans la capitale normande, certains partant en Angleterre lors de la libération de la ville.
Scénographie
 
Texte du panneau didactique
 
Anges aux instruments de la Passion et Ange en orant, autour de la Croix. Rouen, vers 1440-1450. Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb. Prov.: Rouen, église Saint-Maclou, chœur, classés au titre des Monuments historiques en 1838-1840. Rouen, dépôts de la Ville.
 
Maître de Fastolf. Heures à l’usage de Coutances, Normandie, vers 1420-1430. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l’Arsenal.

Formés à Paris, le Maître de Fastolf et le Maître de Talbot se sont installés à Rouen, tirant tous deux leur nom de convention d'un commanditaire anglais. Le premier est même parti en Angleterre après la reprise de la ville par Charles VII en 1449. Le livre d'heures qu'il enlumine pour un habitant de Coutances est typique des livres d'étal, ces productions stéréotypées préparées à l'avance. Le volume peint par son confrère, plus ambitieux, était manifestement une commande particulière, célébrant peut-être le retour de la prospérité.
Scénographie
Paris, une capitale sans roi

De 1418 à 1437, Paris est aux mains des Anglo-bourguignons. L'occupation entraîne un resserrement de la production artistique, néanmoins portée par quelques commanditaires, comme Jean de Lancastre, duc de Bedford, régent en France, qui s'adresse à l'atelier le plus florissant de la ville, celui du Maître de Bedford (Haincelin de Haguenau). Après la tentative infructueuse conduite par Jeanne d'Arc le 8 septembre 1429, les troupes de Charles VII prennent Paris en avril 1436. Si la ville demeure délaissée par le pouvoir royal, elle redevient, au tournant du siècle, une capitale artistique prolifique, irriguée par les nouveautés flamandes connues d'artistes comme le Maître de Dunois (Jean Haincelin).
 
Texte du panneau didactique.
 
Guillaume Vluten.
- Pleurant, Paris, 1436-1444. Marbre.
Paris, musée du Louvre, département des Sculptures (dépôt du musée de Cluny).
- Pleurant, Paris, 1436-1444. Marbre, rehauts d’or.
Paris, musée du Louvre, département des Sculptures.
Scénographie
 
Haincelin de Haguenau (Maître de Bedford), Jean Haincelin (Maître de Dunois) et  collaborateurs. Bréviaire du duc de Bedford, Paris, vers 1424-vers 1460. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Ce livre contenant des prières est une des commandes les plus ambitieuses de la librairie parisienne du XVe siècle. Il n’est pas achevé en 1435 au décès de son commanditaire, Jean de Lancastre, duc de Bedford, oncle d'Henri VI d'Angleterre et régent du royaume de France durant la minorité de ce dernier. Bedford est un grand bibliophile qui fait travailler à plusieurs reprises un enlumineur qui tire son nom de ce travail, identifié à Haincelin de Haguenau. Tout en puisant dans le répertoire parisien, il montre une connaissance précoce des peintres flamands contemporains.
 
Artiste non identifié actif entre Paris et la Picardie et Maître de la Légende dorée de Munich. Heures à l’usage de Paris. Paris ou Picardie, 1420-1425, et Paris, 1427-1440. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

D'abord possédé par John de Burgh, un Anglais ayant combattu en France, le manuscrit passe ensuite à Ralph Neville, comte de Westmorland, et son épouse Jeanne Beaufort, ici représentée avec ses filles et ses parentes. Leur portrait est dû au Maître de la Légende dorée de Munich, l’un des enlumineurs talentueux disponibles dans la capitale occupée, formé dans l'atelier du Maître de Bedford (Ralph Neville a combattu auprès du duc de Bedford). Ce remploi de livre peut s'expliquer par la pénurie de moyens et de matériaux à Paris.
 
Jean Haincelin (Maître de Dunois) (?). Jugement dernier, Paris, vers 1430-1435. Peinture à l’huile (?) sur toile. Paris, musée des Arts décoratifs.

Le Christ montrant ses plaies, posé sur une nuée de séraphins, surplombe l'assemblée de saints. Sous lui, saint Michel sonne l'heure du jugement. Le panneau peut être donné, avec précaution, au peintre et enlumineur parisien Maître de Dunois (Jean Haincelin), qui réalise de nombreuses scènes comparables. L'œuvre a été peinte directement sur la toile, un support alors également utilisé dans les Pays-Bas bourguignons: elle serait le plus ancien exemple français de ce type conservé à ce jour.
 
Reliquaire de la sainte Épine. Égypte, Xe-XIe siècle; Paris. Vers 1420-1450 (?). Cristal de roche, or fondu, ciselé, émaillé, perles, rubis. Reims, palais du Tau (dépôt de la CRMH Grand Est); classé au titre des Monuments historiques, le 28 février 1896.

L'orfèvrerie sous Charles VII est méconnue, à cause de l’effondrement de la demande et des pertes. Constitué d’une coupe de cristal de roche fatimide du Xe ou du XIe siècle, sertie de six bandes d'or rehaussées de rubis et de perles, et d'un ange émaillé sur ronde- bosse d'or tenant la Sainte Couronne, ce reliquaire, que de nouvelles découvertes éclairent, pourrait bien dater du règne de Charles VII. Il a sans doute été commandé à Paris par François Ier, duc de Bretagne de1427 à 1450.
Jean Haincelin (Maître de Dunois) (?). Trinité aux chanoines, Paris, vers 1445-1449. Peinture (tempera et huile ?) sur bois, brocarts appliqués. Paris, Beaux-Arts de Paris.

Ce tableau a été commandé par les chanoines de Notre-Dame de Paris, probablement pour orner l'autel de la Trinité, situé à l'arrière du maître-autel de la cathédrale. Agenouillés, vingt-quatre chanoines prient la Trinité, entourée d'une nuée de séraphins rouges. Le motif est repris du tournaisien Robert Campin (Maître de Flémalle), tout comme la technique précieuse vraisemblablement employée par Jean Haincelin qui bénéficie d’un accès précoce aux modèles flamands.


LES GERMES D'UN ART NOUVEAU

Scénographie

Et si le début de la Renaissance en France datait du règne de Charles VII ? Celui-ci porte en germes l’extraordinaire renouveau artistique de la fin XVe siècle. L’art à l’antique, en provenance d’une péninsule italienne qui aiguise les appétits politiques et artistiques, connaît ses premières percées, tandis que le réalisme à la flamande irrigue toutes les techniques. Le rayonnement de la cour de Bourgogne entraîne la diffusion de son modèle et de l’ars nova flamande. La création entre en rupture progressive avec le gothique international et se tourne vers une nouvelle vision de la réalité. La Renaissance italienne en pleine effervescence déborde des frontières de la péninsule et commence à inspirer artistes et commanditaires du nord des Alpes. Au centre de ces mouvements de fond, le royaume de Charles VII cherche sa propre modernité.

 
Texte du panneau didactique
 
Sainte Marie Madeleine, Avignon, vers 1446-1449. Pierre polychromée. Marseille, musée Grobet-Labadié.

En 1446, Jean Rolin, évêque d'Autun, son père, Nicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne, et sa mère, Marie des Landes, fondent une chapelle Saint-Lazare-et-Sainte-Madeleine dans l'église du couvent des Célestins d'Avignon. L'autel est doté de trois statues, parmi lesquelles la sainte Marie Madeleine dont les drapés complexes se rapportent à une production avignonnaise.
 
En Provence, l’Ars nova méditerranéenne

Situé au débouché de l'axe formé par le Rhône, gouverné par le roi René de 1434 à 1480 et heureusement épargné par les conflits de la guerre de Cent Ans, le comté de Provence voit se constituer un formidable creuset artistique. La cour suit les inclinations du roi René, tout comme le font les villes où dignitaires et marchands font travailler un large cercle d'artistes dont plusieurs proviennent des régions septentrionales. C'est le cas de Barthélémy d'Eyck, originaire du diocèse de Liège et peut-être apparenté à Jan van Eyck, qui se met au service du roi René. Le plus fameux de ces peintres est sans doute Enguerrand Quarton, originaire du diocèse de Laon, actif à Arles puis à Avignon. Ne se contentant pas d'apporter la langue artistique du nord, il bouleverse, par ses lumières crues, ses volumes découpés et ses émotions terribles, le cours de l’histoire des arts de la couleur.
Scénographie
 
Texte du panneau didactique
 
Barthélemy d’Eyck. René d’Anjou, Traité de la forme et devis comme on fait un tournoi, dit Le Livre des tournois. Angers (?), vers 1462-1465. Papier. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits. © Bibliothèque nationale de France.

Le manuscrit renferme le récit d’un tournoi idéal imaginé par René d’Anjou, probablement au début de son troisième séjour en Anjou, entre 1462 et 1465. Il est mis en images par Barthélemy d’Eyck à l’aquarelle et au lavis. Le tournoi ici en préparation va opposer le duc de Bretagne, l’appelant, et le duc de Bourbon, le défendant. Le décor occupe les deux tiers supérieurs de la page, selon une mise en scène nouvelle.
 
Barthélémy d’Eyck. Heures à l’usage de Paris, dites Heures de René d’Anjou. Provence ou Angers (?), entre 1459 et 1463. Parchemin. Enluminure. Paris, BnF, département des Manuscrits. © Bibliothèque nationale de France.
 
Vierge de douleur. D’après Barthélémy d’Eyck. Provence (?), vers 1450-1460. Camée d’agate, or. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Mathieu Rabeau.

Ce camée représente une Vierge, en Mater dolorosa. Celle-ci est pourvue d'une étoile, comme en écho à l'hymne marial Ave Maris Stella. Sa joue gauche porte une marque, très semblable à celle de la Vierge au voile bleu, enluminée par Barthélemy d'Eyck (Heures de René d’Anjou, présentées à côté). En effet, le duc René, roi de Naples de 1435 à 1442, a porté un intérêt particulier à l’art de la glyptique, que l'Italie de la Renaissance vient de remettre à l'honneur.
 
Barthélemy d’Eyck (?). Crucifixion, Aix-en-Provence (?), vers 1440-1450. Huile sur bois. Paris, musée du Louvre, département des Peintures.
 
D’après un carton de Jacques Daret. Délivrance de saint Pierre, Pays-Bas méridionaux, avant 1461. Laine et soie. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

La tapisserie comporte aux quatre angles les armes de Guillaume de Hellande, évêque de Beauvais de 1444 à 1462, et du chapitre de la cathédrale Saint-Pierre de la même ville. Elle est le fruit de la commande de ce chapitre cathédral auprès de l'un des grands centres de tapisserie des Pays-Bas bourguignons. C'est le peintre d'origine tournaisienne Jacques Daret, formé dans l'atelier de Robert Campin, qui en a donné les cartons. C'est grâce à l'importation d'œuvres comme celle-ci que les nouveautés se diffusent dans le royaume de Charles VII.
Pietà de Tarascon. Provence, peu avant 1457. Peinture mixte (tempera et huile) sur bois. Paris, musée de Cluny – musée du Moyen Âge (dépôt du musée du Louvre). © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Michel Urtado.

Ce tableau peut sans doute être assimilé au retable de la chambre neuve de la reine Jeanne de Laval, épouse du roi René, décrit dans l’inventaire du château à Tarascon en 1457. Cinq personnages, la Vierge, saint Jean et les trois Marie y veillent le Christ mort. Son peintre anonyme s’inscrit dans le sillage d’Enguerrand Quarton, comme en témoigne la frise en dents de scie et fleurettes qui subsiste sur le bord supérieur ou encore le geste délicat de saint Jean retirant la couronne d’épines de la tête du Christ, qu’on retrouve sur la fameuse Pietà de Villeneuve-lès-Avignon (musée du Louvre).
 
Pierre du Billant, sur un carton de Barthélemy d’Eyck. La Guérison de la femme aveugle (fragment d’orfroi), France, 1444 ? Soies polychromes, filés or et argent. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. © RMN-Grand Palais (musée de Cluny - musée national du Moyen Âge) / Thierry Ollivier.

Ce panneau de broderie a fait partie d’une chapelle (ensemble d’ornements et de vêtements liturgiques) consacrée à l’histoire de saint Martin. Il illustre un miracle posthume de sa vie, celui d’une jeune fille aveugle de Lisieux venue en bateau à la basilique et qui, recouvrant la vue, remercie le saint. Pierre du Billant, brodeur du roi René, y travaille sur les cartons de son beau-fils, Barthelemy d’Eyck: les canons trapus aux têtes massives et lèvres épaisses, et les regards obliques sont caractéristiques de l’art de ce dernier.
 
Antoine de Lonhy. Heures à l’usage de Rome, Toulouse, vers 1460. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, bibliothèque de l’Arsenal.

L'arrivée d'Antoine de Lonhy à Toulouse, foyer artistique jusque-là très ancré dans les formules du gothique international, y apporte un langage novateur et fait des émules. Les silhouettes de la Vierge et de l'archange de l'Annonciation sont massives, sculpturales, intégrées à un espace parfaitement construit. Ce manuscrit traduit bien la culture septentrionale de Lonhy, formé en Bourgogne, au contact d'œuvres des grands maîtres flamands, notamment Robert Campin.
 
Enguerrand Quarton. Missel de Jean des Martins, Provence, 1466. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

En 1451, le chancelier de Provence Jean des Martins élit sépulture dans une chapelle de la cathédrale d'Aix-en-Provence. Celle-ci est dotée de tout un ensemble sculpté comprenant donateurs (dont son épouse, ici présentée) et saints patrons, sans doute dû à Audinet Stéphani, sculpteur originaire de Cambrai, Un missel est également attaché à la chapelle: il s'agit de la dernière œuvre connue d'Enguerrand Quarton, séduisant par la plasticité des volumes, la lumière franche et le climat spirituel.
 
Barthélemy d’Eyck. Retable de l’Annonciation (panneau central), Provence, 1443-1444. Huile sur bois. Aix-en-Provence, église de la Madeleine, classé Monuments historiques, le 19 octobre 1920: en dépôt temporaire au musée du Vieil-Aix.

Dans son testament du 9 décembre 1442 le riche drapier aixois Pierre Corpici, fournisseur du roi René, dispose qu'un retable sur le thème de l'Annonciation doit être installé sur l'autel dominant sa sépulture située à l'entrée du chœur de la cathédrale Saint-Sauveur d'Aix-en-Provence, confie la réalisation du retable aux volets démembrés au peintre originaire du diocèse de Liège Barthélemy d'Eyck, alors au service du roi René. La force de la perspective architecturale du tableau, la vigueur de ses volumes, la franchise de son éclairage, le goût des matières qui s'y déploie, tout concourt à faire de ce chef-d'œuvre le lien entre le Nord et le Sud.
André d’Ypres (Maître de Dreux Budé). Triptyque de Dreux Budé, Paris, vers 1450 (vues des panneaux ci-dessous).
- Volet gauche. Le Baiser de Judas et l’Arrestation du Christ avec Dreux I Budé et son fils Jean III présentés par saint Christophe. Huile sur bois. Paris, musée du Louvre, département des Peintures.
- Panneau central. Crucifixion. Huile sur bois. Los Angeles, J. Paul Getty Museum.
- Volet droit. La Résurrection du Christ avec Jeanne Peschard, femme de Dreux I Budé, et ses filles Jacquette et Catherine présentées par sainte Catherine. Huile sur bois. Montpellier, musée Fabre.

Exceptionnellement réunis, ces panneaux forment l’un des triptyques les plus ambitieux de l’art parisien du XVe siècle à nous être parvenus. Il a été commandé par Dreux Budé, notaire et secrétaire du roi mais aussi prévôt des marchands, représenté sur le volet de gauche. Le retable est destiné à la chapelle qu’il a fondée dans le chevet de l’église Saint-Gervais- Saint-Protais à Paris. Le peintre qui tire son nom de ces tableaux a été identifié à André d’Ypres. Usant des plis marqués et des corps graciles, ce dernier y montre une certaine allégeance à la leçon de Roger van der Weyden. Il a peint ici le plus ancien tableau français conservé figurant une scène nocturne.

Les panneaux de ce triptyque ont exceptionnellement pu être réunis pour cette exposition avec le soutien de la Fondation Etrillard et de la New York Medieval Society
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Paris, tête de pont de l’Ars nova

Le règne de Charles VII connaît l'un des plus grands bouleversements de l'histoire de l'art, celui de la diffusion d'un nouveau langage pictural décrivant le monde de manière plus immédiate: l'Ars nova (le «nouvel art»). En rupture avec la préciosité courtoise du gothique international, il prend racine, autour de 1420, dans les Pays-Bas du duc de Bourgogne Philippe le Bon, qui voit la création d'œuvres révolutionnaires de la part de Jan van Eyck, Robert Campin ou Rogier van der Weyden.
Au milieu du XVe siècle, des œuvres d'art importées des Pays-Bas bourguignons s'y vendent. D'entreprenants artistes septentrionaux s'établissent dans la ville pour fournir institutions et grands officiers, comme Dreux Budé. Venant d'Amiens et reçu maître à Tournai, familier de l'art de Campin et de van der Weyden, André d'Ypres est l'un des principaux tenants de ces innovations.
 
Texte du panneau didactique
 
Maître de Jean Rolin. Missel à l’usage d’Autun, Paris, vers 1450-1455. Parchemin. Lyon, bibliothèque municipale.

Ce missel est peint par une personnalité qui tire son nom de son principal commanditaire, Jean Rolin (1408-1483), évêque d'Autun, auquel il est destiné. La Crucifixion de la double page enluminée doit beaucoup à Rogier van der Weyden, notamment la Vierge s'évanouissant dans les bras d'une sainte Femme et de saint Jean, les bras écartés. Le langage employé par le Maître de Jean Rolin se signale également par une certaine expressivité, des couleurs franches, des plis anguleux, qui rompent avec le vocabulaire employé par la génération précédente.
André d’Ypres (Maître de Dreux Budé). Triptyque de Dreux Budé, Paris, vers 1450.
Panneau central. Crucifixion. Huile sur bois.
Los Angeles, J. Paul Getty Museum. © J. Paul Getty Museum.
 
André d’Ypres (Maître de Dreux Budé). Triptyque de Dreux Budé, Paris, vers 1450. Volet gauche. Le Baiser de Judas et l’Arrestation du Christ avec Dreux I Budé et son fils Jean III présentés par saint Christophe. Huile sur bois. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.
 
André d’Ypres (Maître de Dreux Budé). Triptyque de Dreux Budé, Paris, vers 1450. Volet droit. La Résurrection du Christ avec Jeanne Peschard, femme de Dreux I Budé, et ses filles Jacquette et Catherine présentées par sainte Catherine. Huile sur bois. Montpellier, musée Fabre. © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / photo Frédéric Jaulmes.
 
Jean Fouquet. Sainte Anne et ses filles. Miniature issue des Heures d’Étienne Chevalier, Paris, vers 1452-1455. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits. © Bibliothèque nationale de France.

La miniature est issue du plus grand chef-d’oeuvre enluminé par Jean Fouquet, les Heures d’Étienne Chevalier, aujourd’hui démembrées, dont la plus grande partie est conservée au musée Condé de Chantilly. Le nom et le chiffre du commanditaire, trésorier de France outre-Seine et grand mécène de Fouquet, sont portés par les hommes sauvages. Mise en page comme un petit tableau, la scène montre sainte Anne et ses trois filles devant un panorama parisien.
La majorité des feuillets enluminés (40) du livre d'heures d'Étienne Chevalier est conservée au musée Condé de Chantilly. En raison des dispositions testamentaires du duc d'Aumale qui les acquit en 1821, ils n'ont pu être prêtés à l'exposition. Celui-ci fit aménager spécialement le Santuario, dans son château de Chantilly, pour les présenter encadrés tels de véritables tableaux.
 
Peintre-verrier anonyme sur un carton de l’atelier d’André d’Ypres. Deux figures d’ange, Paris, vers 1450. Verre, grisaille, jaune d’argent, plomb. Prov : Paris, église Saint-Séverin (baie 205, tympan). Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris.

Ces panneaux ont été retirés du tympan d'une baie de l'église parisienne Saint-Séverin. Dans les lancettes, les donateurs accompagnés par saint Christophe et sainte Catherine, y prient une Trinité. La verrière pourrait anciennement provenir de l'église Saint-Gervais, à Paris, et avoir été conçue pour la chapelle familiale qu'élève, vers 1450, Dreux Budé. L'inclinaison des têtes, le regard de biais, les paupières ourlées, les cous épais et les lourds drapés renvoient au «style d'Ypres», développé par André d'Ypres et sa dynastie.
Scénographie. Issues d'un livre d'heures démembré, ces trois miniatures exceptionnellement réunies ici figurent parmi les rares réalisations enluminées à Paris par André d'Ypres. Elles attestent la connaissance et même l'inspiration directe de Rogier van der Weyden, qu'André d'Ypres a peut-être côtoyé lors de son séjour tournaisien attesté en 1428 (voir ci-dessous).
 
André d’Ypres. Visitation, Paris, 1446-1450. Parchemin. Dijon, musée des Beaux-Arts.
 
André d’Ypres. Adoration des Mages, Paris, 1446-1450. Parchemin. Collection particulière.
Entre France et Italie, une attirance réciproque

Les liens entre la France et l'Italie sont pluriels. Des artistes du Nord (Barthélemy d'Eyck et Jean Fouquet) font le voyage outre monts. René d'Anjou attire à lui des artistes italiens, dont Francesco Laurana. Des prélats et des proches du roi profitent de voyages à Florence ou Bologne pour commander des œuvres ou s'en faire offrir. Les réseaux diplomatiques sont également à l'œuvre et de riches volumes enluminés parviennent en France, notamment à la cour d'Anjou-Provence, offerts par des dédicataires désireux de s'attirer les bonnes grâces du prince et de son entourage.
 
Texte du panneau didactique
 
Enlumineur padouan suiveur d’Andrea Mantegna. Ptolémée, Cosmographie, traduction latine de Jacopo Angeli. Padoue, 1457. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Daté du 1er mars 1457, le manuscrit a été dédicacé au roi René d'Anjou par Jacopo Antonio Marcello, chef de l'armée vénitienne, gouverneur de la ville de Padoue et grand humaniste. L'élégance de son écriture, de son frontispice et de ses initiales le place parmi les chefs-d’œuvre des manuscrits à l'antique produits dans le cercle d'artistes gravitant autour du peintre Andrea Mantegna.
 
Francesco Laurana. Médaille de René d’Anjou et Jeanne de Laval, Provence, 1463. Bronze, fonte. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Monnaies, médailles et antiques.
 
Francesco Laurana. Médaille de Jeanne de Laval, Provence, 1461. Bronze, fonte. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Monnaies, médailles et antiques.
Après la mort d'Alphonse V d'Aragon en 1458, le sculpteur et médailleur Francesco Laurana quitte Naples pour se mettre au service de René d'Anjou, introduisant ainsi en France la médaille moderne, coulée, ornée d'un profil au droit et d’une emblématique au revers. Les deux médailles ici présentées sont typiques de ces productions de luxe.
La synthèse Jean Fouquet

Né vers 1420 et mort avant 1481, le tourangeau Jean Fouquet peut sans conteste être qualifié de plus grand peintre du XVe siècle français. Artiste polyvalent, il est peintre et enlumineur, pratique la peinture sur émail ou sur verre ou donne des cartons de tapisseries. S'il n'obtient le titre de peintre du roi que sous le règne de Louis XI, il travaille déjà pour son père Charles VII et met surtout ses pinceaux au service de son entourage de commanditaires d'avant-garde. On ignore tout de sa formation avant son voyage à Rome entre 1443 et 1446. Il opère dès lors une synthèse personnelle entre l'Ars nova flamande et la première Renaissance italienne, qu'on ne saurait réduire à une simple ouverture à des influences exogènes. À lui seul, Fouquet résume les recherches artistiques qui traversent le règne de Charles VII.
 
Texte du panneau didactique.
 
Saint Jean, Touraine, vers 1450-1475. Noyer, traces de polychromie. Paris, musée du Louvre, département des Sculptures.

Le saint Jean se dressait vraisemblablement au pied d'un Christ en Croix, sur une poutre de gloire. L'apôtre est représenté les bras croisés sur la poitrine, la tête inclinée, plongé dans une méditation à la fois douloureuse et sereine. La composition lisse et austère forme un exemple des liens entre l'«école de sculpture tourangelle» et l'art de Jean Fouquet.
 
Jean Fouquet. Grandes Chroniques de France, Tours, vers 1415-1420 et 1455-1460. Parchemin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

Le manuscrit renferme la première histoire officielle de la monarchie en langue vulgaire dont les origines remontent au règne de Saint Louis. Ses 51 petites miniatures ont été confiées à Jean Fouquet qui y utilise d'amples points de vue et un goût pour l'exactitude documentaire des lieux représentés. Il est peut-être le fruit de la commande du roi ou d'un de ses proches.
 
Jean Fouquet (?). Rondel au monogramme LG, Paris, vers 1455-1460. Verre, grisaille, jaune d’argent. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Jean Fouquet s'intéresse aussi à l’art du verre. Il livre ici sans doute la représentation de deux jeunes filles tenant le monogramme Laurens Gyrard, nommé contrôleur général pour le Languedoïl. Il appartient à la classe des officiers royaux qui, fascinés par l'héraldique nobiliaire, confient leur propre emblématique à Fouquet.